Voulu par Emmanuel Macron mais menacé de naufrage, ce texte sur l’islam de France, après plusieurs rebondissements verra bien le jour. Chronique de Mohamed Sifaoui, pour le JDD.
Après nombre de rebondissements, la « charte des principes pour un islam de France », qu’Emmanuel Macron appelait de ses vœux, devrait enfin voir le jour. Alors que l’affaire était mal engagée pour cause de fortes divergences entre les courants de l’islam hexagonal, le chef de l’État a fortement insisté auprès de Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), à l’occasion de la traditionnelle cérémonie des vœux aux autorités religieuses, le 7 janvier, répétant qu’il y tenait. Avant que le ministre de l’Intérieur prenne le relais. Samedi, Gérald Darmanin a reçu dans son bureau Mohammed Moussaoui et ses deux vice-présidents, Brahim Alçi et Chems-eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris. Dans le bureau du ministre, les échanges ont été âpres. Mais au bout de quatre heures, le texte proposé par ce dernier, retouché par les représentants des deux autres courants, a finalement fait consensus.
C’est une avancée notable, et une indéniable clarification idéologique. La charte, en l’état, rappelle que son objectif est d’ « instaurer des rapports apaisés et confiants entre la communauté nationale […] et tous les musulmans vivant sur le territoire de la République ». Elle précise aussi que « les signataires s’engagent à ne pas criminaliser un renoncement à l’islam, ni à le qualifier de ridda [apostasie], encore moins de stigmatiser ou d’appeler […] à attenter à l’intégrité physique ou morale de celles ou de ceux qui renoncent à une religion ». Ce passage est important : il interdit désormais formellement à un imam de jeter l’anathème sur les personnes nées dans une famille musulmane et qui décident d’assumer leur athéisme ou de changer de croyance. Une accusation qui, jusqu’ici, pouvait être synonyme de condamnation à mort. La charte engage les signataires à « s’inscrire dans le respect […] de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme [qui] consacre la liberté […] de conscience et de religion ».
Le recteur de la mosquée de Paris affirme sa « satisfaction »
Autre avancée : le rappel d’une intangible égalité entre femmes et hommes, mais aussi de la nécessité d’une action « pédagogique » pour expliquer que « certaines pratiques culturelles […] ne relèvent pas de l’islam ». Sont ici ciblés l’excision, les certificats de virginité et les mariages forcés. La charte rejette également « les superstitions et les pratiques archaïques, notamment celles qui prétendent relever de la médecine dite « prophétique » et qui mettent en danger la vie de croyants abusés ». De même, « toutes les formes de racisme, de discrimination et de haine de l’autre, notamment les actes antimusulmans, les actes antisémites, l’homophobie et la misogynie » sont condamnées et qualifiés d’ »expression d’une déchéance de l’esprit et du cœur ».
Mais le progrès majeur de ce texte concerne la désignation des doctrines extrémistes – comme le takfir (excommunication) ou al-wala al-bara (alliance et désaveu) – ainsi que le refus de l’islamisme et sa définition « par islam politique« , est-il précisé : « la présente charte désigne les courants politiques et/ou idéologiques appelés communément salafisme (wahhabisme), le tabligh ainsi que ceux liés à la pensée des Frères musulmans et des courants nationalistes qui s’y rattachent ». Cette dernière mention de « courants nationalistes » vise précisément l’AKP et le Milli Görüs, qui, sur recommandation du régime turc de Recep Tayyip Erdogan, cherchent à influencer l’islam de France. Le texte stipule que les lieux de culte « ne sont pas érigés pour la diffusion de discours nationalistes défendant des régimes étrangers ». L’allusion au tabligh et aux Frères musulmans, elle, cible sans ambages deux fédérations du CFCM : Foi et Pratique (tabligh) et Musulmans de France, l’ex-UOIF (Union des organisations islamiques de France, émanation des Frères musulmans).
Ces passages sont d’autant plus fondamentaux qu’il s’agit de ceux que les islamistes voulaient supprimer. Ainsi, celui rejetant la propagande visant à accréditer l’idée que la France serait un État raciste : « Les dénonciations d’un prétendu racisme d’État, comme toutes les postures victimaires, relèvent de la diffamation. Elles nourrissent et exacerbent à la fois la haine antimusulmane et la haine de la France. »
Le feuilleton, pourtant, n’est pas terminé. Qui signera ? Que vont faire les islamistes ? La charte est claire, qui prévoit une exclusion, en cas de non-respect du texte, des instances du culte musulman. Pour l’heure, aucun responsable n’a réagi. Seul le recteur de la mosquée de Paris affirme sa « satisfaction » de voir Mohammed Moussaoui et les fédérations importantes « revenir à la raison ». Le président du CFCM réunira dimanche les autres courants pour tenter de les convaincre de signer la carte. Emmanuel Macron devrait recevoir tous les signataires du texte lundi à l’Élysée.