Le sanctuaire du silence, par le rabbin Moshe Pitchon

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Être conscient que notre existence fait partie de quelque chose qui nous transcende, être conscient que nous faisons partie d’une réalité que nous n’avons pas créée et que nous ne contrôlons pas, n’est pas quelque chose à quoi il est facile de penser ni une idée qui nous met à l’aise. En fait, c’est peut-être même une pensée effrayante.

Serait-ce la raison pour laquelle, la plupart du temps inconsciemment, nous menons une vie très active et compulsive ? Nous avons peur de nous ennuyer, nous cherchons toujours quelque chose à faire quand nous ne travaillons pas. Les divertissements, les voyages, les informations inutiles et les bavardages incontrôlables comblent les lacunes créées par la tranquillité. Combien de temps de notre vie est passé dans la simple contemplation, méditant silencieusement sur notre rôle notre place dans l’univers ?

Une pause dans la musique n’est pas un manque de musique, mais fait partie intégrante de la composition. Comme l’a dit Claude Debussy, « la musique est le silence entre les notes ».

Les livres de l’Exode et du Lévitique qui contiennent des comptes rendus détaillés de la plupart des rituels du Temple de Jérusalem ne mentionnent aucune forme d’activité verbale qui accompagne ces rituels. Tous les actes des prêtres sont accomplis en silence.

Le Temple décrit dans la Torah est un sanctuaire du silence. La religion israélite a choisi ce Sanctuaire du silence pour permettre au sentiment d’émerveillement face à la sainteté de s’emparer de ceux qui venaient au Temple.

Rosh ha-Shanah et Yom Kippour sont appelés « Yamim Noraim« , « Jours redoutables », parce qu’ils nous invitent à réfléchir en silence à la transcendance, à l’importance et, oui, à la précarité et à la vulnérabilité de notre existence.

Les humains défient la gravité, montent sur des montagnes russes, font du parachute, et bien d’autres choses encore pour ressentir l’excitation.

Les « Yamim Noraim », sont des « Jours Redoutables », des jours où nous sommes invités à « sauter » dans ce que les mystiques juifs appellent « l’abîme », l’espace dont nous ne sommes qu’une petite partie.

Nous sommes naturellement mal à l’aise de penser à l’inconnu, à quoi cela nous servirait-il ? Beaucoup d’entre nous pensent que ces fêtes ne sont que des jours où l’on se dit « comment ça va ? ».

La psychoanalyst Karen Horney raconte qu’un de ses patients à qui l’on demandait comment il allait, a répondu : « Si ce n’était pas la réalité, je serais plutôt bien. »

Le plus proche de la réalité de notre vie est d’assister à un événement extraordinaire ou de vivre par procuration la performance des autres.

S’il n’y avait qu’une seule raison pratique d’observer Rosh Ha-Shanah et Yom Kippour, ce serait la nécessité de redonner à notre vie la capacité de pouvoir nous regarder nous-mêmes. Libérés des pièges et des distractions qu’offre notre culture. Cette année, isolé des autres, le Covid nous offre l’opportunité d’entrer dans un « sanctuaire du silence », où nous pouvons ressentir l’émerveillement en contemplant nos vies et de la gratitude de pouvoir vivre un jour, une semaine, une année de plus.

Tizku Le-Shanim Rabot. Puisse la vie de chacun mériter encore de nombreuses années.

Le rabbin Moshe Pitchon est le directeur du projet « Le judaïsme au XXIe siècle » (https://www.21stcenturyjudaism.com/) et de l’Académie d’études judaïques Meriane Albagli Geni Cassorla en ligne (https://21stcenturyjudaism.learnworlds.com)