Gorce : Si les journaux ne résistent pas à la pression des réseaux sociaux…

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Le quotidien « Le Monde » s’est excusé pour un dessin jugé offensant de Xavier Gorce. Le dessinateur s’étonne de cet arbitrage entre humour et morale.

Mardi 19 janvier, Le Monde a fait paraître un dessin de Xavier Gorce – par ailleurs collaborateur occasionnel au Point – dans sa newsletter matinale. Ce dessin, que nous reproduisons ici, a suscité un élan d’indignation sur les réseaux sociaux, notamment porté par le député Aurélien Taché, le rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité Nicolas Cadène et la journaliste militante Rokhaya Diallo. Quelques heures plus tard, la directrice de la rédaction Caroline Monnot a publié un message aux lecteurs, précisant que « ce dessin signé Xavier Gorce n’aurait pas dû être publié », jugeant que ce dessin pouvait être lu « comme une relativisation de la gravité des faits d’inceste, en des termes déplacés vis-à-vis des victimes et des personnes transgenres. Le Monde tient à s’excuser de cette erreur auprès des lectrices et lecteurs qui ont pu en être choqués. »

Ce fait inédit illustre le malaise croissant de la presse face aux dessins politiques et autres caricatures. Depuis les attentats contre Charlie Hebdo dans lesquels les caricatures ont joué un rôle central, de nombreux titres renoncent à publier des dessins qui pourraient heurter leurs lecteurs ou susciter des polémiques interminables. Fait marquant, le New York Times a en effet renoncé en juin 2019 – après une caricature jugée antisémite – à publier des dessins dans son édition internationale, comme c’est le cas depuis longtemps dans son édition américaine. Pour Xavier Gorce, « le rire n’a pas à répondre aux impératifs de la morale ». Depuis la parution de cette interview, Xavier Gorce a annoncé sur Twitter qu’il quittait le Monde. Entretien.

Le Point : Le quotidien Le Monde qui présente ses excuses en expliquant qu’un de vos dessins n’aurait pas dû être publié, c’est inédit ?

Xavier Gorce : Je travaille pour Le Monde depuis 18 ans, je n’ai jamais eu de dessin censuré et j’ai toujours bénéficié d’une grande liberté. Je suppose que ce dessin a dû être jugé correct avant sa publication, sinon il ne serait pas passé… À l’heure qu’il est, le dessin est toujours sur le site et je refuse de parler de censure. En revanche, que le journal s’excuse pour l’un de mes dessins, c’est une première. Ce dessin a été mal compris, il est pourtant clair. C’est une ironie sur les propos d’Alain Finkielkraut qui s’interrogeait sur le fait de savoir ce qu’était l’inceste, comme si cela pouvait amoindrir la faute morale… Je rappelle, à travers ce dessin, que si les structures familiales contemporaines peuvent, certes, brouiller la notion d’inceste, les violences sexuelles et la pédocriminalité restent indiscutablement un crime. C’est un contresens total que d’imaginer que mon dessin serait une quelconque légitimation de ces crimes…

Ce n’est pas la première critique que vous recevez sur votre travail…

Évidemment, non. D’abord, il peut y avoir des dessins mauvais, ça arrive. Il y a aussi des gens qui ne comprennent pas, d’autres qui n’ont pas de second degré, je n’y peux rien. Il y a aussi des gens qui refusent de comprendre pour se consacrer entièrement à leur indignation, ce sont eux qui me posent problème. Ils ont un agenda idéologique et cherchent à soulever l’indignation des masses plutôt qu’à rire ou réfléchir, cela leur permet, pensent-ils, de faire avancer leur cause.

Vous regrettez ce dessin ?

 Je ne regrette jamais, sauf lorsque j’ai l’impression de me tromper. Et là, ça n’est pas le cas. J’ai l’impression que ce dessin est clair et sans ambiguïté.

On vous reproche, dans ce dessin, de vous moquer des victimes, de faire de l’humour sur des minorités. Vous n’aimez pas les minorités ?

 C’est faux, rien ne peut laisser penser une chose pareille. Je vois surtout que la susceptibilité des réseaux sociaux a encore frappé ! Oui, il y a des communautés qui s’identifient comme victimes de la société, à tort ou à raison, et les communautés transgenres font partie de tous ceux qui n’acceptent pas que l’on fasse de l’humour sur des situations vécues douloureusement… Mais si on ne doit plus rire des situations douloureuses, je ne vois pas de quoi on va pouvoir rire dans les dessins de presse des années à venir ! Le rire est une défense, une critique, jamais une moquerie ou une humiliation. Je regrette d’avoir à le préciser, mais pour moi, le rire n’a pas à répondre aux impératifs de la morale ou de l’émotion, car la morale n’a rien à voir avec l’intelligence ou la compréhension des choses. Aujourd’hui, les réseaux sociaux attendent que l’on s’indigne de tout. Croire que l’humour consisterait à se moquer des victimes est un contresens, je fais ce que j’ai toujours fait, j’ironise sur des situations absurdes. Le fait de s’interroger sur la filiation pour définir s’il y a inceste ou pas inceste évidemment est une ironie, comme si changer la définition de l’inceste pouvait excuser la pédocriminalité…

Peut-on rire sans blesser ?

On me reproche d’ironiser sur les gens qui se sentent « victimes », au lieu de m’en prendre à ceux qui sont ou seraient « méchants », comme si l’humour devait répondre aux impératifs de l’indignation et se donner pour mission de défendre tous ceux qui se déclarent victimes. C’est grave de penser ainsi, car on remplace la recherche d’une vérité par un débat sur le moral ou l’immoral. Je reste convaincu que le dessin de presse n’est pas là pour faire de la morale ou participer à des élans d’indignation collective. Mes dessins ironisent sur tous les aspects de notre société, et ce, depuis toujours.

Ce n’est pas la première fois que vous ciblez la mouvance militante très active sur les réseaux sociaux…

 Dans ces espaces, la morale se substitue au réel, on ne se soucie plus de la justesse des choses, mais de leur moralité présumée. Cela prête le flanc à toutes les dérives. Le parallélisme avec les phénomènes d’inquisition n’est pas exagéré, les faits étaient jugés par un tribunal religieux, qui décidait de ce qui était conforme ou non à la bienséance et non au droit. Je croyais que nous étions débarrassés de tout cela, grâce à État – laïque – qui organise la séparation des pouvoirs et garantit la liberté de conscience comme d’expression. Sauf que l’on voit resurgir des tribunaux populaires qui se substituent à ces mécanismes de droit et s’arrogent le droit de dire ce qui est correct et ce qui ne l’est pas.

Êtes-vous inquiet sur l’espérance de vie du dessin de presse ?

 Si les rédactions ne résistent pas à la pression des réseaux sociaux, que ce soit pour des raisons d’image ou par peur des campagnes de dénigrement aux implications économiques, elles peuvent être tentées de faire table rase des choses jugées incorrectes ou offensantes comme peut parfois l’être le dessin de presse. C’est ce même phénomène qui a conduit le  New York Times à renoncer aux caricatures pour ne plus avoir à affronter de situations difficiles… les équipes ont décidé de supprimer les dessins. J’espère que  la culture woke présente dans la presse anglo-saxonne dite de gauche n’est pas en train de déteindre sur la presse française…

1 Comment

  1. l’affront qui a ici été fait à ce dessinateur, est désolant, mais rien ne prouve qu’il faille incriminer ce qu’on appelle par antiphrase les « réseaux sociaux » : le pestilentiel ‘Monde’ est lui-même, partie prenante en cette affaire, par l’idéologie dont il est porteur et son réseau de relations du côté Sciences-Po

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