Ultra-orthodoxes en Israël : «Le coronavirus? Il suffit de suivre la Torah. Tout ira bien»

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Près d’un malade du Covid-19 sur deux dans les hôpitaux israéliens serait un «craignant-Dieu». Dans le quartier juif ultra-orthodoxe de Méa Shéarim, à Jérusalem, la défiance originelle aux consignes des autorités se teinte peu à peu d’inquiétude.

Le reste de Jérusalem se confine, mais dans cette ruelle étroite au cœur de Méa Shéarim, enclave ultra-orthodoxe bardée de panneaux intimant aux intrus de rebrousser chemin, les hommes aux papillotes et long manteaux vont et viennent comme si de rien n’était entre les étals rudimentaires de légumes. Ces quelques rues sont le fief de la secte Neturei Karta, les plus ultras des ultras, si rétifs à l’Etat hébreu et ses agents (des policiers aux ambulanciers) que des tags de drapeaux palestiniens couvrent les murs lépreux.

C’est dans ce décor que Moshé Avraham, 26 ans, bouille d’enfant et corpulence de notaire, tient le mur et le crachoir en triturant sa barbe rousse, entouré d’une quinzaine d’ados et jeunes adultes haredim (les Juifs «craignant-Dieu», en hébreu). «C’est très peuplé ici, vous savez. On suit les règles mais on doit bien sortir pour acheter à manger et prier, c’est pour ça que les rues sont pleines.» Le gouvernement a pourtant bien ordonné la fermeture des synagogues «Notre rabbin a dit de continuer à prier.» Aux balcons, les gamins ne perdent pas une miette du festival de mauvaise foi, derrière le linge bicolore (tout n’est que noir ou blanc ici) étendu aux fenêtres. Une nuée de gosses désœuvrés rapplique, gonflant l’attroupement.

«Nos familles sont parfois à quinze dans trois pièces, rester à l’intérieur, c’est très dur pour nous, poursuit Avraham. De toute façon, nous n’avons quasiment pas de malades !» Un jeune, pâlot, l’interrompt : «Mon oncle, il a le coro…» Avraham coupe : «Les gens vont bien. Il suffit de suivre la Torah. Tout ira bien.»

«Scénario du pire»

Les yeux rivés sur les dernières statistiques, les experts sanitaires en doutent, alarmés par la rapidité de la propagation du Covid-19 dans la communauté ultra-orthodoxe (un million de personnes, 12% de la population), quatre à huit fois supérieure au reste du pays. Selon les télés locales, la moitié des malades du virus hospitalisés en Israël sont des haredim. Jérusalem et Bnei Brak, banlieue ultra-orthodoxe de Tel-Aviv, arrivent en tête du classement des villes les plus touchées, les cas dépistés se multipliant par centaines de jour en jour. Dans les agglomérations ultra-religieuses, comme Bet Shemesh ou la colonie de Modiin Illit, près d’un tiers des tests reviendraient positifs.

Un épidémiologiste a estimé que 40% de Bnei Brak – où près de 1 000 cas ont été officiellement confirmés sur 200 000 habitants – était sûrement déjà contaminé. L’hôpital Sheba, proche de Tel-Aviv, a pris la décision de placer automatiquement à l’isolement les haredim se présentant aux urgences, même sans symptôme. Le gouvernement s’apprête à appliquer une quarantaine «à la chinoise» à Bnei Brak, l’une des villes les plus densément peuplée au monde (27 000 habitants au kilomètre carré, trois fois plus que Tel-Aviv), où même le maire est malade. En renfort de la police, une division de parachutistes se prépare à s’y déployer et évacuer, par la force si nécessaire, 4 500 résidents âgés avant de boucler la ville, dont les entrées sont déjà contrôlées. Méa Shéarim pourrait suivre, assure Micky Rosenfeld, le porte-parole de la police israélienne : «Si on en vient à ça, plus personne ne pourra sortir ni entrer, et nos agents n’iront à l’intérieur qu’en combinaison étanche totale. C’est le scénario du pire.» 

Comment en est-on arrivé là, alors qu’Israël a opté dès les prémices de l’épidémie pour la stratégie de la forteresse, en amont du reste des démocraties occidentales, et que le grand-rabbinat a dès le départ apposé son sceau aux mesures officielles «Il faut garder en tête qu’il s’agit d’une communauté insulaire, coupée du reste du pays, dans ses propres villes et ses quartiers, sous l’autorité de ses propres rabbins et sans accès aux médias», souligne Gilad Malach, de l’Institut pour la démocratie israélienne. La plupart des haredim ne possédant ni télévision ni radio, et des téléphones portables «casher» sans accès à Internet, «l’information a mis du temps à arriver, la prise de conscience a été encore plus longue que dans le reste de la population. On peut dire qu’à ce niveau, les haredim ont au moins deux semaines de retard, délai déjà critique», ajoute le chercheur.

A cela s’ajoute la défiance de la communauté envers l’autorité, ultra-orthodoxie et sionisme étatique étant idéologiquement opposés, fracture qui nourrit l’inlassable guerre culturelle entre laïcs et haredim. «Si une minorité des ultra-orthodoxes est férocement opposée à l’Etat, la majorité reste généralement suspicieuse, et voit toutes instructions touchant les synagogues ou les écoles religieuses comme de l’ingérence», résume Malach. Côté policier, Rosenfeld l’admet : «Nous n’avons aucun informateur dans la communauté, aucun signalement sur les violations du confinement.» 

