Le Point présente 5 portraits d’espionnes du Mossad. Aujourd’hui faites connaissance avec Dina qui permit à Israël de dérober le programme nucléaire iranien et Erika qui fit exploser une voiture piégée en plein Beyrouth.
Téhéran, 2018, l’histoire de Dina et de l’Iran
« Cette nuit de décembre 2018, Sammy et Dina, deux jeunes guerriers du Mossad, se mirent en route pour une mission extrêmement dangereuse à Téhéran. Ils sortirent d’une voiture dans les faubourgs de la ville et arpentèrent les rues sombres de Shurabad, un des quartiers les plus négligés de la capitale iranienne.
Ce n’était pas la première fois que Dina était envoyée dans le secteur. Elle lança un regard à Sammy, qui avait l’air d’un Iranien avec sa courte barbe et sa chemise sans col. Il portait une veste élimée et un jean délavé. Dina était impeccablement vêtue d’amples vêtements noirs et d’un tchador. Elle parlait plusieurs langues, y compris le persan. Ils avaient mémorisé une explication logique à leur présence dans ce quartier, au cas où ils seraient interrogés par la police. […]
Comme lors de chaque mission dans ce quartier, Dina sentait la tension monter. À tout moment pouvait surgir un peloton de pasdarans, une équipe de gardiens de la vertu, ou peut-être même une patrouille de nuit de la police ou de l’armée. Elle sentait qu’un terrible danger planait au-dessus de leurs têtes et que la moindre erreur pourrait se terminer d’une seule façon : la pendaison en public du haut d’une grue en plein cœur de la ville.
Elle se souvenait de la première fois où elle avait vu la structure que ses amis appelaient « l’entrepôt », un immeuble délabré aux murs sales, dont la peinture jaune avait passé depuis longtemps. Son toit était légèrement bombé, et sa porte faite de tôle ondulée. À sa droite, un parking mal ombragé pouvait contenir tout au plus deux véhicules. En été, le gardien avait l’habitude de venir s’y protéger de la chaleur torride. Elle ignorait ce que renfermaient ces murs. Mais chaque fois qu’elle rentrait de ses tournées ici et remettait ses clichés à son supérieur, elle devait tout noter : les portes du bâtiment sont-elles ouvertes ? Y a-t-il des gens qui entrent et qui sortent ? Et si oui, quand ? Chargent-ils et déchargent-ils des équipements dans et hors de véhicules garés à l’extérieur ? Combien de gardes sont disposés sur le site en permanence ? Des soldats ou des policiers patrouillent-ils dans le quartier ? […]
Dina et Sammy atteignirent le mur d’enceinte de la maison abandonnée. Par des mouvements rapides et experts, Dina sortit le matériel de prise de vue. Après avoir effectué de longues études d’ingénieur, elle appréciait de travailler avec des équipements électroniques numériques. Son cœur battait dans sa poitrine comme un marteau-piqueur, mais ses mains restaient fermes. Ils finirent leur travail sans délai et s’éloignèrent en empruntant les ruelles et les contre-allées. La voiture les attendait au carrefour, comme convenu. L’adrénaline coulait dans les veines de Dina, et le goût du succès l’enivrait. Ils étaient entrés dans la gueule du lion et ils avaient survécu. Le chauffeur du Mossad qui les avait attendus leur adressa un bref sourire et démarra. […]
L’intervention commença à 22 h 30, après le départ des derniers travailleurs et des gardiens. Les guerriers et les agents du Mossad s’approchèrent discrètement du bâtiment de toutes les directions. D’après l’ordre du ramsad [le directeur du Mossad, NDLR], ils disposaient de six heures et vingt-neuf minutes pour accomplir leur tâche. Ils devaient avoir quitté les lieux à 5 heures du matin, soit deux heures avant l’arrivée des gardiens et le début des rondes des voitures de police. […]
En quelques heures, l’équipe du Mossad prit des centaines de dossiers, renfermant quelque cinquante mille pages, ainsi que cent quatre-vingt-trois CD contenant cinquante-cinq mille autres fichiers électroniques. Le matériel, pesant environ une demi-tonne, fut empaqueté et chargé à bord de camions. Selon divers rapports, les camions réussirent à franchir la frontière iranienne avec leur précieux chargement puis furent transportés par bateau en Israël. […]
Le « grand mensonge » des Iraniens fut mis au jour presque aussitôt. Le projet d’armements nucléaires avait démarré par un autre projet, baptisé « Amad ». Celui-ci avait été arrêté en 2003, et les Iraniens avaient présenté des indices tangibles de ce fait devant les organisations internationales. Ce qu’ils avaient omis de préciser était qu’ils avaient lancé, immédiatement après l’arrêt d’« Amad », un nouveau projet, appelé « Spand », avec les mêmes matériels, les mêmes personnes et les mêmes objectifs. L’opération du Mossad à Shurabad apportait la preuve que l’Iran avait poursuivi son projet nucléaire au cours des années suivantes.
