Aurélie Saada (Brigitte) sort son premier fil « Rose », et on va l’aimer!

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La chanteuse du groupe Brigitte se dévoile par l’image après avoir dit beaucoup de ses émotions par la voix. Avec « Rose », au cinéma le 8 décembre, Aurélie Saada confirme avoir de nombreux talents, dont celui de filmer avec tact et authenticité la révolution intime d’une femme de 78 ans, incarnée par une Françoise Fabian rayonnante.

Celle que l’on connaissait musicienne a écrit et mis en scène cette pépite d’optimisme, pour laquelle elle a également composé la bande-originale. Interview avec une artiste qui met du cœur à l’ouvrage.

Aurélie Saada a mis l’intelligence et la sincérité qui caractérisent ses chansons dans son premier film en tant que réalisatrice. Avec Rose, au cinéma le 8 décembre, l’autrice-compositrice-interprète du duo Brigitte se montre aussi généreuse que sur scène. L’artiste filme la quête d’indépendance de Rose, immense Françoise Fabian. Fraîchement veuve à 78 ans, cette héroïne septuagénaire va se révéler à elle-même et apprendre à vivre intensément, pour elle, loin des attentes de ses enfants. Un personnage féminin puissant et rare, qui exprime le pouvoir de l’envie par la volonté de profiter, de rire, de transgresser, de sortir de son rôle, d’aimer, de jouir. « Il faut toujours se méfier des désirs forts, on n’est jamais à l’abris qu’ils se réalisent« , nous lâche celle qui a pensé, filmé et mis en musique cette pépite de vitalité. Conversation avec une cinéaste des émotions, qui nous dit là sa faim de libertés.

Comment l’idée de Rose a-t-elle éclos dans votre esprit ?
Aurélie Saada : Ce n’est pas la fonction de réalisatrice qui me faisait rêver. La musique me contentait totalement dans l’expression de mes émotions. Un soir, j’ai eu le déclic de cette histoire et je l’ai écrite. Je me suis rendu compte qu’il ne s’agissait pas d’un album ou d’une chanson, mais que c’était un long-métrage qui germait dans ma tête et mon coeur. Je m’intéresse aux histoires intimes. Il y a des années, je venais d’avoir 30 ans et deux petites filles. L’homme avec qui j’étais depuis très longtemps m’a quittée pour aller vivre à l’autre bout du monde. Je me suis retrouvée seule avec mes filles. J’ai pensé que je ne pouvais pas vivre sans lui, qu’il était toute ma joie. J’ai même cru que j’étais trop vieille, à 30 ans… c’est dire à quel point c’est ridicule. C’est à ce moment que je me suis mise à écrire des chansons, à partir en tournée, à découvrir celle que j’ignorais être. Dans la vie, on n’est jamais à l’abris d’être surpris par soi-même. On ne soupçonne pas tout ce qu’un deuil peut révéler de fort chez nous. C’était important pour moi, depuis longtemps, de raconter une histoire comme ça.

Quel a été ce fameux déclic de l’histoire de Rose ?
Aurélie Saada : Il y a 5 ans, j’organise un dîner avec la dernière grand-mère de ma famille qui vient de perdre son mari. Marceline Loridan-Ivens est présente ce soir-là. Elle était une survivante de la Shoah, mais aussi une super vivante. Comme dans le film, elle boit et parle de sexe avec vivacité, spontanéité. J’ai vu ma grand-mère complètement hypnotisée par elle, se dire « c’est possible, on peut vivre encore jusqu’à ce moment-là » et c’est devenu irrésistible pour moi. Je savais que je voulais raconter une révolution intime. Entre mon histoire et celle-ci. C’était important que ça s’incarne dans une femme de 78 ans, parce que le corps et le désir des femmes de cet âge-là sont totalement tabous. Comme si une grand-mère n’avait d’yeux que pour ses petits-enfants…

Rose est donc quelque part entre vous et votre grand-mère ? Avez-vous pensé à Françoise Fabian en l’écrivant ?
Aurélie Saada : C’est un sujet qui me touche parce qu’il me concerne, mais je l’ai écrit en pensant à mes grands-mères, à mes tantes, à ma mère, à ces femmes, à l’âge. On vieillit toutes et tous si tout se passe bien, donc je l’ai aussi écrit pour mes filles. Un jour, on se retourne et on se dit qu’on est vieux, qu’on a la peau qui dégringole. Il n’y a pas de raison de taire son désir à ce moment-là.

