Aristides, héros méconnu et sauveur de juifs : une histoire incroyable

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L’histoire de la liste de Schindler est connue, celle d’Aristides de Sousa Mendes beaucoup moins et pourtant… En 1940, ce diplomate et consul du Portugal à Bordeaux sauva des milliers de personnes, dont 10 000 juifs, de la déportation en fournissant des visas pour quitter la France.

Il est des héros connus et d’autres beaucoup moins, tout comme les histoires… Alors, celle du consul portugais Aristides de Sousa Mendes sera, elle aussi, bientôt mise en lumière dans un film inédit « L’héritage d’Artistides » qui lui rend hommage car il n’est jamais trop tard pour cela et mieux vaut tard que jamais…

Qui est Aristides ?

Aristides de Sousa Mendes est un diplomate portugais né en 1885. Nommé Consul général du Portugal à Bordeaux en août 1938 à l’âge de 53 ans, il s’installe dans les locaux du consulat, 14 Quai Louis XVIII, avec sa femme et ses 14 enfants. Au péril de sa vie et de celle de sa famille nombreuse, il refuse de suivre les ordres de Salazar, premier ministre du gouvernement portugais, et signe, en juin 1940, des visas aux personnes menacées souhaitant fuir la France. Il a alors 30 ans de carrière dans la diplomatie.

Il est immédiatement démis de ses fonctions, condamné à une mise à pied pendant un an suite à un procès disciplinaire, suivi d’une mise à la retraite immédiate. Il ne reprendra donc jamais ses fonctions au sein du gouvernement, son acte ayant définitivement signé la fin de sa carrière.

Il meurt à Lisbonne en 1954 dans la misère et la plus grande indifférence. Voici ce qu’il dira à son neveu sur son lit d’hôpital, juste avant sa mort : « Je n’ai rien à vous laisser sauf mon nom et il est propre. »

Chronologie des faits

Entre la fin de 1939 et les six premiers mois de 1940, le consul est confronté à la tragédie de milliers de réfugiés menacés par l’avancée des troupes allemandes, cherchant par tous les moyens des visas afin de se rendre au Portugal, pays neutre, pour rejoindre ensuite les Etats-Unis, le Canada, la Palestine et les pays d’Amérique latine.

Le 17 juin 1940, il prend une décision historique en désobéissant aux ordres du premier ministre portugais, le dictateur Antonio de Oliveira Salazar, et à sa circulaire raciste N°14 du 11 novembre 1939 interdisant l’entrée au Portugal aux juifs, aux apatrides et aux opposants politiques.

A 8 heures, il ouvre les portes du consulat et demande à tout le personnel de se mettre au travail et de laisser entrer tous les réfugiés. Il signe alors des milliers de visas et émet de nombreux passeports.

Entre le 17 et le 24 juin 1940,  Aristides de Sousa Mendes et ses collaborateurs, dont le vice-consul de Bayonne, délivrent 30 000 visas (de 12 000 à 15 000 à Bordeaux, 10 000 à Bayonne) dont 10 000 visas à des juifs.

En huit jours seulement, cet acte exceptionnel sauvera de la barbarie nazie plus de trente mille personnes juives et non juives.

Voici ce que dit de lui Simone Veil : « Il ne faut pas croire que cela allait de soi : les hauts fonctionnaires ou les diplomates qui ont, un jour ou l’autre, choisi d’aider des juifs, refusant d’être des rouages complices de régimes criminels, sont des exceptions. Aristides de Sousa Mendes figure dans cette poignée de diplomates qui osèrent délivrer des visas à des juifs. […] Je souhaite qu’à travers son exemple chacun puisse réfléchir aux responsabilités toutes particulières qui incombent aux serviteurs de l’Etat, aux conséquences parfois décisives que peuvent avoir leurs actes, à la liberté qu’ils peuvent toujours saisir malgré leur devoir d’obéissance, quand, du plus profond de leur conscience, ils perçoivent la nécessité de dire non. »

Une action héroïque aux conséquences lourdes

Résister à une autorité souveraine au nom de valeurs humanistes et de la foi fut de toute évidence le choix fait en toute conscience par Aristides.

