Les formes de l’antisémitisme, par Michel Wieviorka

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La haine des Juifs, aujourd’hui, sans nécessairement déboucher sur de tels crimes, est virulente au sein de populations variées. Combattre l’antisémitisme exige notamment de reconnaître sa diversité.

Décidément, l’antisémitisme est de retour, sous des formes multiples, hautement contradictoires. Dans ses expressions les plus meurtrières, il est un jour islamique, indissociable du djihad, comme l’a montré Marc Sageman (1) au sujet des auteurs des attentats du 11 septembre 2001 et, un autre jour, d’extrême droite, on vient de le constater en Allemagne, avec la fusillade de Halle devant une synagogue (deux morts le jour de Yom Kippour). Il peut aussi être plus prosaïquement crapuleux, comme en 2006 avec le « gang des barbares » et son leader Fofana abandonnant, mourant, le jeune Ilan Halimi qu’ils avaient kidnappé, séquestré et torturé dans l’espoir d’une rançon, convaincus que les Juifs ont nécessairement de l’argent.

Ceux qui considèrent que la question se limite à l’islamisme se trompent lourdement : l’antisémitisme violent, celui du passage à l’acte, se rencontre dans d’autres milieux.

La haine des Juifs, aujourd’hui, sans nécessairement déboucher sur de tels crimes, est virulente au sein de populations variées. Elle va de l’extrême droite, avec le néonazisme ou la réactivation d’un antijudaïsme religieux auquel le concile Vatican 2 n’est pas parfaitement parvenu à mettre fin, à l’extrême gauche quand celle-ci développe un antisionisme radical, notamment à partir d’une critique anticolonialiste de l’État hébreu. Elle s’alimente d’un déni, avec le « négationnisme », qui prétend que les chambres à gaz n’ont jamais existé ou, plus prudemment, distille la thèse du « Shoah business » selon laquelle les Juifs tireraient profit de la catastrophe qui a anéanti plusieurs millions d’entre eux durant la Seconde Guerre mondiale.

Une haine qui circule avec les nouvelles technologies de communication

Elle se relance avec les nouvelles technologies de la communication. Internet et les réseaux sociaux, en effet, autorisent la circulation illimitée, immédiate, de discours de la haine – ce qui suscite en retour une mobilisation des pouvoirs publics et de diverses associations et ONG. Et cette culture de la communication sans frontières dénonce toute entrave à la circulation des opinions, quelles qu’elles soient : en demandant des règles, des limites, « les Juifs » s’opposeraient à cette tendance. Ils seraient contre la liberté d’opinion, par exemple en prenant la tête des croisades pour empêcher la publication des pamphlets antisémites de Céline et le Mein Kampf d’Hitler. C’est ainsi que les admirateurs de Dieudonné se rencontrent dans des populations très diverses, allant politiquement de l’extrême droite à l’extrême gauche.

L’antisémitisme prospère partout sur fond de complotisme et de fake news mais chaque pays a sa propre configuration. À l’Est de l’Europe, il n’est pas très différent de ce qu’il était avant-guerre, il n’est guère référé à l’islamisme ou à l’islam, et il n’empêche pas les gouvernements polonais et hongrois d’entretenir de bonnes relations avec l’État d’Israël, il n’est pas fondamentalement antisioniste. Aux États-Unis, il se rencontre aussi dans des milieux noirs, convaincus par exemple, sans preuve, que « les Juifs » ont joué un rôle décisif dans la traite négrière, ou chez des Évangéliques qui peuvent professer leur haine des Juifs tout en soutenant énergiquement l’État d’Israël.

L’antisémitisme contemporain concerne donc des milieux variés, et non pas un seul. Et il est global, à la hausse partout, en même temps qu’il diffère profondément d’un pays à un autre. Le combattre exige de reconnaître sa diversité et une capacité à articuler des politiques et des mobilisations nationales avec une action européenne et internationale.

(1) dans Understanding Terror Networks, 2004.

Source ouest-france