Gabriel Attal, un sniper si bien élevé

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Le porte-parole du gouvernement, malgré ses faux airs d’enfant sage, est déjà un roué crocodile avec lequel il faut désormais compter.

« La première carte, à gauche, symbolise ton énergie », dévoile Marlène Schiappa, devant le jeu de tarot étalé en face d’eux. Un Cavalier d’épée, c’est un heureux présage. En ce dernier mois de juillet du quinquennat qui voit les ministres trépigner à l’idée d’un hypothétique remaniement, Gabriel Attal piaffe d’impatience, dans l’attente de savoir s’il va bénéficier d’une ultime promotion et gravir encore les échelons avant la présidentielle. En attendant la fumée blanche élyséenne, son amie et collègue ministre chargée de la Citoyenneté, experte à ses heures perdues en divination, consent à lui tirer les cartes pour l’aider à éclairer l’avenir.

Sous les yeux du jeune homme s’affichent quatre figurines, indéchiffrables. « Celle de droite, c’est ta réponse », poursuit-elle en désignant l’Étoile, figure bienfaisante, signe de bonne fortune. Au centre, deux femmes censées représenter les influences extérieures veillant sur sa destinée, dont la carte de l’Impératrice, annonciatrice de projets prometteurs. « En gros, il faut que je devienne une femme pour avoir une promo ! » s’esclaffe Gabriel Attal, lucide sur les effets collatéraux de la parité pour la gent masculine.

Marlène Schiappa rectifie : « Non, tu as une femme de pouvoir plus âgée qui est positive pour toi. Ce n’est pas Brigitte, qui sort avec la carte de la Papesse chez moi. À mon sens c’est une ministre, ancienne ministre ou future ministre, qui soit va te coopter, soit avec qui tu vas bosser, soit dont tu vas prendre la place. » Qui est donc cette mystérieuse intrigante qui doit donner un tour nouveau à sa fulgurante carrière ? Le porte-parole l’ignore encore à ce jour…

Nuits blanches

La scène dit tout de l’ambition, plus aiguisée qu’il ne veut bien l’admettre, du plus jeune ministre de la Ve République, nommé à l’automne 2018 à 29 ans pour piloter le Service national universel (SNU), promesse d’Emmanuel Macron, avant de devenir, au poste de porte-parole, le visage du pouvoir macroniste, l’incarnation de ce gouvernement dont nul n’est capable de citer plus de dix membres, au mieux. Depuis qu’il a gagné la confiance du président, c’est lui qui annonce aux Français la plupart des mises en garde et restrictions sanitaires. Jusqu’à avoir été privé cette année de vacances de Noël, hormis deux jours en famille en Bretagne, pour cause de menace Omicron.

Depuis un an et demi, il est de toutes les réunions stratégiques à l’Élysée et Matignon, petite souris qui consigne tout sur de précieux carnets Moleskine convoités par des éditeurs prêts à lui faire un pont d’or. À la faveur de la crise du Covid-19, sa parole a pris du poids, de conférences de presse en journaux télévisés, du plateau de Pascal Praud aux colonnes de Valeurs actuelles, avec une aisance qui n’est que feinte, lui qui ne s’était jamais exprimé devant une caméra avant 2017 et quelques séances de média training avec Laurent Fontaine, animateur vedette des deuxièmes parties de soirée de TF1 dans les années 2000. Immense stressé, capable de perdre brutalement plusieurs kilos à force d’anxiété, la cigarette électronique toujours à portée de main, il confesse avoir connu des nuits blanches avant ses passages chez Jean-Jacques Bourdin.

Trop pressé, Gabriel Attal ? Il s’en défend, tout en égrenant les derniers sondages qui le classent parmi les ministres les mieux notés. « Quand on est jeune et qu’on a des responsabilités, on est vu comme ambitieux. Je ne serais pas là si je ne l’étais pas, ce n’est pas un gros mot. Ce que je veux éviter, c’est le côté arrogant. Après, je ne vise rien, je n’ai pas de plan. » Voire. Il y a peu, son collègue de la Santé, Olivier Véran, qui l’apprécie, lui a rappelé ces propos de 2017 : « Je nous revois quand on venait d’être élus députés. Tu m’avais dit : « Je vais être dans la commission parlementaire chargée du SNU, puis je serai nommé au gouvernement pour m’en occuper. » Je m’étais dit : « Il rêve. » »

Rive gauche

Le trentenaire est l’enfant chéri de la macronie. En apparence, tout fut facile, au point que les mauvaises langues ont parlé à son propos de « promotion copinage et canapé ». La réalité est plus abrasive. Enfance dorée sur la Rive gauche de Paris, études à l’École alsacienne, celle de l’élite dans le 6e arrondissement, famille aimante malgré le divorce : un père, Yves Attal, avocat et producteur de cinéma à qui l’on doit Talons aiguilles d’Almodovar et Beauté volée de Bertolucci ; une mère d’origine russe qui lui a transmis sa foi orthodoxe – édifiant pour celui qui se fait traiter de « sale juif » sur les réseaux sociaux ; trois sœurs et un petit frère adoré adopté sur le tard, qu’une cousine avait eu seule avant de périr dans un accident de voiture à 16 ans. « J’ai eu une enfance heureuse, je n’ai jamais manqué de rien », raconte-t-il.

