Israël : les dernières heures au pouvoir de Benyamin Nétanyahou

Abonnez-vous à la newsletter

Après douze années aux affaires, « Bibi » a été contraint de quitter son poste, dimanche 13 juin, suite au vote de la Knesset en faveur d’un gouvernement dirigé par Naftali Bennett. Pendant ces derniers instants, le premier ministre sortant s’est employé à délégitimer le nouvel exécutif.

Dans sa chute, Benyamin Nétanyahou emprunte à son « ami » américain, Donald Trump. Certes, ses partisans déçus ne comptent pas envahir le Parlement, à Jérusalem, comme en janvier ceux de M. Trump, le Capitole, à Washington. Le premier ministre israélien sortant ne questionne pas non plus le résultat du dernier scrutin, à la différence du président républicain. Mais il s’efforce de miner la légitimité de ceux qui le remplacent.

Dimanche 13 juin, des députés d’extrême droite puis du Likoud ont bouleversé la session parlementaire où se jouait la transition démocratique. Dans cette cacophonie, le futur premier ministre, Naftali Bennett, a mené son allocution, inquiet, nerveux d’abord, puis finissant par y prendre plaisir.

Au terme de douze ans de règne ininterrompu, M. Nétanyahou a saisi le pupitre dans le calme retrouvé, avant le vote de confiance des députés, pour dénoncer avec amertume « les mensonges », la « tromperie » qu’a infligé selon lui aux électeurs la « fake » droite (fausse, en anglais) de M. Bennett, en se rangeant parmi ses opposants.


« Comment peut-on faire confiance à quelqu’un qui a trompé ses électeurs par une tromperie comme nous n’en avons pas vue dans l’histoire de l’État ? »

M. Nétanyahou n’a pas eu un mot d’encouragement pour son successeur, mais il a concédé une brève poignée de main à M. Bennett. Si ce dimanche dessine son mode d’action au futur, il paraît déterminé à paralyser le gouvernement de l’extérieur. Il se dit responsable devant trois millions d’électeurs de droite et devant l’histoire du peuple juif. Il estime que M. Bennett n’a pas la carrure pour s’opposer à la menace nucléaire iranienne, ni à l’administration démocrate à Washington, qu’il a défiée une dernière fois.

La « jalousie » de rivaux « impatients »

Alors que les possibles candidats républicains à la présidentielle américaine de 2024 se succèdent ces derniers jours à Jérusalem, M. Nétanyahou a dressé un parallèle entre la volonté du président Joe Biden de raviver l’accord international de 2015 sur le nucléaire iranien et l’échec de son prédécesseur, Franklin D. Roosevelt, à bombarder les voies ferrées qui menaient aux camps d’extermination nazis avant la fin de la seconde guerre mondiale. Constant depuis deux ans, M. Nétanyahou confond encore le destin d’Israël et le sien propre, en affirmant qu’il « compte poursuivre la mission de [sa] vie ».

Cette chute interminable de la maison Nétanyahou a peu à voir avec la précédente. En 1999, il avait concédé de bonne grâce sa défaite face au travailliste Ehoud Barak, après trois ans d’un premier mandat chaotique. Vingt minutes après les premiers sondages de sortie des urnes, il avait demandé aux électeurs du Likoud de respecter le sort démocratique. Puis il avait quitté la direction du parti, avant que ses rivaux ne se manifestent, et renoncé à son mandat à la Knesset. M. Nétanyahou a maudit ce choix durant une décennie. Il n’est revenu au pouvoir qu’en 2009, avec la ferme intention de « ne plus lâcher le volant », selon l’expression de son prédécesseur, Ariel Sharon.

Aujourd’hui, les esclandres de dimanche sont l’aboutissement attendu de « la plus grave crise politique de l’histoire d’Israël », selon Yohanan Plesner, le directeur de l’Institut d’Israël pour la démocratie (IDI). Quatre élections législatives depuis avril 2019 se résument à la fin d’un seul homme, poursuivi en justice pour corruption, qui n’a eu de cesse de dénoncer une « cinquième colonne » traîtresse aux intérêts d’Israël, des juges et des médias « de gauche » acharnés à sa perte, et les anciens alliés qui l’ont quitté.

