Procès Dreyfus : 120 ans après, la ville de Rennes n’a pas oublié

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«Rennes est devenue la capitale du monde pendant plusieurs semaines!». Durant le procès en révision du capitaine Alfred Dreyfus en 1899, cette ville de province française a été propulsée sur le devant de la scène, un épisode de son histoire toujours présent 120 ans après.

Condamné en 1894 en France par un tribunal militaire pour avoir transmis des documents à l’Allemagne, Alfred Dreyfus, issu d’une famille de juifs d’Alsace (nord-est de la France), est déporté et détenu dans un bagne en Guyane, territoire français d’Amérique du sud.

«L’affaire Dreyfus», retentissant scandale de la IIIe République en France, a mêlé erreur judiciaire, déni de justice et antisémitisme à l’encontre du capitaine, accusé à tort de haute trahison et qui sera finalement réhabilité en 1906.

En 1898, l’écrivain Émile Zola publie «J’accuse…!» en première page du quotidien parisien L’Aurore, sous la forme d’une lettre ouverte au président français de l’époque, où il accuse le gouvernement d’antisémitisme dans cette affaire. Dans le sillage de cette tribune, la Cour de cassation française, en juin 1899, casse le jugement de 1894 et un nouveau procès doit avoir lieu… Mais pourquoi à Rennes, dans l’ouest de la France ?

Depuis que cette capitale de la région de la Bretagne a perdu son parlement d’Ancien régime, elle s’est assoupie et «a la réputation d’être une ville calme» avec moins de 70 000 habitants, loin de la fièvre parisienne, explique Philippe Bohuon, animateur-adjoint à l’office de tourisme de Rennes, et qui prépare les visites guidées «voyage au temps de l’affaire Dreyfus».

Autres atouts: la ville possède un tribunal militaire, de multiples garnisons quadrillent la capitale d’une région à la réputation rebelle, une voie de chemin de fer la relie à Paris en six heures et elle est située à proximité d’un port d’où Dreyfus peut débarquer après son long voyage depuis l’île du Diable.

Dès fin juin, tous les hôtels de Rennes sont pris d’assaut par plusieurs centaines de journalistes, certains venant des États-Unis, d’Italie ou encore d’Argentine tandis que des ingénieurs viennent de Paris pour installer de nouvelles lignes téléphoniques au bureau de Poste. Plusieurs grandes figures françaises de l’époque, comme Jean Jaurès, font le déplacement pour le procès qui, contrairement à celui de 1894, n’est pas à huis clos.

«Au moment de l’arrivée de Dreyfus et pendant tout l’été, tous les yeux sont tournés vers Rennes qui devient la capitale du monde», explique l’historien Vincent Duclert, auteur de plusieurs ouvrages sur «L’Affaire». Dreyfus est incarcéré dans la prison militaire de Rennes: il n’a que quelques mètres à faire au milieu d’une haie de soldats pour gagner la salle d’audience installée de l’autre côté de la rue, dans une salle du grand lycée de Rennes.

Tentative d’assassinat

Tout au long du procès qui se tient du 7 août au 9 septembre, nombre d’habitants de Rennes accourent pour assister aux audiences, souvent en vain en raison de l’affluence. Aussi, le propriétaire d’un petit lopin dresse une estrade dans son jardin — à l’accès payant — d’où l’on peut apercevoir Dreyfus faire le court chemin entre la prison et le lycée…

Preuve du climat de fièvre, un des avocats de Dreyfus, le bouillant Fernand Labori, est victime d’une tentative d’assassinat, non loin du tribunal, recevant une balle dans le postérieur. «Dreyfusards» et journalistes se donnent rendez-vous au Grand café de la Paix, situé… juste en dessous du cercle militaire, donnant lieu à plusieurs joutes verbales entre défenseurs et opposants du capitaine.

Le jour du verdict, près de 3000 télégraphes — un record — sont envoyés pour annoncer au monde entier la condamnation de Dreyfus à dix ans de prison avec circonstances atténuantes, par cinq voix contre deux, dont celle du président du conseil de guerre qui vote l’acquittement.

Et à peine dix jours après le jugement de Rennes, le président français Émile Loubet, en raison de la pression internationale et du risque d’un boycottage de l’exposition universelle de 1900, gracie Alfred Dreyfus.

Mais n’oublions pas que le 17 novembre de la même année, le gouvernement dépose une loi d’amnistie dont l’annonce déclenche de vives critiques car elle met à l’abri de poursuite tous les instigateurs de l’Affaire. Le 24 décembre 1900, le Sénat vote cette loi d’amnistie indigne sur tous les faits concernant l’affaire Dreyfus. Les auteurs militaires et civils du complot ne seront jamais poursuivis.

Les 120 ans du procès sont l’occasion pour Rennes de proposer jusqu’au 29 novembre visites guidées, expositions, pièces de théâtre, conférences, dont l’une avec le petit-fils d’Alfred Dreyfus.

Source lesoleil