Fuir Bizerte, quitter la Tunisie, par Agnès Bensimon

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Synagogue de Bizerte
Le départ des Juifs de Tunisie, généralement associé aux conséquences de la guerre des Six Jours, prend en fait racine dans un conflit tuniso-français, celui de la crise de Bizerte, en 1961.

L’accusation de trahison formulée à l’encontre des Juifs de Bizerte, puis leur sauvetage in extremis inaugure le mouvement de départ, provoquant la disparition rapide de la présence juive dans le pays. Pour K., Agnès Bensimon, spécialiste de l’histoire des Juifs en Afrique du Nord, nous raconte, documents et témoignages inédits à l’appui, les derniers jours de la communauté juive de Bizerte.

Pour comprendre les raisons du départ des Juifs de Tunisie, un épisode est rarement évoqué :  celui de la crise de Bizerte. Cette guerre éclair qui opposa la France à la Tunisie en est pourtant le déclenchement. Pour comprendre cet épisode, il faut rappeler un fait oublié : c’est sans Bizerte qu’est proclamée l’indépendance tunisienne en mars 1956. La France a décidé d’y maintenir des forces militaires et continue donc à occuper la base navale de Bizerte, clé de voûte du dispositif stratégique français en Méditerranée. Désireux de liquider cette dernière « séquelle de l’ère coloniale », les Tunisiens, et le Président Bourguiba en tête n’ont de cesse de réclamer l’évacuation totale des troupes françaises. Le conflit s’envenime et va mener au pire : pendant 4 jours, du 19 au 23 juillet, des combats meurtriers ont lieu. La communauté juive, qui compte environ 2000 personnes, est épargnée mais la rumeur de sa trahison rôde et s’étend. Bientôt, il n’est plus possible de rester. Il faut fuir Bizerte, quitter la Tunisie. Le Mossad, aventureux, et la France, ambigüe, procèdent aux évacuations.

En croisant les informations officielles, des documents diplomatiques de première main et les témoignages des multiples acteurs impliqués à tous les échelons, nous avons pu reconstituer les derniers jours des Juifs de Bizerte.

Le Président et le Général, l’Algérie, la Tunisie et la France

« Je n’admets pas que l’on manque à la France », écrit le Général de Gaulle dans ses Mémoires d’espoir, évoquant la crise de Bizerte de juillet 1961, quand les troupes françaises s’opposèrent à l’armée tunisienne durant des combats aussi brefs que sanglants. La Tunisie, indépendante depuis le 20 mars 1956, n’avait eu de cesse d’exiger l’évacuation des troupes françaises toujours stationnées sur son sol, se focalisant surtout sur Bizerte où la France avait aménagé à grands frais une base antiatomique de première importance. Malgré les promesses réitérées de négocier ce retrait, cinq ans après l’indépendance, la question continue de se poser. Le bombardement du village algérien de Sakiet Sidi Youssef par l’aviation française[1], le 8 février 1958,  en représailles à une action du FLN depuis la Tunisie marque un tournant décisif. Le président Bourguiba déclare le lendemain « qu’aucun uniforme militaire français n’est plus tolérable en Tunisie » et demande l’évacuation totale de son territoire, Bizerte compris. De l’autre côté de la Méditerranée, le bombardement de Sakiet Sidi Youssef précipite la chute de la IVème République et le retour en politique du Général de Gaulle, le 13 mai 1958. Cette nouvelle situation permet un accord de temporisation signé le 17 juin entre les deux pays : les troupes françaises ont quatre mois pour évacuer la  Tunisie, avant que ne commencent les négociations concernant la base navale, étant entendu que la France reconnaît la souveraineté tunisienne sur Bizerte.

Ce énième report du règlement de la question de Bizerte l’inscrit dans un rapport de forces dès lors plus personnel. En février 1959, le Président Bourguiba formule l’étonnante proposition d’échanger la base de Bizerte contre la paix et l’indépendance de l’Algérie[2]. Pour Paris, la proposition est absurde : échec retentissant. Parallèlement, côté Algériens, on se méfie du rôle d’intermédiaire de Bourguiba dans une solution du conflit. Résultat des courses : le problème de Bizerte est réactivé et amorce une nouvelle phase de décomposition des relations franco-tunisiennes. En janvier 1960, le président Bourguiba joue son joker en déclarant qu’il engagera la bataille si la France n’a pas évacué la base le 8 février (jour du 2ème anniversaire de Sakiet Sidi Youssef). Il mobilise la population et des troupes mais cède presque immédiatement au veto du général de Gaulle qui rappelle que la France se maintient à Bizerte pour sa propre défense et pour celle de l’Occident et donc, par là même, pour celle de la Tunisie, incluse dans le camp occidental. Un an plus tard, une rencontre a lieu à Rambouillet, le 27 février 1961, entre de Gaulle et Bourguiba d’où il ressort que le président tunisien est « hors-jeu » pour la question du règlement du conflit algérien et que la question de Bizerte ne doit plus être soulevée avant la fin de la guerre d’Algérie. L’incompréhension de part et d’autre aggrave le malentendu.

