Procès du meurtre antisémite de Mireille Knoll : les deux accusés impassibles

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Yacine Mihoub et Alex Carrimbacus comparaissent depuis mardi et jusqu’au 10 novembre devant la cour d’assises pour le meurtre de cette femme juive âgée de 85 ans commis en mars 2018.

Voilà deux jours qu’ils sont assis côte à côte, sous la surveillance de deux gendarmes qui se tiennent debout derrière eux. Voilà deux jours que leurs regards s’évitent. Dans ce box exigu de la salle Victor-Hugo, au Palais de justice de Paris, sur l’île de la Cité, transformé en camp retranché depuis l’ouverture du procès des attentats du 13-Novembre, moins d’un mètre les sépare. Chemise blanche, lunettes de vue, cheveux noirs taillés court, silhouette légèrement enrobée pour le premier. Chemise bleu sombre, cheveux également noirs pareillement coupés court, silhouette plutôt svelte pour le second, aux airs de grand adolescent que cache un masque sanitaire.

Yacine Mihoub, 32 ans, et Alex Carrimbacus, 25 ans, qui comparaissent depuis mardi 26 octobre et jusqu’au mercredi 10 novembre devant la cour d’assises pour le meurtre de Mireille Knoll, commis le 23 mars 2018 dans le 11e arrondissement de Paris « en raison de l’appartenance de la victime à la religion juive », s’ignorent. Tout juste si, au détour d’une de ses diatribes, Yacine Mihoub désignera d’un signe de tête celui qu’il appelle « l’imbécile ».

Ce mercredi, le brigadier-chef Eric Roignant s’avance vers la barre. C’est lui qui a procédé aux premières constatations le 23 mars 2018, vers 22 heures, dans l’appartement incendié de Mireille Knoll. Photos à l’appui projetées sur l’écran de la salle d’audience, il décrit la scène découverte ce soir-là : l’appartement de la victime « d’environ 80 m2 », estime-t-il, l’odeur de cramé, « la pellicule de noirceur » qui enveloppe les murs et les meubles du salon, le canapé et le fauteuil roulant détruits par les flammes ; puis la chambre avec le lit médicalisé sur lequel gît le cadavre pour partie calciné de Mireille Knoll.

A première vue, selon le policier, « une personne âgée d’environ 70 ans » (en réalité, elle en a 85). Là aussi, le feu déclenché sciemment en plusieurs endroits de l’appartement a noirci les murs, brûlé le matelas et le haut du lit.

« Je reconnais l’incendie mais pas l’assassinat »

Pendant que le policier se remémore le détail des lieux et des objets qu’il a relevés dans la nuit du 23 au 24 mars 2018, Yacine Mihoub et Alex Carrimbacus ne cillent pas. Figés sur leur chaise, ils s’efforcent de ne pas laisser leurs regards s’échapper vers cet écran qui affiche leur crime. Au fur et à mesure que les images défilent, le policier explicite : un verre brisé au pied du lit, les quatre robinets de la gazinière ouverts mais celui de l’arrivée générale du gaz heureusement fermé, le déambulateur – abîmé par les flammes – laissé en bordure du lit, ou encore la position de la victime, allongée sur le dos, jambes tombantes vers le sol avec ses chaussettes blanches qui remontent sur le haut des chevilles.

Pendant la trentaine de minutes que dure cette projection, Yacine Mihoub reste les yeux baissés derrière ses lunettes, tandis que, par intermittence, Alex Carrimbacus amorce un coup d’œil furtif vers le haut, comme pour saisir à la dérobée quelques instantanés d’images. Depuis leur arrestation, les deux jeunes hommes aux parcours de vie cabossée se rejettent la responsabilité du meurtre de Mireille Knoll, tuée de onze coups de couteau.

Yacine Mihoub est né le 28 octobre 1989 à Paris. Il conteste « une partie des faits » – « je reconnais l’incendie mais pas l’assassinat », dit-il – mais il parle de lui avec volubilité et s’exprime parfaitement. Son père ? « Juste un alcoolique, pas grand-chose à dire de lui. » Sinon qu’il mettait « des patates ». Sa mère ? « J’ai été très heureux avec elle pendant mon enfance, je voulais son amour rien que pour moi. » Ses sœurs et son frère ? Il les a toujours aimés, même si parfois les coups partaient.

