Entre magnats israéliens et bars gays de Tel Aviv, le polar de Yonatan Sagiv

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Avec son héros gay et détective en herbe, Yonatan Sagiv livre un premier roman aussi noir que drôle, qui joue avec de nombreux codes du polar classique.

Pour 140 shekels (36 euros), Oded Héfer s’est procuré sur Internet un certificat officiel de détective privé et un diplôme de docteur en criminologie de l’université hébraïque de Jérusalem, qu’il a placardés sur la porte de son bureau, à Tel Aviv. Il n’avait pas d’autre choix. A 35 ans, il est chômeur et ses parents lui ont coupé les vivres. Car il ne correspond pas vraiment à ce qu’ils attendaient d’un fils. Oded Héfer parle de lui au féminin et ne résiste pas à un beau garçon. Les codes du roman noir américain s’arrêtent donc à la plaque de détective. Nulle blonde plantureuse pour lui apporter le café ni volutes de cigare embrumant la pièce. La meilleure arme de ce détective hors du commun, c’est l’intelligence et l’humour.

Le jour où une riche héritière israélienne pousse la porte de son bureau, il ne laisse pas passer sa chance. Elle veut qu’il enquête sur le pseudo-suicide de sa sœur. Celle-ci se serait jetée par la fenêtre d’un hôpital de Tel Aviv où elle était soignée pour un cancer en phase terminale. Sauf qu’elle n’était pas du genre à en finir volontairement avec la vie, plutôt une tueuse qu’une victime. Ni une ni deux, Oded Héfer va convoquer les fantômes de tous les héros de polars dévorés durant ses jeunes années et se mettre en quête d’un(e) meurtrier(e) et d’un mobile. En méprisant celles et ceux qui l’ont toujours moqué et rabaissé, des humiliations qui le poursuivent jusque dans ses rêves. «Ariéla Weizman, ma prof de maths en classe de première, m’enjoint de résoudre un exercice d’algèbre compliqué […]. Le tableau est couvert d’une suite de signes bizarres. Des vagues de rire moqueur retentissent dans mon dos. Je me retourne. Philip Marlowe, Hercule Poirot et Sherlock Holmes sont assis sous mon nez. Reléguée au dernier rang, un cigare à la bouche, Miss Marple porte des jarretières. Les hommes, tels des juges aux Jeux Olympiques, tiennent des panneaux sur lesquels le chiffre zéro est inscrit avec du sang. Miss Marple rit aux éclats. Saisi de colère, je signale à Hercule Poirot qu’il ressemble à un œuf sur lequel on aurait dessiné une moustache. Philip Marlowe me montre du doigt et hurle de rire.»

L’enquête est difficile, on s’y perd parfois un peu, mais Oded Héfer est tellement drôle que ça nous est bien égal. Et efficace avec ça, il parvient à déjouer toutes les chausse-trapes. Le suspense va donc tenir jusqu’au bout. C’est qu’entre deux escales dans un de ces bars gays dont Tel Aviv regorge, le détective en herbe va se retrouver épaulé par un flic aux allures de macho, Yaron Malka, qu’il va réussir à glisser dans son lit. Comme quoi, rien n’est impossible quand on croit en ses chances.

Secret de Polichinelle, Yonatan Sagiv, traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche, éditions de l’Antilope, 475 pp., 23,50 euros

Alexandra Schwartzbrod

Source liberation