Mort de Haïm Vidal Sephiha, survivant de la Shoah, spécialiste de la communauté judéo-espagnole

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Survivant des camps de la mort, ce professeur des universités a consacré ses recherches à l’étude de la langue judéo-espagnole, pour laquelle il créa la première chaire mondiale à l’Inalco, en 1982. Il est mort le 17 décembre, à l’âge de 96 ans.

Haïm Vidal Sephiha, professeur des universités, est mort le 17 décembre à l’âge de 96 ans à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). A travers cette disparition, c’est toute la communauté judéo-espagnole de France et du monde qui est frappée. Par Judéo-Espagnols, on désigne les juifs descendants lointains de ceux qui furent expulsés d’Espagne en 1492 par la reine Isabelle la Catholique et qui conservèrent leur langue d’origine à travers leurs pérégrinations, notamment dans les pays de l’Empire ottoman, l’actuelle Turquie, la Grèce, l’Egypte, la Bulgarie, le Maroc, etc.

H. V. Sephiha était né le 28 janvier 1923, à Bruxelles, d’une famille judéo-espagnole venue en 1910 d’Istanbul. Ses parents, David Nissim Sephiha et Esther Eskenazi, étaient restaurateurs de tapis. Haïm avait cinq frères et sœurs. Il étudia dans un lycée francophone de Bruxelles et apprit de nombreuses langues. Il entreprit des études d’agronomie qui tournèrent court, car il fut renvoyé de l’institut agronomique en tant que juif (c’était en novembre 1941), mais il put les poursuivre dans un centre d’apprentissage d’horticulture créé par l’Association des juifs de Belgique et dirigé par Haroun Tazieff.

Perpétuer l’étude de la langue de sa famille

Il étudia clandestinement à l’Université libre de Bruxelles jusqu’à son arrestation par les Allemands, le 1er mars 1943. Il fut déporté à Auschwitz-Birkenau, d’où il participa à la « marche de la mort », qui le mena au camp de Dora, puis de Bergen-Belsen. Il en fut libéré par les Anglais le 15 avril 1945. Tel ne fut pas le sort de son père, qui mourut à Dachau. Sa mère et certains de ses frères et sœurs survécurent également à la déportation. De retour en Belgique, il poursuivit des études de chimie qui le menèrent à la profession d’ingénieur.

Toute la vie de H. V. Sephiha fut bouleversée après la mort de sa mère en 1950 : il se devait d’œuvrer pour perpétuer l’étude et l’usage de la langue de sa famille, le judéo-espagnol. En 1953, il abandonna le métier d’ingénieur chimiste pour entreprendre des études de linguistique, de littérature espagnole et portugaise à la Sorbonne. Muni d’un doctorat d’espagnol, de diplômes de yiddish, de roumain et d’hébreu, il commença à enseigner à l’université. Il créa en 1982 la première chaire mondiale de judéo-espagnol, qui fut installée à l’Inalco (Langues O).

Retraité en 1991, il continua à enseigner à Paris-8 et à l’université Martin-Buber de Bruxelles. Parallèlement, il créa des ateliers de judéo-espagnol à l’Ecole pratique des hautes études, au Centre Rachi, puis au Centre communautaire de Paris. En 1979, il fonda l’association Vidas Largas pour la défense et la promotion de la langue et de la culture judéo-espagnoles.

Production littéraire importante

Aux côtés de Michel Azaria et de Gisèle Nadler, il fonda également l’association Judéo-Espagnol à Auschwitz-Birkenau, dont l’objet était d’obtenir l’adjonction au Mémorial d’Auschwitz-Birkenau d’une dalle en judéo-espagnol, car de très nombreux membres de cette communauté y avaient été déportés. Cette dalle fut inaugurée en présence de Simone Veil le 24 mars 2003.

A toutes ces activités culturelles, le professeur H. V. Sephiha ajouta une importante production littéraire. Il écrivit sept livres et plus de 400 articles sur la langue judéo-espagnole, parmi lesquels L’Agonie des Judéo-Espagnols (éd. Ententes, 1977, réédité en 1991), Yiddish et judéo-espagnol : un héritage européen (éd. Bureau européen pour les langues moins répandues, 1997), Ma vie pour le judéo-espagnol, la langue de ma mère. Entretiens avec Dominique Vidal (éd. Le Bord de l’eau, 2015). La théorie qu’a défendue avec ardeur H. V. Sephiha portait essentiellement sur la distinction précise entre le judéo-espagnol vernaculaire (djudezmo) et le judéo-espagnol calque (ladino), qui ne se parle pas, mais qui résulte de la traduction littérale de l’hébreu en espagnol.

H. V. Sephiha était marié en secondes noces à une Allemande non juive, beau symbole après sa déportation. Il avait un fils, Dominique, journaliste au Monde diplomatique, et deux petits-enfants, Marc-Olivier et Leila. Grâce à cet homme de passion, la culture judéo-espagnole n’est pas morte après la Shoah. Il a également passé sa vie à témoigner de cette dernière pour mettre en garde les générations à venir contre la barbarie qui a pu sévir au sein d’une Europe cultivée et dont, hélas, on peut craindre la résurgence dans nos sociétés oublieuses.

Haïm Vidal Sephiha en 5 dates

28 janvier 1923 Naissance à Bruxelles
1943 Arrêté par les Allemands et déporté
1982 Crée la première chaire de judéo-espagnol au monde à l’Inalco
1997 Publie « Yiddish et judéo-espagnol : un héritage européen »
17 décembre 2019 Mort à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine)

Rabbin Daniel Farhi

Source lemonde