Success story : Yuri Milner, le juif multimilliardaire, à la recherche des extraterrestres

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Avec une fortune de 3,6 milliards de dollars, l’homme d’affaires juif russe peut presque tout se permettre. Y compris de se lancer à la recherche de la vie extraterrestre. Un projet très sérieux pour lequel il a déjà investi 100 millions de dollars.

Yuri Milner voit les choses en grand. La villa aux allures de château de la Loire qu’il a achetée en 2011 dans la Silicon Valley fut, en son temps, la maison la plus chère jamais vendue aux Etats-Unis : 100 millions de dollars. Long de 107 mètres et disposant d’une trentaine de cabines, son yacht Andromeda, construit en 2016, est l’un des plus grands et des plus chers au monde : 250 millions de dollars. Il est vrai qu’avec une fortune de 3,6 milliards de dollars, l’homme d’affaires russe peut presque tout se permettre. Y compris de se lancer à la recherche de la vie extraterrestre. Un projet très sérieux, pour lequel il a déjà investi 100 millions de dollars.

Cosmologie et physique des particules élémentaires

Etonnant parcours que celui de ce milliardaire né à Moscou sous Nikita Khrouchtchev et que le magazine « Forbes » a classé en 2017 parmi les esprits les plus fertiles du monde des affaires. L’homme a de qui tenir. Né en 1961, il appartient à une famille d’intellectuels juifs qui ont échappé aux ultimes purges de Staline dirigées contre la communauté juive d’URSS. Son père, Bentsion Milner, est directeur de l’Institut d’économie au sein de la prestigieuse Académie des sciences d’URSS ; sa mère, Betty, une virologue réputée.

C’est donc tout naturellement que le jeune Yuri, au terme d’une scolarité brillante, intègre à la fin des années 1970 l’Université de Moscou pour y étudier la physique théorique. Diplômé en 1985, il rejoint l’Institut de physique Lebedev, où il travaille sous l’autorité de Vitaly Ginzburg, le « père de la bombe atomique soviétique », qui recevra le prix Nobel de physique en 2003. La cosmologie et la physique des particules élémentaires : tels sont les deux domaines de prédilection de Yuri Milner. Sa voie semble toute tracée : il sera scientifique, comme ses parents avant lui. Mais c’est compter sans la grande histoire…

« Années perdues »

En 1990, l’URSS éclate. A vingt-neuf ans, Milner est à la croisée des chemins. Rester à Moscou, alors que le pays tout entier semble s’enfoncer dans le chaos, ou aller tenter sa chance ailleurs ? Cette année-là, il s’envole pour les Etats-Unis. Pour poursuivre une carrière de physicien ? Certes, non. Il sait, comme il l’expliquera lui-même plus tard, qu’il ne pourra jamais égaler ces deux géants de la science que sont Vitaly Ginzburg et Andrei Sakharov, qu’il a eu l’occasion de croiser à plusieurs reprises lorsqu’il travaillait à l’Institut de physique Lebedev. Milner veut à présent se lancer dans les affaires. C’est donc au MBA de Wharton School que le jeune physicien s’inscrit à son arrivée aux Etats-Unis. Il est le premier Russe non immigré à le faire.

Son diplôme en poche en 1992, il crée sa première affaire : la vente d’ordinateurs en Russie. Achetées aux Etats-Unis, les machines sont revendues à Moscou ou à Saint-Pétersbourg sur le marché gris, c’est-à-dire via des canaux de distribution non autorisés par les constructeurs. Le jeune homme a cependant vite fait de se lasser de cette activité à l’avenir mal assuré. Au bout de quelques mois, il intègre la Banque mondiale à Washington comme spécialiste du marché bancaire russe, alors en pleine privatisation.

« Des années perdues », dira-t-il plus tard, parlant de ces années passées au sein de l’institution financière internationale. C’est qu’en Russie règne une véritable foire d’empoigne. Depuis l’arrivée au pouvoir de Boris Eltsine, les oligarques – dont beaucoup sont d’anciens dirigeants du Parti communiste – se livrent une guerre sans merci pour accaparer les fleurons de l’industrie jusqu’à présent propriété de l’Etat. Depuis Washington, Yuri Milner ne peut qu’assister, impuissant, à la curée. Mais il brûle de revenir au pays pour profiter, lui aussi, du festin.

Dans toutes les pépites du numérique

C’est chose faite en 1995. Cette année-là, il rejoint à Moscou, comme directeur général, la banque Menatep, propriété de l’oligarque Mikhaïl Khodorkovski qui s’apprête à mettre la main sur le groupe pétrolier Ioukos. Il va y rester trois ans, supervisant les investissements étrangers en Russie, avant de s’intéresser à Internet, dont il pressent les fabuleux développements. C’est ainsi qu’en 1999, avec l’aide du financier américain Gregory Finger, qui a investi dans l’affaire 750.000 dollars, il fonde Netbridge Service, un incubateur qui cible la jeune économie du Web. Parmi ses titres de gloire : la création du moteur de recherche Mail.ru, l’un des plus populaires de Russie qui, au début des années 2010, contrôlera 70 % du trafic Internet russe.