Il a toujours des copains d’enfance et sa bande d’élus fidèles, qu’il reçoit dans la demeure familiale de l’île aux Moines, dans le Morbihan. Il sourit : « La blague au lycée, parce que je parlais tout le temps de politique, c’était de m’appeler « Président ». » Dans le « Year Book » réalisé en fin de terminale, des amis ont créé un photomontage de lui inspiré du portrait officiel de Georges Pompidou dans la bibliothèque de l’Élysée. En novembre 2015, le bonheur se déchire. Yves Attal est terrassé en quelques jours par un cancer foudroyant. « Je ne comprenais pas avant, quand on disait de quelqu’un : « Il a disparu. » Je trouvais ça ridicule », souffle-t-il.

C’est son père, électeur du PS et lecteur de Libération, qui l’a poussé en politique. Il est parti trop tôt pour assister à son ascension. Pas un jour ne passe sans que Gabriel Attal y songe. Quand il est devenu secrétaire d’État à la Jeunesse, il a fait venir au ministère le bureau sur lequel travaillait son père. La violence du job fait depuis toujours frémir sa mère. Aujourd’hui encore, elle tremble devant les menaces de mort et les attaques, homophobes et antisémites, qu’il subit. Un jour qu’on le traitait sur Instagram de « fils de p… », elle a vertement répondu depuis son compte personnel : « Je suis la maman de Gabriel Attal, je ne vous permets pas ! »

La main trop heureuse en politique

En politique aussi, on l’a suspecté d’avoir la main trop heureuse, ignorant que derrière ce beau jeune homme aux faux airs d’enfant sage se cachait un roué crocodile. Certes, il a bénéficié d’un stage au Parlement auprès de Marisol Touraine parce qu’il était un camarade de classe de sa fille à l’Alsacienne. Mais c’est parce qu’elle appréciait sa vivacité qu’elle l’a recruté, une fois devenue ministre de la Santé de François Hollande, dans son cabinet – il détient la palme du plus jeune conseiller ministériel, à 23 ans – pour seconder un certain Benjamin Griveaux. « Je l’ai connu tout petit », se souvient-elle.

Ils ont en commun d’avoir connu l’école Strauss-Kahn au PS, auquel Attal a adhéré à l’âge de 17 ans. En 2007, pourtant, il a voté Ségolène Royal. Un de ses premiers émois politiques est d’avoir assisté au grand meeting de la candidate socialiste à Villepinte. Il peut réciter de tête, le poing sur le cœur, sa tirade fameuse sur les mômes de banlieue : « Cette ferme volonté, je l’ai là, chevillée au corps ! » Clin d’œil de l’histoire, il a rencontré Royal aux obsèques de Jacques Chirac. L’ex-ministre, attachée aux valeurs patriotiques et séduite par le SNU, lui avait lancé, en désignant le cercueil de l’ancien président dans l’église Saint-Sulpice (Paris 6e) : « C’est étrange de le dire ici, mais quelle bêtise il a faite de supprimer le service militaire ! »

On a également accusé Attal d’avoir gravi les marches du pouvoir grâce à son union avec l’ancien conseiller du président Stéphane Séjourné, devenu chef des eurodéputés centristes. C’est mépriser le fait qu’ils n’ont jamais joué au « power couple », déclinant les propositions de Paris Match de leur offrir la couverture. « On a chacun notre parcours », insiste Attal, si réservé sur sa vie personnelle qu’il n’existe qu’une photo d’eux lors d’une cérémonie officielle.

Fans de… Morano

Ceux qui le prennent pour un enfant gâté omettent que le « gamin » a du pif politique. Il y a deux mois, il a parié que la primaire LR se solderait par un second tour entre Valérie Pécresse et Éric Ciotti, se trompant simplement sur l’ordre d’arrivée, là où tout LREM misait sur Michel Barnier ou Xavier Bertrand. En témoignent aussi ses affinités politiques, parfois improbables. Tout sauf sectaire, il a recruté dans son cabinet des anciens sarkozystes et copéistes. Et voue une affection particulière à Nadine Morano. Ils se voient régulièrement et se tiennent en haute estime. « Elle est loyale et courageuse, ça force l’admiration. Je suis diamétralement opposé à certaines de ses idées, mais je la trouve sympa, on se marre bien, elle a du recul sur elle-même et moi aussi », salue-t-il. Cette sarkozyste historique le lui rend bien : « C’est un garçon qui a un vrai talent, il bosse beaucoup ses dossiers. C’est un adversaire politique, je le combats mais, d’un point de vue humain, il est extrêmement chaleureux, il a une vraie force intérieure. Il n’est pas de ma famille politique, mais il faut savoir reconnaître les gens qui ont des valeurs. »

