Un patron de la police parisienne en flagrant délit de refus d’obtempérer

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Pris en chasse dans sa voiture banalisée après avoir grillé des feux, le haut fonctionnaire a refusé d’obéir aux injonctions des policiers de la circulation.

La peur du « gendarme » s’est évanouie, pouvait-on lire dans un article du Figaro publié en août 2020 au sujet d’un rapport du ministère de l’Intérieur consacré aux refus d’obtempérer. Le quotidien pointait du doigt « une frange de la population en rupture avec les valeurs qui cimentent notre société ».

En guise de « frange de la population en rupture » avec nos valeurs, un équipage de policiers a pris en chasse, vendredi 17 septembre, à l’heure du laitier, un des patrons de la police parisienne au sein de la préfecture de police (PP). Sa Skoda grise, sans marque distinctive, appartenant au contingent de véhicules attribués à la DSPAP (Direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne), qui a autorité sur tous les effectifs policiers des commissariats, grille un premier feu rouge à l’angle de la rue Geoffroy-Saint-Hilaire et de la rue Poliveau, dans le 5e arrondissement de Paris.

Voie à contresens

Les gardiens de la paix décident alors de mettre en action leurs avertisseurs lumineux. Ils ne sont d’aucun effet sur l’automobiliste, qui continue sa route malgré, en outre, des appels de phares. Il est 7 h 30 du matin, les fonctionnaires de police ne souhaitent pas affoler tout le quartier. Le conducteur poursuit son trajet et franchit un deuxième feu rouge, cette fois du côté de la rue Buffon. C’en est trop : les policiers actionnent leurs avertisseurs sonores. Le refus d’obtempérer est caractérisé : le délinquant routier accélère, prend une voie à contresens et zigzague entre les véhicules.

La chasse perdure jusqu’au boulevard Saint-Germain. Arrivé rue des Bernardins, le fugitif ne peut plus avancer, il est bloqué par le flot de la circulation, les automobilistes respectueux des règles s’étant, eux, arrêtés au rouge. Deux policiers descendent de leur véhicule sérigraphié, armes chaussées, et remontent à pied vers le conducteur dangereux pour lui-même et pour les autres.

Épaulettes à feuilles de chêne

C’est la stupéfaction pour ces policiers du rang : l’homme qui conduit porte la chemise blanche et les épaulettes ornées de feuilles de chêne des patrons de la préfecture de police. Surpris mais professionnels, les fonctionnaires osent demander des comptes à travers la vitre du conducteur. Le haut fonctionnaire fait mine de ne rien voir et profite du passage au vert pour repasser la première et fausser compagnie aux agents.

Ce ponte de la DSPAP utilise une voiture banalisée pour ne pas attirer l’attention sur ses fonctions là où il vit. Le véhicule ne comporte donc ni gyrophare ni pare-soleil « Police ». Ce qui ne l’autorise pas pour autant à rouler sans respecter le Code de la route, bien au contraire.

On ignorait ce matin si le service de déontologie et de soutien aux effectifs (SDSE), organe d’inspection et de contrôle de la DSPAP, a été saisi. Pour auditionner l’un de ses chefs ? Il est peu probable, en revanche, que la police des polices enquête sur cette affaire malgré un rapport circonstancié conservé par la hiérarchie de la PP. À la DSPAP, on reconnaît l’existence de ce rapport sans admettre la réalité du refus d’obtempérer, qui « serait plutôt le résultat d’une incompréhension entre les protagonistes ». Interrogé, le cabinet du préfet n’a pas encore réagi.

Un refus d’obtempérer toutes les 30 minutes

Selon le ministère de l’Intérieur, un refus d’obtempérer est commis toutes les 30 minutes en France. En début d’année, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, alertait sur ce phénomène : « Un refus d’obtempérer est recensé toutes les 20 minutes en zone gendarmerie et toutes les 30 minutes en zone police. Onze policiers et gendarmes sont morts dans l’exercice de leurs fonctions en 2020, dont la moitié à cause d’un refus d’obtempérer. »

Ne pas s’arrêter aux injonctions des policiers ou des gendarmes est pourtant passible d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. Parfois, les risques de forcer un contrôle sont bien plus élevés encore : ils peuvent se solder par la mort du fonctionnaire ou bien de l’automobiliste.

Par Aziz Zemouri

Source lepoint