Mort du philosophe et critique George Steiner

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Cet esprit libre qui fascinait par sa culture encyclopédique, sa connaissance des langues anciennes et son amour de la philosophie, est décédé à l’âge de 90 ans, a confirmé son fils David Steiner au New York Times. Il est l’auteur d’une œuvre complexe, prolifique, qui navigue entre poésie, linguistique et métaphysique.


George Steiner est né à Paris en 1929. Ses parents, d’origine autrichienne, ont fui leur pays face à la montée du nazisme. Les Steiner sont cultivés, font partie de l’élite. Son père d’ascendance tchécoslovaque, Friedrich Georg Steiner, est juriste de formation et haut cadre de la Banque centrale autrichienne. Le jeune George est donc initié très tôt aux lettres et langues : il parle l’anglais, le français, l’allemand et le grec ancien.

Steiner était un individu typique de la Mitteleuropa, bien que né en France, il pensait dans différentes langues, donc en différentes culture, il appartenait à cette bourgeoisie juive cultivée qui habitait avant tout dans les livres et avait compris, avant guerre, qu’il était préférable d’habiter plusieurs endroits à la fois pour en avoir au moins un où se réfugier.

Steiner était profondément juif en ce sens qu’il refusait toutes les idolâtries, toutes les idolâtries sauf une, celle du langage. Pour lui, le monde avait une essence, et cette essence était contenu dans le verbe, le verbe en version originale, seule manière de lutter contre l’appauvrissement du monde, la négation des langues… Pour ce polyglotte, la traduction n’était pas seulement trahison, elle était aussi une manière de nier le sens du sens, puisque le sens chez Steiner est attaché à l’âme d’une langue.

« La musique est au-delà du bien et du mal »

Son enfance est bercée de musique, elle fait partie de sa vie. « Il paraît que certains chefs d’orchestre arrivent à lire une partition et l’entendent dans leur tête. C’est très rare. Moi, je suis incapable de lire une partition. »  Très jeune, ses parents l’emmènent au concert. « La musique peut m’apporter un grand bonheur. Elle peut accompagner. La musique est au-delà du bien et du mal. »  En 2012, au micro de Laure Adler dans l’émission Hors-Champs, George Steiner était revenu sur son adolescence au moment de la montée du nazisme (à écouter ICI).

Au début de la Seconde Guerre mondiale, la famille, qui avait eu la clairvoyance de quitter Vienne dès 1924 pour la capitale française, quitte la France quelques mois avant l’invasion de Paris par les Allemands, et part pour New York où George Steiner poursuit ses études et obtient la nationalité américaine. Suivent de brillantes études qui le conduisent à enseigner dans les institutions universitaires les plus prestigieuses.

Dans son métier d’enseignant, il est confronté à des jeunes dont il déplore le manque de volonté à s’engager en politique : « Les jeunes ont un dégoût devant le processus politique lui-même, et ça c’est très grave. Aristote a dit que si on ne vient pas sur l’agora pour exercer la politique, il ne faut pas se plaindre que des bandits s’emparent du pouvoir. »  Lors de ses débuts à Cambridge, la plupart de ses étudiants avaient l’ambition de faire de la politique à haut niveau, d’entrer au Parlement britannique, tandis qu’aujourd’hui, peu d’entre eux sont tentés par une carrière politique.

L’avenir devient de plus en plus complexe, estime George Steiner, et le cerveau humain ne serait pas assez grand pour répondre à tous les problèmes. « Nous sommes débordés de questions auxquelles nous ne sommes pas capables d’apporter des réponses. Le flot immense d’informations dépasse notre capacité limitée… »