En 1969, une rumeur se répand à Orléans. Des jeunes femmes seraient enlevées dans les cabines d’essayage de la ville. Comment naît une rumeur ? Pourquoi a-t-elle pris pour cible des commerçants juifs ? Comment s’est-elle arrêtée ? C’est ce que nous explique ce film documentaire.
A Orléans, à la fin du printemps 1969, les habitants sont effrayés. Des jeunes filles auraient disparu. D’après la rumeur, elles auraient été enlevées alors qu’elles essayaient de la lingerie dans les boutiques du centre-ville. Pire encore, elles ne seraient déjà plus à Orléans mais dans des pays arabes ou en Amérique du Sud où un réseau de proxénètes les proposerait aux plus offrants. Dernier détail sur lequel on insiste alors : les boutiques dans lesquelles les jeunes femmes ont disparu appartiennent à des commerçants de confession juive.
Malgré l’absence totale de faits avérés, la rumeur explosa littéralement jusqu’à provoquer des incidents en ville. Sur elle, se greffa un antisémitisme que l’on croyait alors disparu, 25 ans après la fin de la Seconde guerre mondiale.
La rumeur d’Orléans, étudiée à l’époque par des sociologues, est devenue un véritable cas d’école enseigné dans les écoles de journalisme. D’autant plus qu’aujourd’hui, les fausses informations sont malheureusement devenus notre quotidien.
Comment naît la rumeur ?
La rumeur n’est pas propre à la ville d’Orléans. Cette année-là, des rumeurs surgissent un peu partout en France, comme à Paris, Toulouse, Lille, Valenciennes, Châtellerault, Poitiers ou Tours. A chaque fois, on retrouve le scénario de la femme qui disparait dans une cabine d’essayage d’un magasin de vêtements. Cet univers lié à la traite des blanches n’est pas propre à Orléans.
Pour Bernard Paillard, sociologue qui fut membre de l’équipe d’Edgar Morin qui vint travailler à Orléans sur la rumeur, il est difficile de trouver une explication, pourquoi la rumeur s’est lancée ici plus qu’ailleurs. Le sociologue Edgar Morin et son équipe arpentent la ville d’Orléans pendant trois jours et trois nuits, conduisant de nombreux entretiens avec les habitants pour comprendre comment ils perçoivent cette histoire d’enlèvement :
Malgré les recherches menées par ces experts venus sur place dès les premiers jours, l’origine exacte de la rumeur d’Orléans restera un mystère. Mais les sociologues ont néanmoins expliqué que la rumeur a muri dans les classes de jeunes filles de collèges religieux avant de se propager dans toute la ville. Ce milieu fut la caisse de résonance de la rumeur.
Les souterrains présents dans le sous-sol de la ville d’Orléans sont l’une des caractéristiques qui épouse le scénario d’Edgar Morin, le sociologue qui a étudié le phénomène. D’après la rumeur, les jeunes filles disparaissaient par de mystérieux souterrains. Les archéologues de la ville nous expliquent aujourd’hui que sous la ville, il y a de nombreuses carrières et que des soupiraux aèrent ces cavités. A l’origine, ces caves étaient des puits d’extraction pour la pierre calcaire destinée à la construction.
Les commerçants juifs pris pour cible
Le documentaire tente d’expliquer pourquoi la rumeur a porté l’accusation aux commerces tenus par des hommes et des femmes de confession juive.
Comment expliquer la dimension antisémite de la rumeur ? Dans les archives mises en valeur dans le documentaire, un professeur d’histoire explique qu’en l’an 1000 à Orléans, il y avait déjà des accusations qui portaient sur les personnes de religion juive : « on accusait les juifs de faire du trafic de ce genre et cela s’est terminé par un massacre ».
L’histoire ancienne de la communauté juive à Orléans expliquerait-elle cette haine ? Elle s’est installée au cœur d’Orléans au milieu du 6e siècle. C’est l’une des plus anciennes communautés juives de France.
Les commerçants l’ont très mal vécu. Notamment le propriétaire du magasin le plus visé. Comme le précise Eliane Klein qui fut à la tête du mouvement anti-rumeur à l’époque, actuelle déléguée régionale du CRIF : « lui-même avait porté l’étoile jeune quand il était jeune, et cela lui rappelait des souvenirs épouvantables ». Elle évoque également l’une des commerçants qui a préféré fuir la ville et s’installer en Israël.
Comment meurt la rumeur ?
Eliane Klein, alors professeur dans un collège du Loiret, et sa sœur, lancent l’alerte à tout le pays. Début juin 1969, un samedi soir, elles écrivent aux journaux nationaux et aux associations de défense des droits de l’homme.
A partir du 7 juin, la presse nationale publie une série d’articles dénonçant la rumeur. S’ensuit alors le combat du bouche à oreille contre les articles de presse, de la rumeur contre la vérité.
Eliane Klein se souvient : « Il y avait beaucoup de gens conscients, lucides et courageux (…) Il y a eu une réaction de beaucoup d’orléanais, d’associations de défense des droits de l’homme, de partis politiques. On a vu beaucoup de personnes prendre position sur cette rumeur antisémite et c’était vraiment un réconfort » :
A la même période, les français sont appelés à voter pour le premier tour de l’élection présidentielle, laissant de côté la folle rumeur. Fin juin, la rumeur s’éteint … C’est à ce moment-là que le quartier de La Source sort de terre et pour le sociologue Edgar Morin, cette métamorphose de la cité a aidé à passer à autre chose.
► »La rumeur d’Orléans », Un documentaire de Stéphane Granzotto, produit par 13 Productions et France Télévisions. Diffusion le 21 octobre 2019 sur France 3 Centre-Val de Loire.
Le grand débat du doc
A la suite de ce documentaire sur la rumeur d’Orléans, Denis Gannay présentera un débat consacré aux rumeurs et aux infox.
Rumeur hier, fake-news aujourd’hui ! A l’heure des réseaux sociaux, une telle rumeur pourrait être se reproduire ? Comment les médias tentent de mettre un coup d’arrêt dès qu’une fausse information comment à se répandre sur le net. D’autant que l’information se propage désormais très vite et se fie des frontières.