Rétrospective : Israël dans le regard de cinéastes d’autres terres

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Le Musée d’art et d’histoire du judaïsme et le Mémorial de la Shoah, à Paris, présentent une rétrospective regroupant treize films réalisés entre 1897 et 2012.

A quoi ressemble Israël, filmé par des non-Israéliens ? La question pourrait paraître anecdotique, si elle ne donnait lieu à une intéressante rétrospective coorganisée par le Musée d’art et d’histoire du judaïsme et le Mémorial de la Shoah, à Paris. Quoique modeste, le corpus offre une coupe profonde et éclectique, regroupant treize films, fictions et documentaires réalisés entre 1897 et 2012, provenant de Russie, de Pologne, de France, d’Italie et des Etats-Unis. Luxe suprême : ne pas inclure le plus célèbre et sans doute l’un des plus réussis d’entre eux, Exodus (Otto Preminger, 1960).

On relèvera le fond général d’empathie dont témoigne le corpus avec le projet sioniste et l’Etat qui en est né, sentiment qui se brouillera néanmoins d’inquiétude avec le temps.

Israël, société fermée

Il y a loin, de fait, entre Sabra du réalisateur polonais Aleksander Ford (1933) et Would You Have Sex With an Arab ? (2012), de Yolande Zauberman. L’un, premier film parlant en hébreu, est un éloge vibrant, d’inspiration soviétique, des pionniers sionistes qui font fleurir le désert par leur abnégation, quand la communauté arabe, menée par un cheikh mal intentionné, prie vainement pour avoir de l’eau. Loin de ce point de vue, la question crue posée près de quatre-vingts ans plus tard par Yolande Zauberman à ses interlocuteurs produit à son tour un malaise, mais qui se retourne cette fois contre la société fermée qu’est devenu Israël.

Entre les deux se glissent des films-essais dont la sympathie pour l’Etat hébreu, perçu comme utopie salvatrice, n’empêche pas, à l’occasion, une interrogation critique. C’est le cas des magnifiques Description d’un combat (1960), de Chris Marker, Pourquoi Israël (1973), de Claude Lanzmann, ou La Déchirure (1974), de Susan Sontag. Ce dernier titre, film méconnu et quasiment expérimental de l’essayiste américaine, tourné dans l’urgence de la guerre du Kippour, a même été interdit en Israël, la cinéaste y ayant montré un soldat souffrant d’un symptôme post-traumatique sadisé par un Docteur Folamour local.

Gilberto Tofano, homme de théâtre et cinéaste italien apostolique et romain, fasciné par Israël au point de s’y installer durant quelques années, avait lui aussi filmé, dans une fiction intitulée Siège (1969), la galvanisation de la société civile par la culture sacrificielle du conflit. Une veuve de guerre, interprétée par la séduisante Gila Almagor, est plus ou moins insidieusement empêchée pas son entourage de recommencer sa vie. Tofano, visionnaire, filmait pourtant dans le sillage euphorique de la guerre des Six-Jours. Siège, avec son récit syncopé et sa ligne narrative faible, reste d’ailleurs l’un des plus beaux films du cinéma israélien, saisi en cette décennie par une modernité qui le transforme en profondeur.

La question du génocide

On n’en dira pas autant des méconnus, et pour cause, Le Jongleur (1953), de l’Américain Edward Dmytryk, et L’Heure de la vérité (1965), du Français Henri Calef, qui ne fut quant à lui jamais exploité. Les deux titres ont pour point commun de mettre la question du génocide au centre de leur propos, pour mieux l’utiliser, hélas, à la manière d’un condiment dramaturgique. Dmytryk confie ainsi à Kirk Douglas le rôle de Hans Muller, jongleur juif allemand rescapé des camps, qui développe en Israël une paranoïa criminelle. Film pénible, qui fait surchauffer la machine mélodramatique et le mauvais théâtre du post-traumatisme.

Quant au Français Henri Calef, il met en scène un nazi (interprété par Karlheinz Böhm) qui s’est réfugié en Israël sous les oripeaux d’un rescapé de la Shoah et y a épousé une beauté locale, à laquelle Corinne Marchand prête sa grâce. Dilemme moral empesé à la Marie-Octobre (1959), de Julien Duvivier, et dialogues en français intégral confèrent au film une dimension surréelle.

On n’exclut pas de terminer sur un paradoxe, en arguant qu’une part non négligeable de ces films en disent sans doute plus long sur leurs auteurs que sur Israël. C’est le cas de Pier Paolo Pasolini, cherchant pour les besoins d’un film en Terre sainte les stigmates du christianisme primitif, ne les trouvant ni dans les juifs « trop modernes » ni dans les Palestiniens « trop archaïques, trop préchrétiens ». Le film, réalisé en 1964, s’intitule Repérages en Palestine pour l’Evangile selon saint Matthieu.

C’est aussi celui d’Edward Dmytryk, sympathisant communiste qui, après avoir été banni d’Hollywood pour avoir résisté à la chasse aux sorcières, changea son fusil d’épaule, endossa le rôle du repenti et donna beaucoup d’ex-camarades. Ainsi résonne drôlement cette repartie du Jongleur, qu’adresse un père à sa fillette, laquelle refuse de renseigner la police sur l’ex-déporté Muller, auteur d’une agression sur un agent de police : « Parfois, dans l’intérêt de la justice, il faut savoir dénoncer »… Fallait-il aller jusqu’en Israël pour justifier cette idée ?

« Israël, vues d’ailleurs. Regards de cinéastes étrangers ». Musée d’art et d’histoire du judaïsme et Mémorial de la Shoah. Du 19 au 25 septembre.

Source lemonde