À l’arrière de la rade de Bizerte, l’extension de la base aérienne de Sidi Ahmed en vue de l’aménagement de pistes d’atterrissage supplémentaires adaptées aux nouveaux modèles d’avions constitue l’élément déclencheur de l’épreuve de force à venir. La Garde Nationale tunisienne surveille les travaux dès le début, à la mi-avril 1961, puis intervient en interdisant au personnel civil tunisien de travailler sur le chantier, allant même jusqu’à tenter d’interrompre les travaux. Les Tunisiens édifient un mur de béton, creusent des kilomètres de tranchées tout autour de la base et disposent sept barrages dans la région, entre juin et début juillet 1961. La tension monte à mesure que les Tunisiens renforcent les effectifs sur la zone. L’Amiral Maurice Amman, commandant en chef de la base stratégique somme alors la Garde Nationale de cesser sa résistance. Bourguiba s’immisce dans la crise, appelant à des manifestations populaires, suscitant la pression de la rue, encourageant la propagande pour l’affrontement, organisant la mobilisation de la Garde Nationale et des jeunesses destouriennes. Sur place, l’Amiral Amman décrète l’état d’alerte total. Le 6 juillet, Bourguiba fait porter à de Gaulle une lettre « de la dernière chance ».  De Gaulle lui répond tardivement, par une fin de non-recevoir qui lui parvient le 17 juillet. L’affront étonne Tunis et le jour même, Bourguiba annonce le déclenchement des opérations. L’échéance de la bataille est fixée au mercredi 19. À cette date, toute violation de l’espace aérien par l’aviation française sera considérée comme le signal du début des affrontements. Mais alors qu’à Tunis on s’attendait à des combats sporadiques, Paris, anticipant le danger, s’est déjà préparé à la guerre.

19-23 juillet 1961 : Une guerre éclair sanglante

Les affrontements armés sont continus du mercredi 19 juillet, vers 15 heures, jusqu’au cessez-le-feu, le dimanche 23 juillet au matin. Quatre bataillons tunisiens d’infanterie, un groupe d’artillerie, environ 200 gardes nationaux et près de 6 000 volontaires de la jeunesse destourienne, électrisés mais peu armés sont mobilisés. Sans plan de défense ni plans d’opérations, les Tunisiens n’ont pas pour mission d’entrer dans la base. C’est l’effet conjugué de la réaction française et de l’agitation incontrôlée des volontaires civils qui engendre le véritable début des hostilités. Du côté français, les moyens militaires sont largement supérieurs : avions Mistral, Mystère IV et Corsair, hélicoptères, quatre compagnies de défense Air et Marine vite épaulées par deux Régiments de Parachutistes d’Infanterie Marine (2ème et 3ème RPIMA) puis le 3ème Régiment Étranger d’Infanterie, basés à Blida en Algérie. Sans oublier le Colbert, le De Grasse et le porte-avion Arromanches qui croisent à proximité de la rade.

Les premiers tirs se produisent du côté de Sidi-Ahmed, théâtre des combats des premières vingt-quatre heures au terme desquelles les 2ème et 3ème RPIMA prennent l’avantage, avec une violence inouïe. Il faut dire que les Tunisiens ont fait feu sur les paras envoyés en renforts sur la base. Les volontaires civils tunisiens mettent en avant les femmes et les enfants – tactique des boucliers humains[3] qui a fait école depuis – et tirent également sur les militaires français, tandis que les combattants les bombardent au mortier. La riposte est sans pitié, les Français visant du haut des hélicoptères la foule des manifestants. Lucien Bodard, alors correspondant de France-Soir écrit : « Je me dis que si Bourguiba a voulu un nouveau Sakiet, les Français le lui ont donné. Pourquoi ont-ils riposté si vigoureusement ? C’était tellement peu nécessaire devant la faiblesse de l’assaut tunisien. » Le 20 juillet, en fin de soirée, la base est quasiment dégagée. L’amiral Amman, craignant des combats dans Bizerte intra-muros et soucieux des victimes civiles, tente en vain de contacter le Gouverneur, Mohamed Ben Lamine, au soir du 20 juillet, pour chercher un arrangement lui permettant d’obtenir sans combats le contrôle du goulet, afin de rétablir la communication entre le port et la Méditerranée. Or, l’ordre est donné aux troupes tunisiennes de résister coûte que coûte. Les combats vont continuer.

La France met en place une stratégie militaire et guerrière pour le 21 juillet. À 10h du matin, les bérets verts sont lâchés dans la ville, autant pour reprendre le contrôle du goulet que pour annihiler la rébellion tunisienne. S’ensuit une véritable guerre urbaine avec de nombreux combats au corps à corps. Le 22, les soldats français s’attachent à nettoyer les dernières poches de résistance au sein du quartier européen de Bizerte. Les chars quadrillent la ville. La situation est sous contrôle en fin de journée. L’amiral Amman négocie par téléphone l’accord de cessez-le-feu avec le Gouverneur de Bizerte. Il entre en vigueur le 23 juillet à 1h du matin intra-muros et à 8h partout ailleurs.

