Primo Levi, une vie contre l’oubli

Abonnez-vous à la newsletter

« Si nous nous taisons, qui parlera? ». Ce besoin essentiel de transmettre, de trouver les mots pour dire l’indicible a façonné l’œuvre de l’écrivain italien Primo Levi (1919-1987), rescapé du camp d’extermination d’Auschwitz et gardien de la mémoire des millions d’assassinés.

« Il n’est pas permis d’oublier, il n’est pas permis de se taire (…) Si notre témoignage vient à manquer, dans un avenir tout proche, les récits de la bestialité nazie pourront être relégués au rang des légendes, tant ils sont énormes. Parler est donc une nécessité », écrit Levi en 1955 à l’occasion du 10e anniversaire de la libération des camps.

A la fin de sa vie, il reconnaissait qu’il était « de plus en plus difficile de parler avec les jeunes » sans parler des révisionnistes et autres négationnistes. Pourtant, ajoutait Levi, témoigner, encore et toujours, est « un devoir« . « C’est arrivé, cela peut donc arriver de nouveau: tel est le noyau de ce que nous avons à dire ».

Publié en 1947, « Si c’est un homme » (« Se questo è un uomo » en italien) passa d’abord quasiment inaperçu. Comme beaucoup de rescapés, Primo Levi eut du mal à se faire entendre dans les années qui suivirent la Libération.

Ce n’est qu’au début des années 1960 avec le succès de « La trêve », récit de son long retour d’Auschwitz vers sa ville natale de Turin en passant par l’Ukraine, la Roumanie, la Hongrie, l’Autriche et l’Allemagne, que « Si c’est un homme » est redécouvert et, avec ce livre, Primo Levi lui-même.

« Fier d’être impur »

Né en 1919 dans une famille juive laïque et non pratiquante, Primo Levi a raconté à de multiples reprises que ce sont les lois raciales du fascisme qui l’ont reconduit à l’identité juive. Jusqu’à là, disait-il, un Juif était quelqu’un « qui ne fait pas de sapin à Noël, qui ne devrait pas manger de jambon mais en mange quand même, qui a appris un peu d’hébreu à 13 ans et l’a oublié ensuite »… Alors que les lois raciales exaltent « la pureté de la race », Primo Levi s’affirme « fier d’être impur ».

Après l’armistice de 1943 et l’occupation de l’Italie par les Allemands, Primo Levi rejoint la résistance. Arrêté le 13 décembre 1943 en tant que partisan, il est identifié comme juif et déporté vers Auschwitz en février 1944.

Ecrire pour se libérer

Chimiste de formation, il entreprend d’analyser froidement, « avec le maximum de rigueur et le minimum d’encombrement », sans pathos, le système concentrationnaire, l’assassinat en masse « organisé avec une précision et une indifférence bureaucratique (…) d’hommes dont le seul +délit+ était leur origine qui déplaisait aux maîtres de l’heure ».

Primo Levi, homme « petit, menu, toujours souriant, tellement délicat », ainsi que l’évoque son ami Ferdinando Camon, a longtemps pensé que les mots pourraient le sauver. « Le besoin premier était d’écrire afin de me libérer. Ecrire dans un but thérapeutique. Ecrire m’a soulagé », a-t-il expliqué.

Mais de retour à Turin, retrouvant sa famille, ses amis, son travail, il raconte avoir « mis des mois à perdre l’habitude de marcher le regard au sol comme pour chercher quelque chose à manger ou à vite empocher pour l’échanger contre du pain… ».

Dans un de ses derniers livres, « Les naufragés et les rescapés » (le titre qu’il voulait initialement donner à « Si c’est un homme ») il admet la difficulté de se reconstruire après Auschwitz. « Sortir de la peine n’a été un plaisir que pour un petit nombre de chanceux, ou seulement pour quelques instants ou pour des natures très simples; elle a presque toujours coïncidé avec une période d’angoisse ».

Matricule 174517

Comme beaucoup d’autres rescapés, Primo Levi confiera avoir éprouvé de la « honte », une certaine culpabilité d’avoir survécu, souligne sa biographe Myriam Anissimov. « Tu as honte parce que tu es vivant à la place d’un autre? Et, en particulier, d’un homme plus généreux, plus sensible, plus sage, plus utile, plus digne de vivre que toi? (…) C’est une supposition, mais elle ronge; elle s’est nichée profondément en toi, comme un ver, on ne la voit pas de l’extérieur, mais elle ronge et crie« .

Hanté par Auschwitz, dépressif chronique, il racontait vivre une vie « en noir et blanc ». « Primo Levi était un homme à jamais blessé », confiait récemment à l’AFP l’universitaire italien Giovanni Tesio, un proche de l’écrivain. Primo Levi a mis fin à ses jours le 11 avril 1987. Sur sa tombe sont gravés son nom et 174517, son matricule à Auschwitz.

Source tv5monde