Comment Le Puy a protégé « ses » réfugiés juifs

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Dans l’ombre du Chambon-sur-Lignon et du plateau protestant, Le Puy-en-Velay et sa proche banlieue ont accueilli plusieurs centaines de Juifs, français comme étrangers, entre 1939 et 1945.
Des réfugiés qui ont été relativement épargnés des rafles. Grâce à l’action de héros de l’ombre, de fonctionnaires courageux et plus surprenant, d’un responsable allemand peu concerné par la traque des Juifs… Un épisode méconnu de l’histoire locale. Premier volet…

Un grand voile blanc recouvre la vitrine de l’ancienne boutique, « pour plus de discrétion ». Derrière la vieille porte en bois, le local est modeste, l’espace restreint mais rien ne semble manquer au rabbin Poliatschek. Ce lundi de juillet 1943 est un jour de fête : il se prépare à célébrer une Bar-Mitzvah, lors d’une cérémonie qui marque le passage à la majorité religieuse dans la tradition juive. Le lieu, situé rue Sarrecrochet, au sommet de la rue du Bessat, dans le dédale pavé du vieux Puy, est connu depuis déjà plusieurs mois par tous les Ponots pour être devenu la synagogue de la ville qui accueille les nombreux réfugiés juifs présents en ville. Un secret de polichinelle à quelques centaines de mètres à vol d’oiseau de la Kommandantur, installée dans les murs de la maison Fontanille, Boulevard Maréchal-Joffre.

Une indifférence générale

« Tout le monde savait y compris les autorités allemandes, explique aujourd’hui Yvan Raphaël, refugié juif alsacien au Puy-en-Velay entre 1941 et 1944. Malgré le contexte et les lois de l’époque, chacun a laissé faire ». Si le lieu n’a pas échappé aux actes antisémites (1), la synagogue de fortune a fonctionné en semi-clandestinité au Puy-en-Velay jusqu’en août 1944 dans une certaine indifférence générale. Et ce au cœur d’une France alors aux mains de l’envahisseur nazi et d’un gouvernement de Vichy multipliant les mesures anti-juives… L’épisode est resté méconnu de l’histoire locale. Il en dit pourtant long sur ce que fut la vie des nombreux Juifs venus trouver refuge au Puy dès 1940. « On doit beaucoup à cette ville : peut-être même d’être encore en vie, confie avec émotion Michel Blum. Si tout n’a pas été parfait, on peut dire qu’ici, nous avons trouvé une certaine tranquillité qu’il n’y avait pas ailleurs. Tout ça grâce à une population accueillante, des fonctionnaires en majorité bienveillants et à l’inaction à notre égard de responsables allemands en place. Aujourd’hui, il est temps que cette ville soit mise à l’honneur »

Le quartier de La Renaissance,  « la synagogue »

Dès l’hiver 1939, Le Puy-en-Velay et sa proche banlieue accueillent de nombreux réfugiés suite aux évacuations puis lors de l’exode plus massif des semaines suivantes. Ce flux de « Nordistes » inquiète la population : il n’est pourtant que temporaire pour la grande majorité d’entre eux. Parmi ces nouveaux arrivants, de nombreuses familles juives, notamment alsaciennes, choisissent pourtant de s’établir sur place. « Certains connaissaient le Velay à l’instar des Heller Kling pour avoir été en affaires avec des entrepreneurs locaux avant-guerre », décrypte Yvan Raphaël. Au fil des mois et par le biais du bouche-à-oreille, d’autres familles juives en quête de tranquillité vont venir s’installer au Puy et ses alentours, notamment Chadrac. On en vient même à surnommer le quartier de La Renaissance, où se concentrent beaucoup d’entre elles, « la petite synagogue ». « A l’école ou au lycée, dans chaque classe, nous étions quatre ou cinq réfugiés juifs. Je dois dire que je n’ai jamais ressenti d’antisémitisme ».Une des pages du document original du recensement des Juifs sur la ville du Puy. Photo DR