Le bilan humain de cette guerre éclair varie selon les sources. Du côté français, on sait avec précision qu’il y eut 27 tués et 128 blessés. Du côté tunisien, on déplore entre 600 à 700 morts dont la moitié de militaires et gardes nationaux et 1 555 blessés. Mais les chiffres officiels (le monument du cimetière des martyrs de Bizerte honore la mémoire de 630 victimes) sont contestables, jugés volontairement minimisés pour camoufler l’ampleur de la déroute et l’imprévoyance du gouvernement. Dans un discours prononcé le 24 août 1961, le Ministre de l’Information du gouvernement tunisien, M. Masmoudi, annonce 1 300 morts. Le Croissant Rouge tunisien a, lui, estimé que les trois jours de combats avaient causé la mort de  5 000 personnes ; l’historien Mohamed Lazhar Gharbi avance, pour sa part, le chiffre de 4 000 victimes comme étant le plus plausible. Une étude de l’Université de Sherbrooke fait état de 1 300 morts[4].

Si le bilan militaire permet de conclure à la victoire de l’armée française, le bilan diplomatique est plus nuancé. En août, la Tunisie obtient le soutien de l’ONU sur le vote d’une résolution condamnant la France. Les civils français vont quitter Bizerte entre le 23 juillet et le 30 septembre 1961. L’évacuation ouvrant à Bourguiba les portes d’un monde arabe qui lui était autrefois hostile. Dans les faits, la base militaire ne sera définitivement évacuée que le 15 mars 1963, sept années après la proclamation de l’indépendance et bien après la fin de la guerre d’Algérie.

La communauté juive de Bizerte face aux rumeurs de trahison

En marge du drame national, les conséquences de la guerre de Bizerte se mesurent de façon très différente à l’aune du destin des Juifs de Tunisie. À Bizerte vivait une communauté d’environ deux mille âmes, très bien assimilée, au niveau de vie élevé et que la présence française faisait prospérer, comme elle faisait prospérer du reste l’ensemble des 50 000 habitants de la quatrième ville du pays. Pour elle, oubliés les jours sombres de l’occupation allemande, de novembre 1942 à mai 1943, quand toute la communauté (de même que tous les Bizertins), avait été sommée d’évacuer la ville. Dix-huit ans plus tard, elle est loin d’imaginer le sort brutal qui l’attend. “En effet”, se souvient Maud Adda, membre de l’Association des Juifs Originaires de Bizerte, créée à Paris au début des années 90 afin d’entretenir le cimetière juif : « Nous étions très attachés à la culture et au mode de vie français. La communauté n’était pas particulièrement pratiquante, sauf pour les fêtes. Nous fréquentions les écoles françaises et nous parlions le Français entre nous. Il y a eu beaucoup de mariages mixtes du reste, plus qu’ailleurs. Des jeunes gens avaient fait leur service militaire dans l’armée française. De nombreux ouvriers travaillaient à l’Arsenal, à Ferry Ville. Le train qui les emmenait chaque jour avait été surnommé “le train de l’Arsenal”. Les Juifs étaient principalement des bijoutiers, des marchands de tissus, il y avait de petites entreprises familiales. Grâce à la présence française, nous vivions très bien.”

Les Juifs de Bizerte n’ont pas souffert durant les combats, même si leur cimetière a été bombardé et qu’une périlleuse opération de sauvetage ait été improvisée en catastrophe pour permettre le rapatriement à Tunis de 130 adolescents partis en camp de vacances dans une forêt proche de Bizerte. Ils se trouvèrent pris entre deux feux [5].

Mais voilà : plusieurs sources affirment que la population juive a apporté un soutien sans faille à l’armée française et a collaboré avec elle durant la crise. Cela n’échappe pas aux autorités tunisiennes. Dans une note envoyée au président Bourguiba concernant les combats des vendredi 21 et samedi 22 juillet, le gouverneur de Bizerte reproche même aux « Israélites » du quartier dit de « la rue de Tunis » d’avoir aidé les militaires français en tirant sur des soldats tunisiens.

La rumeur ne peut être confirmée. On ne peut nier que les commerçants ou les entrepreneurs juifs faisaient de bonnes affaires avec les Français et avaient intérêt au maintien de la base et de l’armée. Mais ne pouvait-on pas en dire autant des commerçants tunisiens musulmans ? Il y avait par ailleurs des soldats juifs dans les troupes françaises, et même parmi les paras envoyés en renforts. Une synagogue avait été installée pour eux dans la base pour les fêtes de Tichri. Ces différents éléments ont  servi de terreau à la rumeur de trahison ou d’espionnage des Juifs en faveur de l’ennemi.

Après le cessez-le-feu, les mosquées et les églises reprennent leur service, tandis que les synagogues demeurent fermées. Le marché qui se tenait le mercredi a désormais lieu le samedi… Dans les jours qui suivent la fin de l’épreuve de force, des dizaines de Juifs sont arrêtés. L’un d’entre eux, Octave Haccoun va passer plusieurs années en prison. Il est accusé  d’espionnage au profit de l’armée française et du meurtre d’un commandant de l’armée tunisienne – le commandant Bijaoui[6], 35 ans, officier d’ordonnance de Bourguiba, ancien officier français ayant fait l’Indochine en 1954 et qui, depuis 1956, avait mis sur pied l’artillerie tunisienne. On parle pour Haccoun de la peine capitale. Malgré le caractère non fondé des accusations contre lui, il faudra beaucoup de temps et de nombreux efforts pour obtenir la relaxe du prisonnier. En France, une campagne de presse est orchestrée, et c’est finalement grâce aux interventions de Jean-Paul Sartre et de Pierre Mendès-France auprès du président Bourguiba en personne, que sa libération est obtenue.