Cet homme profondément humain et croyant s’est senti obligé de désobéir, avec, pour seule arme, un tampon officiel.

Il savait pertinement alors que, par con acte, il allait permettre à des êtres humains de s’enfuir au lieu de partir, contraints, vers les camps d’où ils ne reviendraient jamais…

Un visa pour la libération plutôt que la condamnation. Un visa pour la vie plutôt que la mort. Quoi qu’il lui arrive en conséquence de cela, son choix était fait.

Professionnellement et personnellement, son acte délibéré fut immédiatement lourd de conséquences, provoquant un important traumatisme et une empreinte indélébile au cœur de la famille.

Rappelé au Portugal par Salazar dès le mois de juillet, il sera destitué de l’ensemble de ses droits et sa carrière sera brisée.

Quant à sa famille disloquée et sans moyens suite à sa révocation, les projets de vie au Portugal devenant impossibles pour les enfants de par une mise à l’index par les autorités, chacun dut alors se résoudre à l’exil.

A la mort de sa femme en 1948, il partit au Canada. Il reviendra ensuite à Lisbonne où il achèvera sa vie dans le plus grand dénuement en 1954.

Et aujourd’hui encore, parmi la génération de ses petits-enfants, certains plus que d’autres vivent toujours avec la mémoire parfois encombrante de leur grand- père…

Des hommages à l’étranger et dans la région

Il aura fallu plusieurs décennies pour que les hommages commencent, à l’étranger d’abord comme au Canada et aux Etats-Unis, puis au Portugal. Et aussi en Nouvelle-Aquitaine.

  • En 1966, il fut honoré à Jérusalem par Yad Vashem du titre de « Juste parmi les Nations ».
  • En 1986, il fut réhabilité par la République portugaise.
  • En 2020, le parlement portugais vota à l’unanimité l’entrée au Panthéon national du consul Aristides de Sousa Mendes.
  • Et tout dernièrement puisque c’était le 28 avril 2021, le Sénat américain honora, sur proposition du sénateur républicain Mitt Romney, la mémoire et le travail humanitaire d’Aristides de Sousa Mendes par une résolution. Une action approuvée cette fois par le président de la République portugaise, Marcelo Rebelo de Sousa.

En Nouvelle-Aquitaine aussi…

Les survivants et leurs descendants ont également honoré sa mémoire en plusieurs endroits, comme à Bordeaux et à Bayonne.

  • En avril 2014, les autorités ont dévoilé une plaque commémorant la mémoire d’Aristides de Sousa Mendes à Bordeaux devant les anciens locaux du consulat, 14 quai Louis XVIII.
    Voici ce que l’on peut y lire : « A la mémoire de Aristides de Sousa Mendes (1885 – 1954). Juste parmi les Nations. Consul général du Portugal à Bordeaux (1938-1940). Il a sauvé 30 000 réfugiés, dont 10 000 juifs, menacés par l’avancée des troupes nazies en leur délivrant des visas d’entrée au Portugal. Désobéissant aux ordres de son Gouvernement, il écouta la voix de sa conscience au détriment de sa carrière et de sa famille. Pour cet acte héroïque, il a été condamné par Salazar en octobre 1940. Qui sauve une vie sauve l’humanité »
  • A Bayonne, une rue porte son nom depuis avril 2015. Elus et représentants du Comité en hommage à Aristides de Sousa Mendes étaient présents pour baptiser cette nouvelle voie dans le centre-ville. L’opportunité de lancer une semaine d’événements dédiés au consul du Portugal.

  • Ou encore en 2016 à Bordeaux, l’hommage à Aristides de Sousa Mendes lors des commémorations du 76ème anniversaire de l’Appel du 18 juin 1940. Les caméras de France 3 étaient présentes à cette occasion.