Beyrouth, janvier 1979, Erika et la voiture piégée
« Erika n’avait pas quitté des yeux l’immeuble d’en face depuis 10 heures du matin. Ce jour de 1979, une légère bruine avait assaini l’air de Beyrouth, et la visibilité s’était améliorée. Erika attendit près de six heures avant le retour de Salameh [Ali Hassan Salameh, dit « le prince rouge », un des chefs de l’organisation terroriste palestinienne Septembre noir]. Djamil, son chauffeur, fit démarrer la voiture. Les gardes du corps grimpèrent dans la Land Rover et la Toyota, et les trois véhicules reprirent la route.
Et soudain, problème : un camion chargé de bonbonnes de gaz s’arrêta près de chez elle. Erika comprit qu’elle allait peut-être devoir arrêter la mission. Si la charge explosait alors que le camion était dans les environs, les bonbonnes exploseraient à leur tour et tueraient des centaines de personnes. Erika pria Dieu pour que le camion s’en aille. Et sa prière fut exaucée.
Je dois tuer un homme, se dit-elle. Il s’agit d’une cible, un point c’est tout. Mes actions doivent être dénuées de haine ou de tout sentiment personnel.
Elle vit la Chevrolet approcher dans la rue. La circulation était réduite. Moins de 9 mètres séparaient à présent le break de Salameh de la Volkswagen piégée, coincée entre d’autres véhicules en stationnement, puis 5, 4, 3, 2. Elle plaqua son visage contre la vitre de la fenêtre et ouvrit grand la bouche pour se protéger de l’onde de choc. La Chevrolet passa devant les voitures en stationnement et avança doucement vers la Volkswagen. Erika appuya sur le bouton rouge.
Une gigantesque explosion ébranla la rue Madame-Curie. […] De ce qu’il restait des morceaux déformés de la Chevrolet les secours parvinrent à extraire trois corps : le chauffeur et les deux gardes du corps. Ali Salameh souffrait quant à lui d’une plaie ouverte à la tête, un morceau de fer lui ayant transpercé le cerveau. Une ambulance le transporta à l’hôpital universitaire américain.
La mission eut aussi un résultat malheureux et douloureux : quatre passants furent tués et dix-huit, blessés. Tous étaient d’innocentes victimes de l’explosion. Parmi elles figurait une jeune femme qu’Erika avait croisée à différentes reprises dans le quartier. Son visage et la douleur de sa famille ne cesseraient de la hanter. […]
Les éclats reçus à la tête furent la cause de la mort de Salameh. En visite à Damas, Yasser Arafat éclata en sanglots en entendant la nouvelle. Il fut immédiatement exfiltré vers une cachette secrète. Son entourage redoutait qu’Israël n’ait l’intention d’éliminer tous les chefs du Fatah. Il ne sortit de sa cachette que plusieurs jours plus tard.
Erika se décoiffa, adopta une expression de peur et de désarroi, et dévala l’escalier. Elle devait quitter le pays, et sa fuite dépendait de ce qu’elle allait faire au cours des dix prochaines minutes. Elle surgit dans la rue envahie par la fumée, au milieu des blessés et des passants horrifiés, sous l’aspect d’une femme apeurée et totalement désorientée. Elle se précipita vers la Datsun qu’elle avait louée et la démarra. »