Au cœur de l’été de 1961, les rapports convergent sur les menaces de pogroms pesant sur les Juifs de Bizerte. Ils émanent tant du côté des diplomates français en poste au consulat de la ville, que des représentants de l’Agence juive à Tunis et à Bizerte, mais également des membres de la « misgeret », la branche tunisienne du réseau secret mis en place en Afrique du Nord, au milieu des années 50, par Isser Harel, le « patron » du Mossad. Pendant les quelques semaines qui séparent le cessez-le-feu des accords franco-tunisiens du 30 septembre entérinant le départ des Français, toutes les solutions sont donc envisagées pour l’évacuation des Juifs de Bizerte.

L’évacuation, vers et par la France, ou Israël

Le Consul général de France à Bizerte, M. Xavier Jeannot, alerte le premier les autorités françaises. Dans un télégramme en date du 3 août 1961, portant le n°23, il relate: « La colonie israélite de Bizerte, qui comprend sans doute plusieurs milliers de personnes en grande majorité de nationalité tunisienne, est en proie à la plus grande inquiétude. Accusée à tort, semble-t-il, d’avoir aidé directement ou indirectement les troupes françaises et participé à la bataille, elle appréhende au plus haut point le départ de nos soldats et les représailles qui suivraient. Les confidences que certains de nos compatriotes ont reçues ces jours derniers de musulmans tunisiens pourtant modérés tendent à prouver que ces craintes ne sont pas vaines. Dans l’impossibilité d’assurer actuellement le départ de ces familles sans risquer de m’attirer les plus sérieuses difficultés de la part des autorités tunisiennes, je m’efforce de les rassurer mais je crois de mon devoir de suggérer au Département d’appeler sur cette situation l’attention de tous les organismes, gouvernementaux ou non, qui seraient en mesure d’apporter aux Israélites de Bizerte quelque protection. J’attacherais d’autre part du prix à recevoir des instructions du Département concernant l’attitude que je devrais adopter dans diverses éventualités si mon aide était sollicitée à nouveau dans les jours prochains, comme il est très probable, par des Israélites tunisiens, généralement attachés à notre pays et qui désireraient y trouver refuge.»

Trois jours plus tard, le Consul général Jeannot revient sur ces analyses dans un nouveau télégramme, portant le numéro 35, expliquant que l’estimation de la taille de la communauté juive de Bizerte avait été surestimée et qu’en réalité il s’agirait d’organiser le départ de quelques centaines de personnes dont les papiers ne sont pas en ordre. Le 9 août, le Consul général, se référant à ces précédents télégrammes, réitère ses craintes quant à la précarité de la situation des Juifs de Bizerte : « De plusieurs côtés me parviennent les échos d’arrestations ou de vexations auxquelles sont soumis les Israélites tunisiens par les autorités, même de la part du petit peuple. Les démarches auprès de ce consulat général afin que des moyens soient mis en œuvre pour permettre à la communauté israélite locale de quitter le pays se font de plus en plus pressantes et le ton en devient angoissé. Malheureusement, les Israélites dont les passeports tunisiens sont en règle ou en cours de validité sont peu nombreux, il s’agit par ailleurs, dans bien des cas, de familles franco-tunisiennes dont les enfants possèdent les uns la nationalité d’un des parents, les autres celle de l’autre. Je m’efforcerai de faire embarquer sur le « VILLE D’ORAN » du 11 août quelques-unes de ces familles qui ont des attaches françaises, mais le problème restera pratiquement entier. Le chef de la Communauté israélite de Bizerte qui s’est rendu à Tunis où il a pris des contacts m’a fait savoir que l’Agence juive serait disposée à couvrir les frais de transport et de séjours pendant quatre jours à Marseille des familles juives de Bizerte qui gagneraient ensuite Israël (…)» Sur le télégramme, reçu à Paris le 10 août, une mention manuscrite indique : « attendre ». D’autres éléments viendront confirmer qu’au Quai d’Orsay, les inquiétudes de M. Jeannot comme ses velléités de porter secours aux Juifs , n’ont pas été perçues avec bienveillance.

Le directeur de l’Agence juive dont il est fait mention, s’appelle David Isboutsky. Ses bureaux, situés rue d’Elbe à Tunis, s’affichent sous l’enseigne « L’Agence, association suisse à buts humanitaires ». Il se rend à Bizerte au mois d’août pour aider au départ des Juifs qui ne peuvent quitter la ville. Dans un rapport, il confirme à sa manière les observations du Consul général : « La ville de Bizerte se vide des Européens, les Italiens émigrent en Italie, les Français en métropole et les Juifs tunisiens se trouvent dans une situation catastrophique, leurs maisons et leurs magasins sont pillés et volés des deux côtés. Les Juifs qui habitent dans la Medina n’ont pas accès à leur domicile car des barbelés séparent la ville européenne. Certains ont été arrêtés et emprisonnés, nous ignorons quel est leur sort, malgré l’intervention de la Croix-Rouge internationale et locale. Les Juifs dépourvus de papiers (700 personnes) se trouvent dans une situation désespérée parce que le courrier gouvernemental entre Bizerte et Tunis est coupé. Ils n’ont pas la possibilité de s’enfuir à Tunis, les gendarmes tunisiens opèrent une sélection entre les musulmans et les israélites. Près de 250 personnes désirent se rendre en Israël, mais les Juifs de nationalité française ne veulent pas perdre leurs avantages et préfèrent être rapatriés à la charge du gouvernement français et continuer ensuite, éventuellement, vers Israël ».

