Serge Klarsfeld, né en 1936, témoigne de son confinement

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L’historien de la Shoah se rappelle de son passé d’enfant juif traqué et confiné pour échapper aux nazis. Et expose les parallèles avec le confinement.

Elodie Suigo : Serge Klarsfeld, vous êtes historien, avocat français, défenseur de la cause des déportés de la Shoah. Avec votre épouse Beate, vous avez toujours mené une action militante pour le devoir de mémoire. Vous avez échappé à la Gestapo à Nice en 43, mais malheureusement, pas votre père qui, lui, a été déporté à Auschwitz Birkenau. Où vivez-vous ce confinement ?

Serge Klarsfeld : Nous nous sommes réfugiés chez notre fils, qui prend soin de nous comme nous avons pris soin de lui quand il était petit mais maintenant que nous sommes un peu des enfants, j’ai 84 ans, Beate 81, c’est lui. Nous vivons dans un quartier désert. Hier en promenant nos chiens, nous avons rencontré deux personnes : le ministre de l’intérieur et son garde du corps et puis un lapin à côté des jardins des Champs-Élysées, voilà ! Mais nous sommes actifs : je travaille beaucoup à plusieurs ouvrages, j’en profite, en tant qu’historien. Et puis je m’occupe aussi des survivants de la Shoah, comme tous ceux qui font partie des grandes organisations juives et qui sont tous mobilisés pour que les personnes les plus vulnérables, qui sont les gens âgés, souffrent le moins possible et meurent le moins possible. Mais nous avons eu, malheureusement, un certain nombre de morts dans les EHPAD, comme dans celui de la fondation Rothschild où se trouvent des survivants de la Shoah. Toutes les organisations sont vraiment mobilisées pour aider les survivants de la Shoah à supporter le mieux possible leur confinement.


Qu’est-ce qui a changé pour vous avec le virus est l’obligation de rester confiné ?

Ce sont des conditions idéales pour un historien. Le temps passe beaucoup plus vite quand on travaille sur des documents. Psychologiquement’ en plus, les survivants de la Shoah, sont quand même armés : ils ont connu ses épreuves quand ils étaient enfants. Parce qu’aujourd’hui, à part quelques adolescents qui ont survécu à la déportation, il ne reste plus que des enfants qui étaient aussi des cibles pour la Gestapo. On a été traqués pendant la guerre, on a été confinés pendant la guerre, donc on a cette structure mentale qui nous permet de ne pas souffrir. Mais on sait que c’est comme avec la Gestapo : si on attrape le virus, étant donné notre âge, étant donné les maladies qui accompagnent ce grand âge, le Le risque est beaucoup plus élevé. Mais on essaie d’être prudent.

Edgar Morin a dit à ce micro que la crise de 29 à créé Hitler. Là, il y a énormément de personnes qui sont au chômage, des entreprises qui ne pourront pas rouvrir. Il va y avoir une période extrêmement difficile pour l’économie mondiale. Craignez-vous une montée des extrémismes ?

Nous sommes devant une telle situation internationale que, ou bien c’est le nationalisme chauvin qui va reprendre beaucoup de force. Ou bien, c’est l’idée européenne, mais je suis confiant toujours dans l’idée européenne, parce qu’il n’y a que cela pour nous sauver, pour sauver les valeurs auquel on tient. Il faut vraiment que le couple franco-allemand donne l’exemple et cela c’est encore incertain, mais je l’espère vivement.

Comment imaginez-vous l’après ?

Je vois une reprise de l’activité économique progressive, difficile, un monde nouveau qui va apparaître, avec des conditions différentes de celui d’avant. Et pendant un certain temps, une durée que je ne peux pas préciser, le monde ne reprendra pas sa forme précédente. Et pour nous, les gens âgés, tous les gens âgés, il faudra attendre longtemps pour reprendre une existence normale.

En tout cas, vous avez toujours ce sourire dans la voix Serge Klarsfeld ?

Je suis heureux que, d’une façon générale dans le monde, on ait  accordé la priorité à la protection des personnes âgées. Parce qu’on aurait pu aussi suivre la loi de la jungle. La loi de la jungle, c’était que tout le monde sorte, qu’il n’y ai pas de confinement, que meurent ceux qui doivent mourir. Effectivement, j’en retire une notion d’espoir : la personne humaine a plus d’importance aujourd’hui qu’elle n’en avait il y a 75 ans. Il ne faut pas oublier que le 8 mai, c’est commémorer le 75e anniversaire de la défaite de l’Allemagne hitlérienne et que c’était une période où l’Europe était en ruine est où la personne humaine n’était pas respectée et martyrisée. Et donc, on peut aussi avoir un espoir pour l’amélioration de la condition humaine.

Merci Serge Klarsfeld !

Merci à vous.

Source francetvinfo