Et aussi un comité et une fondation

Le comité national français en hommage à Aristides de Sousa Mendes  a été créé en 1987 à Bordeaux en mémoire de l’immigration portugaise en Aquitaine.

Dès son origine, le Comité a tenu à travailler avec la famille d’Aristides de Sousa Mendes, les autorités portugaises en France, les instances représentatives de la communauté juive en Aquitaine ainsi que la communauté portugaise en France.

Le Comité a conduit un ensemble d’actions en Aquitaine, en France et au Portugal afin de contribuer à mieux faire connaître l’action de ce grand humaniste.

C’est à lui que l’on doit, notamment, le buste d’Aristides de Sousa Mendes sur l’Esplanade Charles de Gaulle à Bordeaux ou, plus récemment, l’exposition «1940, l’exil pour la vie» inaugurée le 25 avril 2021 à Peniche au Portugal.


Une fondation a également été créée le 23 février 2000 avec, pour finalité, la divulgation et la défense des droits de l’homme et des idées démocratiques modernes, en prenant comme référence « l’action solidaire et inestimable de la personnalité qui inspire sa création et lui donne son nom : un diplomate portugais qui a décidé de sacrifier ses intérêts propres – économiques et professionnels, sociaux et familiaux – afin de pouvoir sauver la vie de milliers de victimes de persécutions raciales et politiques, par une action humanitaire, courageuse ferme et continuée; qui a souffert avec abnégation jusqu’à la fin de sa vie une persécution systématique de la part des pouvoirs institués sans que ne soit jamais reconnu son geste de solidarité. »

Un autre hommage en image

Et désormais, il y a le documentaire « L’héritage d’Aristides » pour explorer la transmission de cette action humaniste, 80 ans après les faits.

Tourné à Bordeaux, au Portugal, aux Etats-Unis et à Jérusalem à la rencontre d’enfants de réfugiés sauvés, ce sont eux qui racontent l’action de sauvetage de leurs parents aujourd’hui disparus puisque, malheureusement, aucun témoin direct n’est encore en vie.

Les descendants d’Aristides s’expriment aussi dans des lieux chargés d’histoire et de souvenirs…


Une histoire exceptionnelle qui témoigne d’un héritage multiple, intemporel et unique à travers un acte de courage héroïque. « L’héritage auquel le titre du film fa t ici référence, ce sont tout d’abord les milliers de personnes sauvées qui ont eu une descendance. J’interroge la transmission de cette histoire au sein des familles de réfugiés en donnant la parole aux générations des enfants et petits-enfants disséminés sur les différents continents. Chaque parcours de vie est singulier. » selon Patrick Séraudie, le réalisateur. Le film a même bénéficié d’une projection en avant-première à Miami…


La liste de Schhindler a été portée sur grand écran, celle de De Sousa Mendès le sera désormais sur petit écran. France Télévisions rend hommage à sa façon à ce héros méconnu qui, au nom de sa conscience et de son humanité, a bravé les lois et pris tous les risques pour sauver toutes ces personnes qui, grâce à lui, ont aujourd’hui, eux aussi, des descendants….

Et pour celles et ceux qui voudraient en savoir plus sur Aristides de Sousa Mendes, deux livres retracent les années cruciales de l’ancien Consul du Portugal : Le juste de Bordeaux (Mollat) de José-Alain Fralon paru en 1998 et aussi Le Consul (Galllimard) signé Salim Bachi en 2014.

Ecoutez le romancier Salim Bachi lors de la présentation de son livre à la libraire Mollat à Bordeaux.


En conclusion, on ne peut penser qu’à cette citation de Le Talmud : « Qui sauve une seule vie, sauve le monde entier » 

Il faut parfois peu de jours pour tant faire comme il faut parfois peu de mots pour tant dire…L’héritage d’Aristides : lundi 17 mai à 22.55 puis en replay sur na.france3.fr (France 3 Nouvelle Aquitaine)

Source francetvinfo