En conclusion de son rapport, David Isboutsky préconise d’activer de toute urgence l’évacuation de la communauté juive par l’intermédiaire des autorités françaises. Il travaille en étroite coopération avec le représentant local de l’Agence Juive à Bizerte, Maurice Mattouk, alors âgé de 24 ans. Celui-ci le met en relation avec le Consul général adjoint, M. Jean-Jacques Roos, en poste depuis 1960. Ce diplomate français, également israélien, pense avec eux aux moyens d’organiser le départ des Juifs de Bizerte. Il est certain que Xavier Jeannot a fondé ses rapports envoyés au Ministère des Affaires Étrangères sur les informations données par Jean-Jacques Roos, Maurice Mattouk et David Isboutsky.

« Pour le cas de danger précis et imminent »

Dans cette affaire, discutée par les plus hautes instance de l’État français, le Quai d’Orsay ne soutient pas franchement les agissements de ses diplomates locaux, reflétant ainsi les réserves du Ministre des Affaires Étrangères Maurice Couve de Murville, en désaccord sur ce point avec le Premier Ministre Michel Debré. Leur approche différente de la question est perceptible dans les échanges de courriers diplomatiques entre les parties prenantes et mérite qu’on s’y arrête.

Dans un télégramme (n°70) daté du 26 août 1961, adressé au Quai d’Orsay et communiqué au Premier Ministre et au Ministre des Affaires Étrangères, le Consul général Jeannot s’appuie sur le soutien du Premier Ministre : « Je crois devoir ajouter qu’au cours de la mission qu’il a effectuée à Bizerte, le 18 août dernier, le général Puget, adjoint en chef de l’État-major de la Défense, m’a indiqué que, suivant les instructions du Premier Ministre, les ressortissants tunisiens, Israélites ou Musulmans, qui le désireraient, pourraient trouver auprès de nous, en cas de danger précis et imminent, notamment dans l’hypothèse d’un retrait des troupes françaises, non seulement asile dans nos installations militaires, mais encore des facilités de départ par des moyens exceptionnels ». Ce télégramme reçu le 27 août porte une nouvelle mention manuscrite : « Le Ministre doit en parler avec le P.M. attendre 2 ou 3 jours, 28 VIII. »

Dans une note en date du 28 août 1961, émanant de la Direction des Affaires politiques – Affaires Marocaines et Tunisiennes, la position du Ministère des Affaires Étrangères est très claire : « L’attention du Ministre devrait être attirée sur le télégramme 70 de Bizerte (ci-joint) au sujet d’une évacuation éventuelle d’israélites et de musulmans tunisiens par la base de Bizerte, le cas échéant par des moyens militaires. Il est fait état d’une position favorable du Premier Ministre, exprimée à Bizerte par le général Puget lorsqu’il a inspecté la base le 18 août. Nous avions pris une position sensiblement différente, le 2 août, en réponse à plusieurs télégrammes de notre Consul. Le Premier Ministre, interrogé à ma demande par Contamine, reconnaît le danger qu’il y aurait à laisser connaître la position exposée par le Général Puget (afflux des candidats, risque d’indiscrétions et de réactions des Tunisiens). Mais il la confirme « pour le cas de danger précis et imminent » et estime qu’elle devrait être indiquée confidentiellement et à toute éventualité à Jeannot et Amman. Si le Ministre était d’accord, il importerait de marquer à Jeannot qu’il doit jusqu’à nouvel ordre maintenir une attitude absolument négative vis-à-vis de toutes les demandes dont il est saisi. » La note porte en outre la mention : « Vu par le Ministre – Il estime que la position du P.M. n’est pas raisonnable – lui en parlera ».

Sur le terrain, cette différence d’approche se concrétise autour de la question, cruciale pour les Juifs, de l’obtention d’un passeport, d’un visa ou d’un laissez-passer pour la France. La différence s’incarne à travers deux figures distinctes de la diplomatie française, le Consul général à Bizerte, Xavier Jeannot, que nous avons vu à l’œuvre, et Jean Royère, son homologue à Tunis. Avec une constance attestée à travers les nombreuses communications à sa hiérarchie, Jean Royère ne manque pas de dénoncer les démarches des Juifs pour quitter le pays et de manifester sa réprobation : « Le Département n’ignore pas que des centaines de familles tunisiennes de confession israélite s’efforcent par tous les moyens de se fixer en France. Certaines d’entre elles sont dignes d’intérêt, alors que d’autres ne présentent aucun apport pour la communauté française », écrit-il déjà en juin 1960. Même au plus fort de la crise de Bizerte, il continue d’exprimer ses réserves dans les mêmes termes : « La crise franco-tunisienne a incontestablement placé dans une situation très difficile les Israélites tunisiens, et notamment ceux appartenant à l’élite intellectuelle ont toujours été proches des Français par leurs manières de vivre et leurs coutumes. Je tiens à vous faire savoir que, dans ces conditions, je n’ai pas d’objection à ce que soient examinées par priorité et dans un esprit favorable, les demandes de naturalisation déjà présentées ou qui le seront par les Israélites tunisiens présentant les conditions requises par l’article 4 de la loi du 20.12.1923. Seuls devraient être à mon sens reportés les dossiers sur lesquels ce Consulat général a porté un avis nettement défavorable » (bordereau n° 668/669 – 12 août 1961). Il est avéré que le Consul général à Tunis a appliqué avec sévérité les consignes et rejeté de nombreuses demandes de visa sollicitées par des familles juives désireuses de gagner la France. Et à propos de celles qui ont fini par partir, Jean Royère les dénigre auprès de ses interlocuteurs : « Sans méconnaître les raisons humanitaires qui ont incité l’Autorité préfectorale à régulariser sur place certains cas particulièrement intéressants, il n’en reste pas moins vrai que de très nombreux Israélites – dont l’apport à la communauté française paraît pour le moins discutable – s’efforcent de se maintenir en France (en particulier à Paris et à Marseille) bien que leurs visas soient expirés depuis plusieurs semaines. ».