L’écriture de ce film vous a-t-elle apporté quelque chose que la musique ne contentait pas ?
Aurélie Saada : Il y a quelque chose de complet dans le cinéma. La musique peut se faire seul si on veut. Le cinéma pas du tout. On est avec 150 personnes, des acteurs, des techniciens, des financiers, des producteurs… On embarque toute une équipe sur un navire pendant plusieurs années. C’est assez différent et en même temps ça part de la même chose, ce récit authentique et intime. Il est nécessaire d’avoir un désir clair, d’être sûre de soi. Il ne faut pas mentir ou cacher les choses sous le tapis parce que 5 ans sur un même projet, c’est long et qu’il y a beaucoup de monde à convaincre. Mon film, je l’aime fort. Il raconte énormément de choses de moi, dans les détails, les décors, les costumes, les expressions employées par les acteurs, le récit de chaque parcours… Dans toutes les coutures, j’y ai glissé de mon sang, de ma vie.

Y a-t-il une volonté politique derrière cette histoire personelle ?
Aurélie Saada : Certainement. On met le mot politique à toutes les sauces, mais j’avais envie que ça existe, de parler de ça. Que le désir des femmes ne soit plus invisible. On voit si peu de femmes de 80 ans jouer autre chose que des grands-mères… La chose la plus folle qu’elles incarnent, ce sont des grands-mères rigolotes ou délurées, mais ça reste des rôles très secondaires, comme si elles l’étaient dans la vie.

D’ailleurs, même les enfants de Rose n’acceptent pas son changement…
Aurélie Saada : Le rapport que l’on a à nos parents me questionne. On a peur pour eux quand ils vont mal et on a le sentiment qu’ils vont se mettre en danger quand ils accèdent à certains plaisirs. C’est comme si on voulait les garder toujours dans le même endroit, dans la même joie… à une place qui nous rassure. On les met sous cloche, sauf qu’on ne survit pas sous cloche ! Rose dit « oui je peux tomber, mais je préfère encore tomber parce que si je tombe c’est que j’ai vécu quelque chose« .

Comme Rose, avez-vous dû apprendre à suivre vos envies ou vous êtes-vous toujours écoutée ?
Aurélie Saada : C’est intéressant d’accepter de ne pas savoir, d’être dans l’interrogation. Tout est possible. J’avais envie qu’elle dise « je ne sais pas » quand on lui demande ce qu’elle veut boire parce que la question reste ouverte. Les questions sont bien plus intéressantes que les réponses. Aujourd’hui, j’assume d’en avoir beaucoup, j’assume mes lacunes, ma fragilité, ma vulnérabilité. C’est ma force qui vient se ranger là. On apprend en faisant. Je me lance dans la vie comme dans une aventure folle.

Le film est très gourmand. D’où vous est venue cette envie de mettre en scène la nourriture ?
Aurélie Saada : Chez moi, c’est comme ça qu’on se dit qu’on s’aime : en cuisinant pour les autres, en allant faire les courses, en mangeant ensemble. La table est une arène extraordinaire, qui en dit long sur nous. Les personnages mangent beaucoup, je ne me rendais pas compte que j’écrivais autant de scènes de table ! Il y a quelque chose de très naturel à cet endroit. C’est d’ailleurs de la vraie nourriture, qui se mange, à l’écran. Ma petite sœur, qui est cheffe, a cuisiné tout ce qu’on voit, de la pyramide de fruits jusqu’aux makrouds que cuisine Rose. Nous avons défini ensemble les menus. Je voulais que les acteurs connaissent la cuisine de chez moi, qu’ils aient le parfum du cumin, l’odeur de la fleur d’oranger, qu’ils sentent où ils étaient et qu’ils ne fassent pas semblant, qu’ils se régalent pour de vrai.

Rose est une aventure si familiale que l’une de vos filles a composé un morceau pour le film…
Aurélie Saada : Je suis tellement fière. Elle avait 12 ans quand elle l’a écrit. Mes filles sont géniales et ce n’est pas juste une mère juive qui parle (sourire) ! Shalom joue du piano depuis quelques années. Je l’ai entendue composer un thème que j’ai trouvé magnifique et je lui ai demandé si ça lui dirait qu’ils soit dans le film. Elle ne m’a pas vraiment cru. Je l’ai enregistré pour le faire écouter aux musiciens et fait rejouer par un orchestre. Je suis tellement heureuse que cette mélodie soit dans le film. Je suis allée l’inscrire à la Sacem, dont elle est le plus jeune membre (rire). Mes filles sont douces, elles me font confiance.