L’homme qui a tué sa voisine juive, Sarah Halimi, en 2017 à Paris, peut-il être jugé pour ce crime commis en pleine « bouffée délirante »? La Cour de cassation se prononcera le 14 avril.
Le 4 avril 2017, Kobili Traoré, un musulman de 27 ans, avait roué de coups sa voisine juive de 65 ans, Lucie Attal – aussi appelée Sarah Halimi – aux cris de « Allah Akbar » avant de la défénestrer d’une HLM de Belleville, dans l’est parisien.
L’affaire avait relancé une vive polémique sur l’antisémitisme qui imprégnerait certains quartiers populaires, faisant réagir jusqu’au président Emmanuel Macron et au chef du gouvernement israélien. Mais deux ans et demi plus tard, la perspective d’un procès semblait s’éloigner.
Le 19 décembre 2019, la chambre de l’instruction de la cour d’appel avait conclu, en effet, sur la base de trois expertises médicales, que le jeune homme était « irresponsable pénalement en raison d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement » au moment des faits.
Cette décision, synonyme d’abandon des poursuites judiciaires, avait été vivement critiquée par des politiques de tous bords, dont la maire de Paris Anne Hidalgo, et plusieurs personnalités, notamment de la communauté juive.
Paradoxe
Mercredi, devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, les avocats de la famille de la victime ont soulevé un « paradoxe« : la consommation de stupéfiants ou d’alcool avant de commettre une infraction est considérée habituellement comme une circonstance aggravante en matière pénale, mais deviendrait une cause d’irresponsabilité pénale si elle cause un trouble psychotique majeur.
« Si la consommation est excessive et entraîne une abolition du discernement, l’auteur s’est volontairement mis dans cette situation« , a mis en avant Me Julie Buk Lament, en soulignant que Kobili Traoré consommait une quinzaine de joints par jour depuis l’âge de 16 ans.
A l’inverse, la défense et l’avocate générale ont défendu la distinction entre l’ivresse causée par des psychotropes mais qui laisse une part de discernement, et une « bouffée délirante » qui l’abolit totalement.
« Kobili Traoré ne savait pas que sa consommation de cannabis pouvait entraîner une bouffée délirante« , inédite chez lui, a martelé Me Patrice Spinosi. « On vous demande une décision politique: consacrer un principe général d’exclusion de l’irresponsabilité pénale dès lors qu’il y a eu une consommation de stupéfiants« , s’est-il insurgé, s’inquiétant d’une proposition de loi déposée d’ailleurs au Parlement en ce sens. L’avocat a appelé la Cour à ne pas créer « une jurisprudence Halimi » sous la pression de l’opinion publique et des politiques.
« Vide juridique »
Tout en reconnaissant un « vide juridique » pour ce cas et une question « complexe« , l’avocate générale Sandrine Zientara a elle aussi invité la Cour à ne pas se substituer au politique et à rester fidèle à ses décisions passées, qui laissent l’appréciation de l’irresponsabilité pénale aux juges du fond.
Si, pendant l’enquête, sept experts psychiatriques ont tous conclu à une « bouffée délirante » chez le jeune homme, probablement provoquée ou aggravée par sa forte consommation de cannabis, l’un d’eux s’était démarqué sur les conséquences juridiques à en tirer. Le Dr Daniel Zagury suggérait en effet de retenir « l’altération du discernement« , invoquant une « intoxication chronique volontaire » dont Kobili Traoré ne pouvait ignorer les dangers.
Les magistrats de la cour d’appel ne l’avaient pas suivi et avaient déclaré le jeune homme irresponsable pénalement, tout en retenant que les charges étaient suffisantes pour des poursuites pour meurtre avec la circonstance aggravante de l’antisémitisme. Sur ce dernier point, ils avaient suivi les explications du Dr Zagury sur la dimension antisémite du geste de Kobili Traoré, pris d’un « délire persécutif polymorphe, à thématique mystique et démonopathique« . « Dans le bouleversement délirant, le simple préjugé ou la représentation banale partagée se sont transformées en conviction absolue« , avait expliqué l’expert dans son rapport.
Les magistrats de la cour d’appel avaient enfin ordonné l’hospitalisation complète du jeune homme, mesure administrative sous la responsabilité du préfet, et imposé vingt ans de mesures de sûreté, comprenant l’interdiction d’entrer en contact avec les proches de la victime et de retourner sur les lieux.