Dans les faits, la question des passeports s’avère cruciale et son traitement délicat. Les Juifs de nationalité française (environ un millier) partent pour la métropole sans difficulté comme tous les ressortissants. Restent sur place près de 900 Juifs pour lesquels la situation est plus complexe. La plupart d’entre eux disposaient de passeports périmés. Jean-Jacques Roos, adjoint du Consul général Jeannot, a utilisé toutes les ressources à sa disposition pour résoudre les problèmes au cas par cas pendant des semaines. Dans ses mémoires, il explique par exemple comment il a travaillé avec une jeune femme tunisienne employée dans la plus importante agence de voyages de Bizerte, dont le propriétaire était juif. Elle se rendait à son bureau au Consulat avec les passeports expirés, Roos accordait alors les visas et les laissez-passer, avec l’accord indirect du Quai d’Orsay, de façon à ce que les passagers puissent débarquer à Marseille. Jean-Jacques Roos assistait à chaque départ des bateaux car la police tunisienne contrôlait les passeports et fouillait des gens. Avant d’embarquer, les familles lui remettaient leur argent, leur or ou leurs bijoux. Deux à trois fois dans la journée, il montait à bord, en sa qualité de diplomate français et leur restituait leurs biens – souvent à leur grand étonnement. Grâce à son action, à la fin du mois d’août 1961, il ne restait « plus que » 325 Juifs tunisiens candidats à l’émigration selon le dénombrement communiqué à Paris par Xavier Jeannot (télégramme n°70 du 26 août) : « Sur ce nombre, environ une centaine disposerait sans doute de titres de voyage et pourrait partir par des moyens normaux. Pour les autres, environ 225, il est au contraire impossible pratiquement d’obtenir des passeports ou des laissez-passer des autorités tunisiennes.».

Opération Solange

La date butoir du départ des Français, le 30 septembre, oblige les dirigeants israéliens du réseau secret en Afrique du Nord à prendre la décision d’amorcer les préparatifs d’une opération d’émigration clandestine d’envergure qui portera le nom de code « Opération Solange ».

Sur le terrain, Maurice Mattouk, jeune recrue de la « misgeret » s’occupe alors principalement de l’aliya du mouvement des jeunes sionistes locaux. Il s’est déjà illustré en organisant, de nuit, le rapatriement à Tunis des adolescents partis en camp de vacances dans la région au moment des violents affrontements. Il va s’impliquer totalement dans l’opération de sauvetage des Juifs de sa ville natale et ne partira qu’avec les derniers émigrants, sur l’une des deux péniches qui relieront Bizerte à Bône[7] le 1er octobre 1961. Durant le mois de septembre, à mesure que la fin de la présence française se rapproche, la situation des quelque 300 derniers Juifs bizertins empire et les menaces se multiplient de toutes parts : « Attendez un peu que les Français ne soient plus là et vous verrez comment on va s’occuper de vous ! » raconte Maurice Mattouk dans ses témoignages. Le 8 septembre, 130 passagers embarquent sur le « Ville d’Oran », munis de passeports tunisiens, escortés par les paras français.

Ce n’est pas moins de trois opérations qui ont été montées par la misgeret avant l’opération “Solange”. L’opération « Har Sinaï » a lieu le 13 septembre : 10 Juifs embarquent sur un navire militaire français à destination de Bône où l’Agence juive les prend en charge jusqu’à Marseille, grâce au Consul Jeannot qui parvient à vaincre les résistances du capitaine. Deux jours après, l’opération « Jéricho » permet à 15 hommes de monter sur un bateau de l’armée, avec un laissez-passer pour Bône. Il reste alors encore 130 noms sur la liste établie par Maurice Mattouk. 7 familles, soit 21 personnes, partent le 22 septembre, par bateau, cette fois au large de Tunis dans le cadre de l’opération « Moshé ». Mais à huit jours de l’expiration du délai fixé pour le départ des Français, 109 personnes attendent encore une issue.