« C’était une sorte de grand-mère de substitution »

C’est après ses 12 ou 13 ans que Yacine est devenu impossible. Sa mère, Zoulikha Khellaf, poursuivie dans ce dossier pour « destruction de document ou d’objet concernant un crime », raconte à la barre que, dans la famille, Yacine semait la zizanie. « Il s’énervait, insultait tout le monde » et la frappait, elle et ses deux filles. « Yacine, il a ramené ses problèmes à la maison », assure-t-elle. Pensionnaire dans un établissement dès le CP, il a été violé à l’âge de 12 ans par ses copains de chambre.

C’est après cet événement que Yacine est parti « en vrille ». Il a commencé à boire dès l’âge de 13 ans. A perdu goût aux études alors qu’il était plutôt bon élève et a fini par être renvoyé de l’école en classe de 4e. Il a toutefois obtenu un BEP sanitaire et social. « Je voulais devenir aide-soignant », assure-t-il. Mais à 16 ans, il est interpellé pour vol et rejoint un monde qui ne le quittera plus : celui de la prison. Yacine a neuf condamnations inscrites à son casier judiciaire. Des vols, des agressions et des fausses alertes à la bombe. Sa spécialité. « C’est pour faire chier », lâche-t-il.

Entre deux incarcérations, Yacine se plaît à rendre visite à la voisine de sa mère, au deuxième étage de l’immeuble. Mireille Knoll aime bien ce gamin serviable, qui lui tient compagnie après le décès de son mari. Atteinte de la maladie de Parkinson, elle peine de plus en plus à se déplacer seule. Yacine ne rechigne pas à lui faire des petites courses. A l’en croire, « c’était une sorte de grand-mère de substitution ». Face à ses juges, Yacine se donne le beau rôle. Certes, il est loin d’être parfait – « l’alcool, c’est toujours un problème récurrent », admet-il – mais, même s’il « affabule des fois sur [sa] vie, pour [se] valoriser et [se] sentir bien », il est désormais convaincu qu’il est sur « le bon chemin ». Celui de la rédemption, s’entend.

« Une enfance particulièrement instable »

La religion ? Il est « musulman de naissance » mais il ne prie qu’en prison. Sinon, comme dit sa mère, « quand il sort de prison, le Coran, il en a rien à foutre ». Et il n’a rien contre les juifs, malgré les déclarations de son comparse Alex Carrimbacus, qui a affirmé que Yacine et Mireille Knoll avaient eu une discussion le jour du meurtre, au cours de laquelle Yacine avait reproché aux juifs d’avoir « des moyens financiers et une bonne situation ». De plus, alors qu’il était incarcéré, il avait inscrit dans sa cellule son soutien à Amedy Coulibaly, l’auteur de l’attentat contre l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, en janvier 2015.

A l’instar de son coaccusé, Alex Carrimbacus apparaît lui aussi, dès son adolescence, dans les fichiers de police. Il est né le 17 mai 1996 à Beauvais. Père inconnu, dont sa mère assure qu’il serait mort dans un accident de voiture trois mois avant sa naissance. Comme il le dit lui-même, Alex aura « une enfance particulièrement instable ». A 8 ans, il est en proie à des crises de violence que sa mère ne parvient pas à contrôler. Elle le place en institution. Il doit son nom à un ex-compagnon de celle-ci, alcoolique et violent.

Les services sociaux le décrivent comme « un enfant très perturbé ». A tel point qu’en 2011 – il a 15 ans –, un psychiatre lui prescrit un traitement psychotrope. Il n’a pas 20 ans quand il effectue son premier séjour en hôpital psychiatrique (il y en aura vingt-cinq en tout). Ensuite, il connaîtra la rue. Lui aussi sombrera dans l’alcool et le crack. « J’étais jeune », s’excuse-t-il du haut de ses 25 ans.

Dans la soirée du 23 mars 2018, quelques heures après le meurtre de Mireille Knoll, les deux hommes sont allés dans un bar à proximité de Nation. Sur la vidéosurveillance de l’établissement projetée mercredi à l’audience, on y voit Carrimbacus hagard, effondré sur une table, tandis que Mihoub, collé au comptoir, palabre plein d’entrain. Au président de la cour, Franck Zientara, qui lui demandait de commenter ces images, Zoulikha Khellaf a répondu parlant du comportement de son fils : « Il a l’air joyeux. ».

Source lemonde

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