La prise d’otages meurtrière dans le magasin Hyper Cacher en janvier 2015 a ravivé chez les Juifs français une angoisse des crimes antisémites renforcée par le sentiment d’être en première ligne face aux attentats jihadistes.
Il y a cinq ans, le 9 janvier, Amédy Coulibaly tuait quatre juifs dans cette supérette de l’est parisien où il avait retenu en otage 29 personnes avant de périr dans l’assaut policier. Jeudi prochain, comme chaque année, une cérémonie rendra sobrement hommage à François-Michel Saada, Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab, les quatre victimes d’un attentat qui a rappelé celui commis en 2012 par Mohammed Merah.
« L’Hyper Cacher, c’était la répétition de la tuerie de l’école juive de Toulouse et le sentiment, que partout, en permanence, on devenait une cible« , confie à l’AFP le grand rabbin Haïm Korsia. En mars 2012, le jihadiste Mohammed Merah avait tué trois soldats avant d’abattre, dans l’école juive Ozar Hatorah de Toulouse, un professeur de religion, ses deux fils de 3 et 5 ans et une fillette de 8 ans — un traumatisme pour de nombreux Juifs qui avaient déploré l’absence de sursaut au sein de la société française.
L’Hyper Cacher « a créé une sorte de perte d’innocence » et « une angoisse », « ravivée » par des faits plus récents, ajoute Haïm Korsia, citant le meurtre en 2017 de Sarah Halimi ou de Mireille Knoll en 2018. « Et quand ce ne sont pas les hommes, ce sont les cimetières« , déplore-t-il, faisant allusion à la profanation de plus de 100 tombes d’un cimetière alsacien en décembre.
Interrogation légitime
« Il y a chez les Juifs de France une peur croissante, qui commence dans les années 2000 après la Seconde Intifada, quand se multiplient les attaques de synagogues, de lieux et de personnes identifiés comme juifs », analyse Nonna Mayer, directrice de recherche à Sciences Po/CNRS. « Elle continue avec le meurtre d’Ilan Halimi, assassiné après avoir été torturé en 2006 et se poursuit avec la montée du terrorisme au nom du jihad, dont relève l’attentat contre l’Hyper Cacher ». « Cette montée du terrorisme jihadiste ne vise pas seulement les Juifs mais l’Occident. Mais les Juifs sont en première ligne car ils sont d’une certaine manière le symbole d’un Occident détesté », poursuit-elle.
Pour le président du Consistoire, Joël Mergui, « pendant des années, on n’osait pas parler d’un +antisémitisme islamiste radical+, on a commencé à le faire un peu après Toulouse et clairement après l’Hyper Cacher ». Au sein de la avec près de 500.000 personnes, « cela a généré une interrogation, légitime, sur son avenir », souligne-t-il.
« L’Aliyah (le départ vers Israël, ndlr) a connu des pics en 2014 et en 2015« , note-t-il, avec 8.000 départs enregistrés à chacune de ces deux années. Un chiffre retombé en 2016 et qui s’est établi à environ 2.600 en 2018, selon l’Agence juive. D’autres ont fait leur « Aliyah interne« , quittant certains quartiers pour des raisons de sécurité.
Pour Gad Weil, coprésident du mouvement libéral Judaïsme en mouvement, demeure en outre un sentiment d’incompréhension face à des décisions de justice qu’il estime « hors sol », déplorant notamment que le suspect du meurtre de Sarah Halimi ait été récemment déclaré pénalement irresponsable par la cour d’appel de Paris.
Paradoxalement, les enquêtes d’opinion récentes montrent que l’image des Juifs s’est « beaucoup améliorée » ces vingt dernières années dans l’opinion, selon Nonna Mayer. « C’est la minorité la mieux acceptée, et les attaques dont elle est l’objet sont massivement condamnées« , fait-elle remarquer. « Il y a aussi une vitalité de la communauté, qui prend son destin en main », estime Joël Mergui.
Mais l’antisémitisme ordinaire, mesuré chaque année par le ministère de l’Intérieur a connu un regain en 2018: après deux années de stagnation, les actes antijuifs ont bondi de 74% en 2018. Les chiffres pour 2019 ne sont pas meilleurs, selon les premières données du Conseil représentatif des institutions juives de France, qui espère que 2020 soit l' »année de la sécurité rétablie pour tous« .