Le Puy est alors acquis au Maréchal Pétain, héros de Verdun, considéré comme valeur morale et patriotique. Sa venue le 2 mars 1941 est un triomphe réunissant de 100.000 personnes. « La population est alors plutôt indifférente et silencieuse de façon générale sur les Juifs », constate l’historien François Boulet (2). En 1942, rien qu’au Puy, un document des services préfectoraux recense « 263 israëlites français et étrangers établis sur la ville », chiffre le plus élevé du département de Haute-Loire dans une ville où la communauté juive était quasiment inexistante avant guerre…
Au fil des semaines, d’autres réfugiés juifs, français comme étrangers, arrivent au Puy non sans mal pour se loger. La Préfecture transmet une note à Vichy à l’été 1943 comptabilisant « 423 individus israëlites sur la ville préfecture et sa proche banlieue », à savoir Chadrac, Vals et Espaly. Des chiffres sans doute bien en deça de la réalité grâce aux faux papiers qui circulent et au manquement de nombreux réfugiés juifs concernant les déclarations obligatoires auprès de la police. Le commissaire Brie évoquera bien plus tard, lui, le chiffre de 700 juifs présents à l’époque sur l’arrondissement ponot… « Il faut bien se rendre compte que nous étions très nombreux pour un territoire comme le bassin du Puy, affirme Gérard Marx. Je me souviens même qu’à l’occasion de grandes fêtes juives, il nous arrivait de louer de grandes salles de la ville pour nous réunir. »
Et de raconter : « Nous sommes arrivés à l’été 1942 avec ma famille et je me rappelle qu’il était difficile de se loger, même pour trouver un petit meublé. Beaucoup de Juifs, comme nous, venaient se réfugier ici. On avait finalement trouvé un petit appartement faubourg Saint-Jean ».Le préfet Robert Bach a joué un double jeu. 

De cette période, il garde en mémoire une adolescence presque normale dans une ville où il pouvait « étudier et circuler normalement sous le regard des soldats Tartares (3) qui ne s’occupaient pas de nous ». Un sentiment partagé par Yvan Raphaël. « Nous habitions à La Renaissance et mon père travaillait aux Établissements Bonnet (distillerie-malterie). Le quotidien n’était pas tous les jours facile, comme pour l’ensemble de la population, mais on a nous a aidés pour mener une vie presque normale, notamment le maire de Chadrac. J’ai fréquenté les bancs du lycée Charles-et-Adrien Dupuy sans connaître de problème ». Et d’ajouter avec le sourire : « pour gagner quelques sous, je travaillais pendant les vacances dans un magasin de cycles du Puy. Et les dimanches, moi petit réfugié juif, je louais même des vélos à des soldats allemands en permission ».

« Madame, vous n’êtes pas Juive, rentrez chez vous »

Alors que les rafles se multiplient à travers tout l’hexagone, les Juifs du bassin ponot sont, eux, relativement épargnés et jouissent d’une certaine « tranquillité ». Les raisons en sont multiples. Il faut d’abord les chercher du côté de l’administration française. Le préfet Robert Bach, en poste entre juin 1941 et octobre 1943, joue un double jeu avec les autorités allemandes et celles de Vichy. « Il a aidé à la mise en place d’un véritable département refuge en ralentissant les arrestations, en favorisant des actions de protection », relate l’historien François Boulet. André Trocmé, principal pasteur du Plateau, saluera même son action après-guerre. L’épisode reste méconnu de l’histoire locale. 

La bienveillance locale à l’égard des Juifs se trouve aussi du côté de la police. Le commissaire Robert Brie, en première ligne, traîne ostensiblement des pieds dès qu’il s’agit de la question juive. Dans des notes, il dénonce le « recensement des israëlites dont la police a la charge » pour la ville du Puy et ne semble guère concerné par les directives à suivre. Les autorités allemandes pointent du doigt le laxisme dont fait preuve la police locale tout comme celui de la gendarmerie avec des rafles qui s’avèrent à chaque fois des fiascos organisés.
Aux côtés de Brie, le sous-brigadier Marcel Fachaux, résistant de la première heure du mouvement Combat, œuvre aussi pour sauver des vies. « Madame, vous n’êtes pas Juive, rentrez chez vous », rétorque-t-il sèchement en novembre 1942 à Agathe Singer, venue au commissariat, comme l’exigeait la loi pour s’inscrire auprès des autorités en tant que « juifs nouvellement arrivés au Puy ». Le soir même, il délivre à la famille de faux papiers et tickets de rationnement avec son collègue Helten. Les deux hommes, avec le soutien de leur supérieur, mettent même en place un système d’alerte pour prévenir les nombreuses familles juives du Puy et ses environs en cas d’arrestations programmées. Dans l’ombre, Marcel Fachaux et son épouse employée des Postes (qui multiplie les écoutes) ont permis d’épargner sans doute la vie de dizaine de juifs français et étrangers. Tous deux sont devenus Justes parmi les Nations en septembre 2007.