De même échange-t-il souvent avec le sénateur centriste Hervé Marseille, élu des Hauts-de-Seine comme lui. Un « Tonton flingueur » à l’ancienne, expérimenté et truculent, qui a vite compris que derrière le jeune geek qui passe ses coups de fil juché sur un hoverboard et dévore des McDo se cachait un politique avisé, bien éloigné des clones de la « start-up nation », qui n’ont jamais croisé un électeur. Nicolas Sarkozy ne s’y est pas trompé. « Il se débrouille bien », reconnaît l’ancien chef de l’État, rarement tendre avec les Marcheurs. Il le lui a dit de vive voix début octobre. Alors qu’ils grimpaient côte à côte l’escalier de la questure de l’Assemblée pour remettre la Légion d’honneur à l’ex-ministre Nora Berra, il lui a confié : « Le président Macron dit beaucoup de bien de vous. Et pourtant, il dit beaucoup de mal des gens ! »

« Bromance »

Gabriel Attal a mis du temps à intégrer le premier cercle présidentiel. Il n’était pas un intime des Macron, pas plus qu’il ne participait aux dîners politiques à l’Élysée. Le poste de porte-parole lui a permis d’accéder au Graal. Depuis, avec son compagnon, il lui arrive de déjeuner avec la première dame, qu’il tutoie. Parfois, il lui ramène du vin et des friandises de ses déplacements, comme ces brioches aux pralines de la chocolaterie Pralus de Roanne, venues agrémenter un matin le petit déjeuner du couple présidentiel. Délicate attention. Signe qu’il est tout sauf blasé par les dorures du pouvoir, il arbore au poignet un bracelet brésilien tricolore que seuls reconnaissent les initiés : un cordon de menu en tissu, souvenir d’un repas de gala au palais présidentiel. Emmanuel Macron, avec qui il échange plusieurs fois par semaine désormais, a appris à se reposer sur celui qu’il surnomme « Attalian » pour le chambrer. Non qu’il ait des origines arméniennes, mais parce que sa « circo », qui fut celle d’André Santini, abrite une importante communauté.

Peu après sa nomination comme porte-drapeau de l’équipe Castex, Attal s’est brièvement laissé enivrer, fasciné que sa parole se traduise par des dépêches inscrites en rouge « urgent » sur le fil AFP. « Une erreur, un mot de travers, ça peut faire dévisser un cours de Bourse, provoquer une crise diplomatique », s’étonne-t-il alors. Rapidement, il dégrise. S’il dit aujourd’hui vivre une « bromance »[contraction de brother, frère en anglais, et romance, NDLR] avec Jean Castex – « mon pote ! » ose-t-il -, il feint d’oublier que le Premier ministre lui a fait vivre deux expériences cuisantes.

Lorsque Castex, d’abord, s’est fait attraper avec ce mot griffonné de sa main dans le vestibule de l’Élysée : « Finalement, on a trouvé un os supplémentaire à ronger pour le jeune Gabriel ? » Condescendant. Le rouge lui est monté aux joues de se voir ainsi traiter en capricieux. Puis lorsque Matignon l’a contredit sèchement parce qu’il avait annoncé trop tôt un couvre-feu dans la capitale, au risque de fâcher Castex avec Anne Hidalgo. Avec le recul, il relativise : « C’est ma cicatrice à moi. Ça fait le cuir. » Il sourit même du glorieux surnom que certains ont donné à son poste, réputé casse-gueule : « La station d’épuration. »

Porte-flingues

Dans la campagne présidentielle qui se profile, il sera « à fond » aux avant-postes. Il se verrait bien coordonner la riposte, sniper en chef à la tête d’une armée de porte-flingues, tout en conservant son poste au gouvernement. Déjà, le président lui a passé consigne de tirer à vue sur Valérie Pécresse, Éric Zemmour et Marine Le Pen. Contrairement à certains Marcheurs, il ne croit pas la victoire acquise. Élu sur une vague « dégagiste », il sait qu’il peut en être à son tour victime. « Je n’ai jamais considéré que la présidentielle c’était : on se met sur les skis, sur le tire-fesses et on attend ! » observe-t-il. Si Emmanuel Macron était reconduit, il aimerait prolonger l’aventure au gouvernement. Ses amis le rêvent dans un poste régalien ou au Budget. « Un truc de grande personne », insiste l’un, qui considère qu’il a largement fait ses preuves.

Dans le parc de l’hôtel particulier de Rothelin-Charolais (Paris, 7e), qu’il occupe, Gabriel Attal regarde « Doudou » clopiner. Offerte par Édouard Philippe à Christophe Castaner, la poule obèse au plumage sombre se traîne péniblement. Facétieux, il joue à se faire peur en imaginant la passation de pouvoirs avec Jordan Bardella, 26 ans, si le RN accédait au pouvoir : « Je prie pour qu’il ne batte pas mon record d’âge… Je serais capable de faire des blagues : « La poule est noire, ne lui faites pas de mal ! » » Il le niera mordicus et répétera qu’il peut travailler dans le privé, monter sa boîte, lui qui a fait de la politique toute sa vie, mais il n’a qu’une crainte : que tout s’arrête net.

Source lepoint