La dernière Souccah des Juifs de Bizerte

C’est à Paris, au prix d’un véritable « marathon diplomatique » que l’issue définitive est mise au point. Sous la direction d’Ephraïm Ronel, le chef des réseaux en Afrique du Nord, basé à Paris, Israël étudie dans les moindres détails la possibilité d’affréter un bateau depuis Haïfa pour ramener les émigrants en Israël, en mouillant un peu à l’écart de Bizerte, à l’insu des autorités tunisiennes.

Le bateau fait déjà escale à Naples, en attente des consignes quand l’opération est annulée après que les deux experts de la marine israélienne dépêchés sur place l’aient déclarée impossible. Les risques sont trop grands et le souvenir encore trop douloureux du naufrage du rafiot l’Egoz, qui a coulé en janvier de la même année au large du Maroc[8], incite Israël à la prudence. Dans son télégramme n°70 du 26 août 1961, déjà cité, le Consul général Jeannot relate en détail les termes de cette opération et précise : « Consulté à cet égard, l’Amiral (Amman) a considéré qu’une telle opération n’était pas irréalisable pratiquement, mais que d’une part elle présentait un caractère aléatoire, suivant les conditions atmosphériques, et que d’autre part elle ne pourrait être effectuée sans autorisation formelle du Ministère français de la Défense Nationale. »

Pour le chef du Mossad, Isser Harel et son bras droit, la seule solution est d’obtenir l’aide du gouvernement français pour organiser le sauvetage des derniers Juifs de Bizerte. Ephraïm Ronel s’adresse à Uzi Narkiss, attaché militaire de l’Ambassade d’Israël en France pour qu’il utilise ses contacts à cette fin. Mais sans ordre de sa hiérarchie directe, ce dernier refuse de passer à l’action. Le chef du Mossad en réfère alors au Premier ministre, David Ben Gurion, qui tranche la question. Dans son journal de l’année 1961, Uzi Narkiss détaille les démarches qu’il a entreprises auprès de ses relations. En voici les principales étapes :

  • 21 septembre : aujourd’hui, j’ai rencontré l’Amiral O’Neill, vice-commandant des forces armées. Nous avons examiné le problème des Juifs que nous voulons faire sortir de Bizerte, suite à la demande de l’Ambassade d’Israël en France, transmise par son Conseiller, Yaël Vered. Il m’a dit qu’il fera tout ce qu’il est possible de faire dès qu’il en recevra l’ordre du Ministère des Affaires Étrangères. Or la position du Ministère est la suivante : les Juifs titulaires d’un passeport français seront évacués avec les Français s’ils le veulent, mais les Juifs qui n’ont pas de passeport français ne seront pas évacués.
  • Il n’y avait donc aucune aide à attendre de ce côté. Dans la nuit du 21 septembre, j’ai rencontré le colonel Maton, chef du cabinet militaire de Michel Debré et un autre ami, le général Dodelier, chef de l’État-Major militaire du cabinet du général de Gaulle.
  • 22 septembre : l’amiral O’Neill m’a fait savoir que malgré la position du Quai d’Orsay, le Premier ministre avait décidé de faire sortir les Juifs de Bizerte. L’ordre a été transmis à l’amiral Amman, responsable de la base de Bizerte, d’évacuer tous les Juifs, avec les familles françaises, dans le plus grand secret, à l’insu des autorités tunisiennes.
  • 27 septembre : une note de l’Élysée me confirme que les Français s’apprêtent à faire sortir la communauté juive de Bizerte.
  • 1er octobre : j’ai télégraphié en Israël : « les 109 Juifs de Bizerte sont arrivés ce matin à Bône à 9h. Il a plu toute la nuit mais leur moral était très haut. L’avion loué par l’Agence juive a décollé à 10h30 et est arrivé à 15h à Marseille. Les autorités françaises à Bône les ont accueillis avec chaleur mais étaient très étonnées car elles n’avaient pas été informées de l’opération.

De son côté, Yaël Vered, Conseiller de l’Ambassade d’Israël en France témoigne « que cette négociation avec le gouvernement français avait été sans aucun doute la plus difficile de toute sa mission en France. Nous étions pressés par le temps. La date du 1er octobre approchait, le général de Gaulle devait se rendre en Pologne, il n’était pas au courant de l’affaire. Tout s’est joué à Kippour lorsque Walter Eytan (Ambassadeur d’Israël en France) a réussi après maints détours et maintes pressions à obtenir une conversation téléphonique directe avec le général, qui était en fait le seul à pouvoir décider. Même l’intervention du Premier Ministre Michel Debré était insuffisante. Le jour de Kippour, le général a donc donné son aval et son accord opérationnel.»

Le shabbat du 30 septembre 1961, au matin, date d’expiration du délai accordé aux Français, le mot d’ordre est passé à chacun : « Préparez vos valises, ce soir nous viendrons vous chercher ; prenez le minimum.» Et à la nuit tombée, dans des voitures privées appartenant aux familles juives et qui seront abandonnées sur place, les derniers immigrants clandestins se rendent vers la base navale. Ils n’ont ni passeport, ni laissez-passer. Ils montent à bord de deux péniches de débarquement de tanks, sans confort. Des bâches ont été installées pour abriter les fuyards des bourrasques et de la pluie drue qui tombe. Les enfants, effrayés, pleurent. Les hommes prient sous cet abri de fortune. C’est le premier soir de la fête de Souccot. Ils ont laissé derrière eux leur pays, leur maison, comme dit la chanson.

