En Pologne, c’est la recherche sur la Shoah qu’on veut réduire au silence

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Deux historiens polonais sont attaqués devant les tribunaux par la droite nationaliste pour avoir révélé la complicité d’un maire de village sous l’occupation allemande dans le meurtre de Juifs.

Il y a deux ans, des nationalistes polonais perturbaient un colloque consacré à la «Nouvelle école polonaise d’histoire de la Shoah». Ce colloque, organisé avec le soutien, notamment, de la Fondation pour la mémoire de la Shoah et L’EHESS, était destiné à présenter les travaux des chercheurs polonais et à les soutenir face aux attaques qu’ils subissaient de la part des autorités polonaises. La presse et la télévision gouvernementales de Varsovie, ainsi que certains médias d’extrême droite, avaient relayé les «protestations», dont certaines explicitement antisémites, de ces individus et avaient publiquement mis en cause nos collègues polonais. Les actes ont été publiés par CNRS-Editions.

Aujourd’hui, c’est sur le terrain judiciaire que la droite nationaliste a concentré ses attaques. Le 12 janvier dernier s’est tenue la dernière audience du procès en diffamation de Barbara Engelking, directrice du Centre de recherche sur l’extermination des Juifs (Académie polonaise des sciences) et de Jan Grabowski, professeur d’histoire de l’université d’Ottawa. Il leur est reproché d’avoir dirigé un ouvrage (Plus loin, c’est encore la nuit, 2018) dans lequel Barbara Engelking est accusée d’avoir sali la mémoire d’un maire de village sous l’occupation allemande, mentionnant qu’il aurait été coresponsable de la mort de Juifs alors que, selon l’accusation, il aurait manifesté un comportement contraire.

De la complexité des relations judéo-polonaises

Le procès en diffamation est intenté par une nièce de ce maire, défendue par une puissante «Ligue de défense du bon renom de la Pologne», soutenue par les autorités. Ce qui est nouveau dans cette attaque, c’est qu’elle met directement en cause les sources, les méthodes et les résultats d’une recherche menée pendant plusieurs années. Barbara Engelking a souligné, sources précises à l’appui, qu’un même individu pouvait à la fois sauver des Juifs et dénoncer des Juifs. Cette complexité appartient à la réalité des relations judéo-polonaises pendant la guerre. Le camp nationaliste, qui «défend la fierté nationale», ne veut pas voir cette complexité. Ainsi les juges sont mis en situation de devoir se prononcer sur une recherche qui sort de leur domaine de compétence requise.

En se situant sur le terrain judiciaire et en voulant frapper financièrement nos collègues, cette irruption pernicieuse, dans le cœur même de la recherche, d’individus acharnés à ne pas admettre les avancées des sciences sociales, est grave car elle vise non seulement à discréditer les travaux de spécialistes de renommée internationale mais à dissuader de jeunes chercheurs à se diriger vers des problématiques aussi risquées. Nous nous associons aux protestations des historiens américains et israéliens contre ce procès en sorcellerie. Jugement le 9 février prochain.

Jean-Charles Szurek, politologue, directeur de recherches émérite au CNRS