Jean-Luc Chetboun, le mystérieux avocat de Chalençon

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Jean-Luc Chetboun, ami et conseiller du présumé organisateur des dîners clandestins, est lui-même poursuivi par la justice. Après avoir joué dans un film dont le financeur s’est suicidé, il est mis en examen au côté des frères Bogdanoff pour escroquerie sur personne vulnérable.

Difficile de dire qui, de l’avocat parisien Jean-Luc Chetboun ou de son client, Pierre-Jean Chalençon, est le plus déroutant. Ce dernier, ayant droit chevelu de Charles Trenet et fan de Napoléon, est soupçonné par la brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP) d’avoir organisé des dîners clandestins au cœur de Paris, au Palais Vivienne, dont il est le propriétaire. Quant à son fantasque conseil, avocat spécialisé en droit de la propriété intellectuelle, qui l’épaule dans ses affaires depuis quatre ans, il passe au premier abord pour un artiste contrarié.

Jean-Luc Chetboun, 51 ans, a d’ailleurs peint une partie des toiles exposées dans son bureau, se met volontiers au piano et a longtemps pris des cours d’art dramatique. Un brin mystique, habité, plus passionné par « Jésus, Moïse et les écritures judéo-chrétiennes » que par le code pénal, il tire un peu le diable par la queue et travaille seul dans son petit espace à deux pas du Palais Vivienne, dans le 2e arrondissement de Paris. D’un naturel fébrile, il s’y ronge les sangs. Car, depuis janvier, Me Chetboun est mis en examen et renvoyé devant le tribunal correctionnel au côté, notamment, des frères Igor et Grichka Bogdanoff. Comme eux, l’avocat est poursuivi pour « escroquerie sur personne vulnérable ».

Jean-Luc Chetboun est soupçonné d’avoir fait partie du cercle de profiteurs qui, durant l’hiver 2017-2018, ont extorqué de l’argent à un millionnaire bipolaire, ancien hôtelier normand, Cyrille P. Tandis que les célèbres jumeaux multipliaient les sollicitations pour régler leurs dettes et relancer « Temps X », leur célèbre émission des années 1980 sur TF1, d’autres profitaient du fait que le généreux millionnaire rêvait d’investir dans le septième art.

De l’emprise au suicide

Me Chetboun, l’un de ses amis producteur de cinéma et la fille de celui-ci sont ainsi poursuivis pour avoir entraîné Cyrille P. à dilapider sa fortune dans un film aux conditions de production douteuses, Noni. Le fruit de l’espoir. Les frères Bogdanoff et Jean-Luc Chetboun y tiennent chacun un rôle. Dans la bande-annonce du long métrage, les jumeaux apparaissent en blouses blanches de laborantins, penchés sur des fioles, et l’avocat au crâne chauve, en tunique de lin, un point rouge sur le front, fait un salut indien.

On y voit également la tête d’affiche, le défunt Robert Hossein, client et ami de Jean-Luc Chetboun. Sous l’emprise du groupe, Cyrille P. a financé le tournage à l’île Maurice en janvier 2018, sans s’inquiéter de la comptabilité fantôme de la société de production, du manque de techniciens, du scénario indigent…

D’après l’ordonnance de renvoi, les mis en examen ont obtenu 600 000 euros de la victime pour un film « qui n’en vaut pas plus de 50 000 », selon un protagoniste du tournage, et ont « produit le film coûte que coûte pour tenter de masquer leurs agissements ». Me Chetboun est également accusé d’avoir présenté, en tant qu’avocat, une prestation d’accompagnement fictive à Cyrille P. en établissant une fausse facture, en échange de 27 500 euros.

Ébranlé, humilié, le millionnaire s’est suicidé à 53 ans le 31 août 2018, au plus fort de l’enquête, en sautant d’une falaise d’Étretat. Quelques semaines plus tôt, il avait écrit aux enquêteurs : « Je suis en grande souffrance, trop c’est trop. Ils m’ont fait croire monts et merveilles. »

« Anti-avocat »

Fils de commissaire de police, l’avocat se dit « très fragilisé psychologiquement par cette affaire », qu’il refuse d’évoquer. Il est intarissable, en revanche, sur les liens qu’il entretient avec ses clients. Il veille depuis des années aux intérêts de Samy Naceri, CharlÉlie Couture ou Francis Lalanne. « J’arrive à les canaliser, j’aime bien les personnalités, les électrons libres », indique-t-il.

Dans son bureau trônent des instruments de musique, mais aucune robe noire n’attend la prochaine plaidoirie. Lorsque Pierre-Jean Chalençon a été placé en garde à vue, le 9 avril, Jean-Luc Chetboun a sollicité l’un de ses confrères, Patrick Vilbert, pour l’assister. « Il préfère que je m’occupe de l’aspect procédure pénale », avoue ce dernier. « Ma valeur ajoutée, c’est l’échange humain, explique Jean-Luc Chetboun, modeste. Je suis l’anti-avocat. J’ai une perception du métier très psychologique ».

Ainsi, il n’a, par exemple, pas poussé la patineuse Sarah Abitbol, dont il gère les contrats depuis vingt ans, à déposer plainte quand elle a révélé, en 2020, avoir été violée, adolescente, par son entraîneur : « Les faits étaient prescrits, et cela aurait été trop éprouvant pour elle, se défend Me Chetboun. Elle faisait des cauchemars, j’étais là pour en parler avec elle. »