Le sauvetage des Juifs de Bizerte, oublié de tous, inaugure le départ de la grande communauté juive de Tunisie. Entre le 1er août et le 1er octobre 1961, 4 200 d’entre eux obtiennent des visas de court séjour pour quitter la capitale tunisienne en toute hâte afin de se réfugier en France. Dans le même temps, 500 autres obtiennent des visas similaires pour Israël.

Fuir Bizerte, quitter la Tunisie… Il reste un petit millier de Juifs aujourd’hui dans le pays, principalement à Djerba et à Tunis, déterminés à rester coûte que coûte… L’histoire si riche de la vie  juive en Tunisie ne saurait se laisser réduire à quelques chiffres et bat toujours dans le cœur de sa diaspora.

Agnès Bensimon a été journaliste en France et en Israël. Après avoir dirigé l’Institut de la Mémoire Audiovisuelle Juive (IMAJ) à Bruxelles, elle a été en charge du service culturel de l’Ambassade d’Israël en Belgique. Elle a réalisé en 2008 un film documentaire sur le cirque juif, « Sous le chapiteau des Pauwels », produit par les frères Dardenne, diffusé sur ARTE et la RTBF.  Elle est également l’auteure d’un essai sur l’émigration clandestine des Juifs du Maroc : « Hassan II et les Juifs, histoire d’une émigration secrète » (Le Seuil, 1991, traduit en hébreu aux éditions Yediot Aharonot,1993).

Notes

  1. Le village est détruit aux trois quarts, une école rasée, on déplore 74 morts et 102 blessés.
  2. Voilà ce que propose le Président Bourguiba le 17 février 1959 : « Pour l’abandon de Bizerte, la seule contrepartie serait la paix et un règlement négocié du problème algérien […] Nous sommes prêts à faire ce sacrifice, si nous pouvons, avec Bizerte, grâce à Bizerte, aider nos frères algériens, et par la même la France, à mettre fin au conflit […] J’estime qu’on peut accepter une base française si cette occasion peut hâter la paix, faciliter la concorde, et ouvrir des possibilités économiques et politiques qui représenteraient pour la France en Afrique du Nord une paix solide… » (in Archives ANOM, Bob. A84, carton 26H25 (2), d 3, f 185, conférence de presse de Bourguiba du 17 février 1959) https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2008-4-page-129.htm#no56
  3. Dans La guerre de Bizerte : le choc de deux Stratégies de Noureddine DOUGUI, on peut lire : « […] au moment où les avions mitraillent les concentrations de troupe, ordre est donné à des foules nombreuses composées d’adolescents, de femmes, d’enfants et de cadres du parti de marcher sur les installations françaises de Bizerte et de Menzel Bourguiba. Mais la tactique des boucliers humains échoue lamentablement. La riposte française ne fera pas de distinction entre civils et militaires. » Voir aussi un télégramme du ministre de la Défense à l’Amiral Amman : « Le procédé des Tunisiens qui consiste à mêler systématiquement des femmes et des enfants aux éléments combattants pose un problème. Chaque fois que la chose sera possible, vous tenterez de la résoudre en exigeant le retrait des non-combattants, par des mises en demeure adressées aux autorités civiles et aux chefs militaires. Mais quel que soit le résultat de ces démarches, c’est en dernière analyse, l’exécution de votre mission qui prime sur toute autre considération »
  4. Mohamed Lazhar Gharbi. Les Cahiers de Tunisie – Vol LXI, n° 189-190. 2004 La crise de Bizerte. Perspective Monde. Université de Sherbrooke. Février 2011
  5. Sur le site Harissa.com en date du 18/08/2015, Armand Meyer Bokobza évoque la mémoire de son ami Henri Bellicha. Tous deux étaient membres du mouvement de jeunesse Hashomer Hatzair à Tunis et avaient participé au mahane (camp) organisé dans la forêt de Bizerte en ce mois de juillet 1961. “Ce séjour avait failli se terminer tragiquement pour plusieurs d’entre nous car nous avions été pris dans les combats violents entre les forces tunisiennes et l’armée française”
  6. Dans la revue tunisienne Leaders, en juillet 2014, le Général Saïd Elkateb revient sur les événements de Bizerte et rend hommage au commandant du Régiment d’Artillerie Bijaoui, tombé au combat le 21 juillet. Il s’interroge : “Pourquoi a-t-on tenu coûte que coûte à envoyer à la casse ce régiment dans la ville même de Bizerte ? Rien ne peut justifier cette décision irréfléchie, absurde (…). De ce sacrifice inutile, il fallait désigner un coupable : le Juif Octave Haccoun en fit office, suivant l’antique tradition du bouc émissaire.
  7. Annaba, « Bouna », anciennement Bône lors de la colonisation française est la quatrième ville d’Algérie en nombre d’habitants
  8. Dans la nuit du 11 janvier 1961, 42 personnes ont péri dans l’ultime traversée de l’Egoz entre Al Hoceima, au Nord du Maroc, et Gibraltar. Il s’agissait de Juifs marocains quittant clandestinement le pays sous la responsabilité de la misgeret en place au Maroc. Voir “Hassan II et les Juifs, histoire d’une émigration secrète”, A. Bensimon. Le Seuil. 1991.