« L’objectif est atteint, ils ont fait tomber Nétanyahou, mais ils ont échoué à le faire disparaître », relevait dès avant dimanche Tzachi Hanegbi, fidèle du premier ministre au sein du Likoud, qui réduit les deux années passées à la « jalousie » de rivaux « impatients ». « Ce n’est pas la chute du Likoud. Nous avons obtenu trente sièges aux législatives de mars ! », s’indigne un autre membre du bureau politique du parti, qui souhaite demeurer anonyme. « Nétanyahou a ruiné ses relations personnelles avec trop de gens. Il n’a pas voulu partager avec ceux qui l’avaient mené au pouvoir. »

Perte du sens politique

Le fait est que M. Nétanyahou a systématiquement étouffé une jeune génération de droite. A commencer par l’ex-secrétaire général du Likoud, Avigdor Lieberman, qui a lancé le jeu de massacre en mai 2019, en refusant de rejoindre un gouvernement qu’il jugeait inféodé aux partis ultraorthodoxes. Petites et grandes défections d’« alliés naturels » ont suivi jusqu’à celle de Gideon Saar, le fidèle qui avait joué un rôle clef pour ramener le Likoud au pouvoir en 2009. Incapable d’obtenir un ministère, celui-ci a rompu fin 2020, en dénonçant les attaques de M. Nétanyahou contre l’Etat de droit.

Longtemps, M. Nétanyahou fut considéré au centre et à gauche comme un partenaire de gouvernement légitime. « Aujourd’hui c’est un cynique achevé. Mais il n’a pas commencé ainsi », rappelait en mars son ancien ministre de l’économie, le centriste Yaïr Lapid, architecte de la coalition qui le dépose aujourd’hui.

Impossible de sous-estimer ce sentiment d’illégitimité, qui s’est répandu depuis deux ans dans l’opinion. « Nétanyahou a fait plus qu’aucun autre pour effacer le débat d’idées en Israël, intimidant ses adversaires, entretenant un bruit assourdissant. Il a fini par susciter un authentique sentiment de dégoût, parmi les manifestants qui ont campé durant près d’un an sous ses fenêtres à Jérusalem, mais aussi à droite », note le philosophe de gauche Assaf Sharon.

Le « roi Bibi », le « magicien ». A quel moment M. Nétanyahou a-t-il perdu ce sens politique, qui fait de lui le plus craint des dirigeants contemporains d’Israël ? « Nétanyahou est un maître jongleur, capable de tenir dix balles dans les airs. Mais il ne sait pas se tenir. Il prend les autres de haut, il irrite et humilie », juge un ancien conseiller et fin observateur, qui lui non plus ne souhaite pas être nommé. « Peu avant le dernier scrutin de mars, quelqu’un lui a suggéré d’approcher Saar et Bennett avant que les résultats ne soient annoncés. Il a ri. Il jugeait que cela n’était pas nécessaire. » Deux mois plus tard, M. Nétanyahou envisageait une rotation au poste de premier ministre, et de les laisser passer avant lui. Mais trop tard.

Un dernier carré de fidèles

M. Bennett, admirateur longtemps transi, a attendu jusqu’au lendemain des élections de mars pour se voir invité, pour la première fois, à la résidence du premier ministre. En mai, il dénonçait le « chaos » dans lequel M. Nétanyahou entraînait le pays « par intérêt personnel ». De même pour le centriste Benny Gantz, que M. Nétanyahou a maltraité au long de leur alliance, conclue en mai 2020.

Quand bien même le pays votait largement en mars pour des partis de droite (72 parlementaires sur 120, en comptant les ultraorthodoxes) il n’est resté à la fin qu’un dernier carré de fidèles : la clientèle ultraorthodoxe et les franges les plus extrêmes de la droite. Ce sont eux in fine qui ont ruiné le dernier espoir de M. Nétanyahou, en refusant d’avaliser une alliance avec le parti islamiste de Mansour Abbas. Ce dernier l’avait vivement souhaitée, avant de rejoindre la coalition d’alternance en mai, signalant lui aussi sa lassitude.

Source lemonde