2021, l’année Robert Badinter

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L’ancien ministre de la Justice publie un recueil de pièces de théâtre. Une biographie paraît également, ainsi qu’une BD adaptée d’un de ses livres.

Il faudrait toujours lire les pièces de théâtre avant de les voir jouer. Car la scène, les lumières une fois rallumées et le rideau avouent quelque part ce qu’elles sont : une fiction. Mais quand cette pièce est sur papier, qu’elle tient en quelques pages et qu’elle se lit comme un document historique en raison de la vraisemblance des dialogues, on se prend à croire que tout est vrai. On oublie la création. On se convainc que René Bousquet et Pierre Laval se sont bien échangé ces mots, à Fresnes, en 1945, dans la cellule de l’ancien chef du gouvernement de Vichy, à la veille de sa condamnation à mort. On se persuade que leurs plaidoiries pro domo se sont jouées telles que les raconte Robert Badinter, l’auteur de cette pièce intitulée Cellule 107, publiée dans un recueil Théâtre I (Fayard). Le combat pour l’abolition de la peine de mort a occulté des pans entiers de la vie de l’ancien ministre de François Mitterrand, qui se présente à nous, avec ce nouveau livre, comme un « accro » au théâtre, qui, dans le passé, a même siégé au comité de lecture de la Comédie-Française.

La rafle des enfants

La pièce : en octobre 1945, un échange – véritable – eut lieu entre Pierre Laval et René Bousquet, sans témoin. Connaisseur de la période pour l’avoir vécue et étudiée, Badinter, 92 ans, a imaginé un dialogue dont la force tragique nous amène à croire qu’il ne doit pas être éloigné de la réalité. Les deux hommes, parmi les plus puissants sous l’Occupation, évoquent leurs origines, leurs parcours et leurs responsabilités dans la période récente, notamment celle concernant la déportation des juifs. Laval : « Si j’ai bonne mémoire, c’est vous Bousquet en 1942 qui les avez fait arrêter comme apatrides. – […] Avec votre accord. – […] Livrer les juifs étrangers pour sauver les israélites français. Je n’en rougis pas. » Reste le sort des enfants, lesquels furent également raflés. Bousquet : « À ce sujet, comme pour le reste, j’ai toujours suivi vos instructions. – […] Vous prenez soin d’ouvrir le parapluie […] Vous m’avez conseillé de livrer aussi les enfants juifs arrêtés, dont les parents étrangers étaient déportés. […] J’ai hésité. Ça n’a jamais cessé de me peser. » Badinter traduit leurs motivations, leurs interrogations, n’hésitant pas, et c’est une force, à leur prêter des émotions et une conscience, lourde de leurs méfaits.

Une bande dessinée

Pétain, la haute administration, Hitler, la Milice, le socialisme, la justice… Tous les sujets sont abordés avec acuité, précision. Si nous savons ce que Badinter pense de Bousquet, horreur et rejet, il se retient, dans l’avant-propos, d’évoquer la relation de l’ancien chef de la police de Vichy, finalement acquitté, avec François Mitterrand. Un silence abordé dans la biographie* que lui consacrent Dominique Missika et Maurice Szafran. Il y a plusieurs années, interrogé sur cette relation par Bernard Pivot, Badinter s’était refusé à « jouer les procureurs de vertus ». Les auteurs de la biographie révèlent l’existence d’une lettre de l’avocat envoyée à Mitterrand pour lui dire sa réprobation. Badinter n’en dira pas plus, fidèle à sa ligne. Outre Cellule 107, Badinter refait le procès d’Oscar Wilde, poursuivi pour homosexualité, et, dans une troisième pièce, nous conte l’histoire de la destruction du ghetto de Varsovie par les nazis. Où l’on voit qu’en pourfendant les idées de haine, l’avocat, avec distance et sans esprit de revanche, fait montre de qualités, les mêmes qui l’ont animé toute sa vie, et d’abord celle d’humanisme. Dans un autre registre, Idiss, un livre paru en 2018, dédié à sa grand-mère née en Bessarabie tsariste, sera adapté en bande dessinée, aux éditions Rue de Sèvres, par l’avocat Richard Malka et le dessinateur Bernard Fred. 2021 sera une année Badinter en raison des 40 ans de l’abolition de la peine de mort. Faisons-lui une fête pour l’ensemble de ses legs !

*L’homme juste, éditions Tallandier

Saïd Mahrane

Source lepoint

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