Derniers «résistants»

Alors que les établissements scolaires sont fermés depuis mi-mars et tous les rassemblements interdits, des vidéos montrant les yeshivas (écoles talmudiques) pleines à craquer, des mariages haredim avec des centaines d’invités et des gamins à papillotes traitant les policiers en patrouille de «nazis» et leur toussant volontairement dessus ont scandalisé l’opinion publique, en mal de bouc émissaire. L’attitude pour le moins ambivalente du ministre de la Santé, l’ultraorthodoxe Yaakov Litzman, n’a fait qu’alimenter la polémique.

Alors que ce dernier faisait mine de relayer le message de son administration à la télé publique, Litzman a négocié en coulisse des dérogations informelles pour les religieux avec l’influent rabbin nonagénaire Chaim Kanievsky, guide spirituel de centaines de milliers d’ultras, opposant virulent à la fermeture des établissements religieux sous prétexte que «la Torah protège et sauve». Dans un brutal et tardif revirement, Kanievsky a finalement décrété que toute personne violant les mesures de confinement était un rodef – un meurtrier en puissance selon le Talmud.

Quant à Yaakov Litzman, qui, jusqu’à cette semaine, n’avait pas Internet à son domicile et a promis que le coronavirus aurait disparu d’ici Pessah (le 8 avril) avec «l’arrivée du Messie», il a été testé positif jeudi, forçant le cabinet israélien à entrer en quarantaine. Pire : Litzman aurait durant tout ce temps continué à fréquenter sa synagogue, contrevenant à ses propres instructions. Le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, s’est montré sourd à l’opposition qui exige sa démission.

Alors que les nouvelles de la mort d’éminents rabbins à Brooklyn et ailleurs parviennent jusqu’à Méa Shéarim, les attitudes changent. Quelques hommes portent un masque, d’autres une écharpe relevée sur le nez. La plupart des magasins ont fermé. Un religieux toque à la porte du vendeur de falafels, sans réponse. L’épicier a installé une boîte de gants jetables devant sa porte. Gants qui, pour les derniers «résistants» au confinement, ont un autre usage : ils tombent des balcons sur les flics et les intrus, gonflés de liquide. De l’eau si l’on est chanceux, de l’urine dans le pire des cas.

La lecture des affiches aux murs, principale source d’information des haredim, est instructive. Un homme chapeauté portant trois sacs de courses remplis de poches de lait et de pittas, montre un avis de décès fraîchement collé : «Il est mort du corona.» Des textes logorrhéiques expliquent que le virus est causé par «l’impudeur» des femmes, y compris celles qui mettent des perruques plutôt que le traditionnel bonnet pour cacher leurs cheveux.

Une semaine de heurts

Les secouristes ultra-orthodoxes de l’association Zaka circulent dans les rues étroites avec une voiturette diffusant sur haut-parleur les dernières injonctions du rabbin Kanievsky en yiddish. «Ça commence à faire effet, assure David Rose, directeur international de Zaka. Mais chaque communauté a ses extrémistes, et il y aura toujours des gens pour n’en faire qu’à leur tête.» D’autres foyers d’insurrection anticonfinement se sont déclarés en Israël, dans les villes arabes pauvres du nord mais aussi dans les quartiers palestiniens de Jaffa, au sud de Tel-Aviv. «Même si l’on ne peut nier que les haredim n’ont pas pris au sérieux la dangerosité de cette maladie dès le départ, c’est vrai de beaucoup de gens, et de beaucoup de pays, souligne Rose.

A la sortie de Méa Shéarim, une unité de la police antiémeute, matraques dans le dos et masques sur la bouche, se tient à l’écart. Le porte-parole de la police, Micky Rosenfeld l’assume : le but est de minimiser les frictions, après une semaine de heurts et d’incursions avec soutien par hélicoptère«On a vu de la haine», dit-il. Il reconnaît que le changement de règles de jour en jour, de l’autorisation de prier à dix maximum dans les synagogues, puis seulement dans les cours d’immeuble, à l’interdiction totale de se réunir hors des appartements, n’a pas aidé. Il espère que les amendes – «500 shekels [soit 127 euros] par infraction, ce n’est pas rien, surtout pour eux.» – seront dissuasives.

«C’est du harcèlement, parce qu’on est juifs [comprendre : à l’inverse des laïcs et de la police, ndlr] ! réagit Aaron Krauss, membre des Neturei Karta de 24 ans, sourire en coin. La police nous colle des amendes, mais ils nous laissent rentrer dans la syna. Alors pourquoi s’arrêter ?» Un vieil homme nous alpague : «Comment ça se fait que les scientifiques qui savent toujours tout n’ont pas prévu ça, hein ? Dieu seul a les réponses. C’est pour ça qu’on suivra toujours la Torah plutôt que le gouvernement impie

Guillaume Gendron

Source liberation

2 Comments

  1. Bonjour,
    Je suis depuis le début les problèmes avec ces personnes, ils ne sont pas sérieux, heureusement que l’état au complet fais son travail qui est de protéger les résidents, certes ce n’est pas facile mais c’est ainsi !

  2. franchement et honnetement comment encore des humains peuvent croire en une divinité quelconque; ils l’implorent, mais n’ont jamais de réponse. Et si vraiment ces divinités existent, qu’ils interviennent à la tv.

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