Le Web fera la fortune de Yuri Milner. Au milieu des années 2000, l’entrepreneur est déjà un homme riche. S’il n’est pas encore milliardaire, sa fortune approche les 100 millions de dollars. En 2005, décidé à élargir ses horizons, il fonde Digital Sky Technologies (DST), une société de capital-risque qui entend investir dans toutes les pépites de l’économie numérique. Son premier coup de flair, c’est en 2009, lorsque, à la suite d’une rencontre avec Mark Zuckerberg, il décide de miser sur Facebook. A l’époque, le réseau social lancé en 2004 ne vaut « que » 10 milliards de dollars. En déboursant 200 millions de dollars pour acquérir 1,96 % de la firme, Yuri Milner ne se doute certainement pas que la valeur de ses parts sera multipliée par 10 en trois ans ! D’autant que l’entrepreneur ne s’arrête pas là. Décidément doté d’un flair infaillible, il investit également dans Twitter, WhatsApp et Snapchat en attendant, plus tard, Airbnb, Spotify ou Alibaba.

Retour vers les sciences

Au début des années 2010, en grande partie grâce à sa participation dans Facebook, Yuri Milner est devenu un authentique milliardaire. Quinze ans après avoir fait ses premiers pas dans les affaires, il entend alors renouer avec sa passion d’origine. En juillet 2012, avec sa femme Julia, qu’il a épousée en 2004, il fonde le Prix Breakthrough, qui récompense des avancées majeures dans les domaines des sciences de la vie, de la physique fondamentale et des mathématiques. Le comité de soutien est prestigieux (Sergey Brin, cofondateur de Google, Mark Zuckerberg et la scientifique et femme d’affaires Anne Wojcicki). De la promotion de la recherche fondamentale à la quête d’une vie extraterrestre, un sujet qui passionne l’entrepreneur 2.0 depuis ses travaux en cosmologie à l’Institut de physique Lebedev, il n’y a qu’un pas. Il est franchi trois ans plus tard.

Le 20 juillet 2015, devant une assemblée triée sur le volet rassemblée à la Royal Society Science Academy de Londres, Yuri Milner, accompagné de son épouse, annonce le lancement de Breakthrough Initiatives, dont l’objectif est de repérer des formes de vie extraterrestres. Délire de milliardaire qui ne sait plus quoi faire de son argent ? Loin s’en faut ! Ce jour-là, aux côtés du couple Milner, on remarque en effet Stephen Hawking, le physicien et cosmologiste britannique – mort en 2018 -, le professeur d’astronomie Martin Rees, et Franck Drake, astronome et fondateur du projet SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence) qui se consacre depuis les années 1960 à la recherche de civilisations extraterrestres.

Les trois hommes, dont le sérieux scientifique est incontestable, sont totalement acquis au projet du milliardaire russe. Celui-ci se décline en deux parties : la plus importante, Breakthrough Listen, cherche à détecter des émissions radio en provenance d’autres civilisations ; la seconde, Breakthrough Message, a pour objectif de préparer puis de lancer un message dans l’espace, à l’image du célèbre message d’Arecibo envoyé par Frank Drake et Carl Sagan en novembre 1974.

A l’écoute d’un million d’étoiles

Ce que Milner promet à Londres en ce jour de juillet 2015, c’est un chèque de 100 millions de dollars. Une somme prélevée sur son compte personnel et qui sera versée au Seti pour soutenir ses programmes de recherches. Avec cet argent, le centre, basé en Californie, aura un accès beaucoup plus étendu aux radiotélescopes géants de Green Bank, en Virginie, et de Parkes, en Australie. La bande spectrale étudiée dans le domaine radio sera cinq fois plus large et concernera une partie de la voûte céleste dix fois plus étendue que précédemment. L’analyse des signaux radios sera cent fois plus rapide. Grâce à Breakthrough Listen, la sensibilité du programme Seti sera au total multipliée par 50. Il sera ainsi en mesure d’écouter pas moins d’un million d’étoiles situées à proximité du soleil. Un véritable bond en avant pour le Seti.

L’annonce de Breakthrough Initiatives ne suscite guère de critiques parmi les astrophysiciens et les spécialistes de cosmologie. Et pas seulement parce que Stephen Hawking lui apporte sa caution. L’hypothèse d’une vie extraterrestre est depuis longtemps prise au sérieux par les organismes et les instituts publics de recherche, y compris par la Nasa. Mais aucun programme d’envergure n’a jamais été lancé, faute de véritable intérêt et, surtout, de moyens financiers.

Trois ans plus tard, les résultats se font toujours attendre. « Nous n’avons trouvé aucune preuve de signaux artificiels venant de l’extérieur de la Terre, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas de vie intelligente là-bas : nous n’avons peut-être pas encore regardé au bon endroit, ni regardé assez profondément pour détecter des signaux faibles », a  annoncé en juin dernier Danny Price , à la tête du programme Breakthrough Listen. Convaincu qu’il finira par trouver quelque chose, Yuri Milner, loin de se laisser abattre, est même passé à la vitesse supérieure.

En octobre 2018, il a annoncé avoir conclu un partenariat avec l’Afrique du Sud pour utiliser son puissant réseau de radiotélescopes MeerKAT. Un mois plus tard, c’est la Nasa elle-même qui annonce son association avec le milliardaire russe afin de monter ce qui sera la première mission privée dans l’espace lointain. Objectif : envoyer une sonde pour détecter de la vie sur Encelade, une lune de Saturne située à 1,6 milliard de kilomètres de la Terre.  Pour y parvenir, il espère construire un  vaisseau spatial miniature capable d’approcher la vitesse de la lumière grâce à une voile bombardée de photons produits par un laser terrestre… Yuri Milner en est persuadé : la quête d’une forme de vie extraterrestre ne fait que commencer !

Tristan Gaston-Breton

Source lesechos