« Schmäling nous ignorait volontairement »

Et les autorités allemandes dans tout ça ? C’est là toute la particularité de l’exemple ponot, qui lui a sans doute valu de pas entrer dans l’histoire. A ce jour, les historiens se déchirent encore sur le rôle joué par le major Schmäling, plus haut responsable de la place ponote. Ce professeur à l’école normal dans le civil, grand passionné d’art et officier de réserve, arrive au Puy à l’hiver 1942. Personnage complexe et bourré de paradoxes, il a mené une lutte sans faille envers les Résistants et réfractaires au STO en Haute-Loire mais s’est montré plutôt passif, pour ne pas dire désintéressé, de la question juive. « À aucun moment ni mon père, dans la demeure modeste de la rue Léon-Cortial, où passait chaque jour un défilé presque ininterrompu de Juifs, étrangers pour la plupart, qui avait laissé sa mezouza à sa porte et que tout le monde appelait “monsieur le rabbin”, ni moi, qui organisais pourtant chaque Shabbat avec des jeunes n’avons été inquiétés par le commandant Schmäling, témoigne en 1992 Jean Poliatschek, fils du rabbin du Puy. Il nous ignorait volontairement et a jeté de nombreuses lettres de dénonciation pour ne pas qu’elles tombent dans les mains de la Gestapo ».
Le Major allemand n’a d’ailleurs, en vingt mois d’occupation, déclenché aucune rafle. Le principal danger vient alors des incursions soudaines de la Gestapo de Clermont-Ferrand et de Saint-Étienne (il n’y avait pas d’antenne en Haute-Loire) sans oublier la milice locale. Les quelques rafles qui aboutissent au Puy se font sans la participation de la police et de l’armée allemande.

« S’ils ne furent pas épargnés, le tribut qu’ils ont payé est moins lourd qu’ailleurs »

Dans son livre Mémoires, Serge Klarsfeld, « chasseur de nazis », réfugié en 1944 à Saint-Julien-Chapteuil, souligne lui aussi le rôle non négligeable joué par Schmäling. « Dès 1943, il se murmure qu’en Haute-Loire, le risque est moins grand qu’ailleurs et que le major allemand qui siège au Puy-en-Velay ne s’intéresse pas aux Juifs. Ce renseignement se révélera exact ». L’inaction de Schmäling sur ce plan finit même par alerter ses supérieurs qui envisagent de le remplacer par le Colonel Enns Metger, un nazi aux dents longues.
Les chiffres ne sont pas clairs en ce qui concerne les Juifs du Puy arrêtés et déportés : « une petite dizaine » selon des estimations. Un nombre toujours trop élevé mais bien loin des terribles statistiques relevées sur toute la France.
« Nous avons eu de la chance de vivre cette période au Puy : nous sommes parmi les derniers témoins à pouvoir transmettre cela, pour que ça ne tombe pas dans l’oubli », affirme Gérard Marx. Une formule de Gérard Combes, premier historien à s’être penché sur le sort des réfugiés en Haute-Loire dès les années 1960, résume bien le destin des réfugiés Juifs du Puy. « S’ils ne furent pas épargnés, le tribut qu’ils ont payé est moins lourd qu’ailleurs ».

(1) Un rapport de police de décembre 1943 relève des inscriptions antisémites sur la vitrine de la synagogue. Les Juifs sont accusés « d’être les rois du marché noir ».
(2) L’état d’esprit en Haute-Loire 1940- 1944 : des refuges aux maquis. François Boulet. Cahier de la Haute-Loire – Société d’Histoire de la Montagne. 2003.
(3) Les soldats tartares sont des prisonniers « russes » sous uniforme allemand, mais sans arme. Il s’agit souvent de Mongols, Tartares ou Mandchous.

Source leveil

2 Comments

  1. Mon père,capitaine FFI, groupe La Fayette,,a participé à la libération du Puy le 19 Août 1944, après avoir provoqué la désertion des soldats tartares et tchouvatches,car,natif d’Ukraine,il parlait le russe et leurs langues

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