Benny Siegel, le gangster juif qui a fondé Las Vegas, paradis du jeu dans le désert

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Benny «Bugsy» Siegel, un gangster juif visionnaire, espérait bien transformer la petite ville peu connue de Las Vegas en capitale mondiale du jeu.


La ville de Las Vegas a été fondée en mai 1905. Ce n’était pas une ville américaine typique. Au cours des quarante premières années de son existence, Las Vegas était une ville peu peuplée située dans l’état poussiéreux et désertique du Nevada, à plus de 120 km de la Vallée de la Mort. La première génération de résidents n’aurait jamais pu imaginer le paradis touristique que leur ville allait devenir.

Le tournant dans l’histoire de la ville eut lieu après la Seconde Guerre mondiale. Ce conflit avait complètement détruit l’Europe et l’Asie, aux États-Unis, mais avait en fait donné un coup de fouet à l’économie américaine après la Grande Dépression. Une période de prospérité sans précédent s’ensuivit. La période d’or américaine a commencé avec un énorme boom économique et la classe moyenne a enfin pu profiter de la belle vie jusque-là réservée aux citoyens les plus riches d’Amérique. Entre autres, cela incluait l’accès à certaines des activités les plus suspectes telles que le jeu, la prostitution et la consommation de drogues et d’alcool.

La plupart des établissements de jeu illégaux étaient entre les mains du Syndicat national du crime, une organisation centralisée de gangs relativement autonomes, qui chapeautait une grande partie de la pègre américaine. Il était contrôlé par «Lucky» Luciano, un immigrant italien, et par Meyer Lansky, un immigré russo-juif. Les jeux d’argent et les casinos étaient situés à deux endroits principaux: Miami et Cuba. L’essor des transports aériens avait rendu l’Amérique plus petite et le fait que le Nevada était le seul État de l’Union où le jeu était légal en faisait un point idéal sur la carte des investissements du monde criminel.

Les projets de Benny Siegel

Benny «Bugsy» Siegel, l’une des personnalités les plus notoires de la pègre, avait effectué sa première visite au Nevada en 1941, dans l’espoir de trouver le lieu idéal pour le transformer en capitale légale du jeu en Amérique. Bugsy était revenu bredouille de sa première mission de repérage. Tout en reconnaissant le potentiel de Las Vegas, les propriétaires du premier casino de la ville ont refusé l’offre du gangster juif de racheter leurs actions. Finalement, Bugsy a trouvé le bon vendeur et a réussi à acheter un petit hôtel de jeux au centre-ville, grâce à un savant dosage de bakchich et menaces. Meyer Lansky ne partageait pas l’optimisme de son partenaire de longue date quant à l’avenir de la ville du désert, mais il a décidé de soutenir son ami et d’y investir, tout en y attirant plusieurs autres gros bonnets de la pègre.


Dès le début Bugsy ne ménagea ni sa peine ni son capital : il embauchait les meilleurs designers d’architecture que l’argent pouvait acheter et équipait l’hôtel avec le mobilier le plus cher. Il a lui-même conçu les suites de luxe. Mais surtout, Bugsy a investi dans le casino et le bar, qui, selon lui, constitueraient la principale source de revenus de son nouvel hôtel, Le Flamingo.

Échec du projet visionnaire

Dès l’ouverture, les doutes de Lansky se sont avérés exacts. Las Vegas avait certes grandi au fil des ans et s’était éloignée de son image de ville endormie du désert, mais elle n’attirait pas encore des flux continus de touristes en dehors de la saison des vacances de Noël – date fixée pour l’ouverture officielle. L’hôtel Flamingo a donc fermé au bout d’un mois. Les investisseurs étaient furieux de subir de lourdes pertes. Mais Bugsy a refusé de baisser les bras et pour mener à bien son projet, il a emprunté des fonds supplémentaires auprès d’autres investisseurs, doublant ainsi l’investissement habituel dans un hôtel de Las Vegas, qui s’élevait à environ un million de dollars. Le principal financement vint encore une fois de la pègre juive mais avec un avertissement très clair : le «Flamingo» ferait mieux de rentabiliser l’investissement et de réaliser de beaux profits pour les investisseurs, sinon…

Bugsy brava les menaces et investit dans des rénovations supplémentaires, mais le casino à Las Vegas ne décollait pas. Au début, Bugsy pensait que c’était juste une période de démarrage qui prendrait bientôt fin, mais comme les pertes continuaient de s’accumuler, il ne put ignorer la dure vérité pendant très longtemps : son entreprise ne fonctionnait tout simplement pas.

Ses partenaires (qui soupçonnaient aussi Bugsy d’avoir saboté le marché de la drogue) en étaient convaincus : soit leur ami les escroquait, soit il avait perdu le sens des affaires. Quelle que soit la raison, Las Vegas devenait de plus en plus un fardeau.

Fin de Bugsy

Le 20 juin 1947, la violence qui avait accompagné toute la vie de Bugsy Siegel l’a finalement rattrapé. Pendant des vacances à Las Vegas, Siegel fut touché d’une balle dans la tête et mourut sur le coup. Des photographies de son corps ont été publiées aux États-Unis, puis dans le monde entier. Dans les semaines et les mois qui ont suivi son assassinat, de nouvelles informations ont été publiées sur le gangster juif qui avait fait de la ville peu connue de Las Vegas la capitale de son empire du crime. Bien qu’il ait peut-être échoué dans sa mission, il a contribué, à sa mort, à la réputation de décadence et de corruption de la ville, une réputation qui ferait de Las Vegas la « Ville du péché » (the « Sin City ») en quelques années.

Enfin Las Vegas décolle

Pendant la révolution cubaine de 1959, les casinos appartenant à Lansky et à ses associés ont été nationalisés par le nouveau régime. Leurs autres affaires à Miami ont également été touchées. Ce n’est qu’à ce moment-là que le chef de la mafia juive s’est tourné vers Las Vegas, la ville si chère à son regretté ami.

Cette histoire a un angle israélien. On sait que Lansky a versé de l’argent au yishuv juif pendant la guerre d’indépendance. Mais en plus de cela, dans les années 1970, il a même demandé l’autorisation d’immigrer en Israël en vertu de la loi sur le retour, et dans le but de se soustraire à une enquête fédérale menée à son encontre aux États-Unis. À plusieurs reprises, il s’est rendu en Israël et, au cours de ses séjours, a identifié Eilat comme un paradis du jeu potentiel – une autre ville du désert située loin de la région centrale du pays.


Le gouvernement israélien a rejeté sa demande, craignant que sa présence n’attire l’attention d’autres criminels américains. Eilat a-t-il manqué l’occasion de devenir le Las Vegas du Moyen-Orient? Nous ne saurons probablement jamais. Lansky, bien sûr, avait une autre version de cette histoire. Dans une interview donnée au journaliste Dan Raviv, le vieux gangster a déclaré que tout ce qu’il voulait dans ses années de retraite était de vivre en Israël « comme tout autre Juif ».

Line Tubiana  avec blog.nli