Histoire : Les aventures africaines du juif marocain Mordekhaï Aby Serour

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Mordekhaï Aby Serour par Auguste Osbert. / Ph. DR
C’est l’histoire d’un Marocain, de confession juive, ayant été à la fois rabbin, commerçant, trafiquant d’or, explorateur et géographe. A l’origine de l’arrivée des commerçants juifs à Tombouctou, Mordekhaï Aby Serour sera même guide pour Charles de Foucauld dans sa «reconnaissance du Maroc» en 1884.

Mordekhaï Aby Serour voit le jour dans la ville d’Akka (actuellement située dans la province de Tata et la région de Souss-Massa) entre 1826. A l’âge de 9 ans seulement, il aurait entrepris son premier voyage, «seul, sans guide, sans argent et à la grâce de Dieu», de son village natal à Marrakech, rapporte la plateforme Akadem du Fonds Social Juif Unifié.

Mordekhaï Aby Serour approfondit ainsi ses connaissances en hébreu et commence ses études talmudiques. A 13 ans, en 1839, il se lance dans un périple méditerranéen de trois ans qui le conduira à Jérusalem pour devenir Rabbin. Si Akadem indique que le Marocain passera en effet quatre ans dans une yéchiva (école) à Jérusalem avant d’exercer, en 1847, le rabbinat à Alep, en Syrie, l’ethnopsychiatre français Tobie Nathan affirme le contraire. Lors d’une présentation intitulée «La Tora à Tombouctou», il déclare en 2008 que c’est plutôt à Alep que le Marocain de confession juive poursuivra ses études.

De retour au Maghreb, Rabbi Mordekhaï Aby Serour choisit l’Algérie où il s’installe, de 1847 à 1858, à Philippeville, ancienne nom de Skikda, et Alger. Son voyage pour Tamentit, l’ancienne capitale juive du Touat, actuellement située dans l’Adrar algérien, lui permet alors de croiser des caravaniers et lui met dans sa tête l’idée de devenir commerçant.

Il revient ainsi à Akka pour retrouver son jeune frère Isaac, puis s’associe avec un commerçant juif, Salomon Ohayon, et part à la recherche de l’or à Tombouctou. La ville sainte de l’Islam était alors «interdite» car «aucun non-musulman ne peut y entrer sans risque pour sa vie».

Un malchanceux «trafiquant d’or»

Dans «On Trans-Saharan Trails : Islamic Law, Trade Networks, and Cross-Cultural Exchange in Nineteenth-Century Western Africa» (Editions Cambridge University Press, 2009), Ghislaine Lydon raconte comment les deux juifs marocains avaient choisi le marché des plumes d’autruche pour commercer. «Mais leur caravane a été retenue à Araouane (petit village dans la partie malienne du Sahara, à environ 260 kilomètres au nord de Tombouctou, ndlr), pendant un an avant de se rendre à Tombouctou en 1859», poursuit-elle.

Le rabbin, très rusé, déploiera son génie. Il réussit à obtenir des autorisations pour commercer, et fait même «venir des gens à Tombouctou». «Il fait venir David Mazaltarim, Rabbi Raphael, Shimone Ben Yaacoub, Issaac Ben Moché, Abraham Aby Serour, son cousin, … jusqu’à ce qu’il arrive à constituer un minian», soit le quorum de dix hommes adultes nécessaire à la récitation des prières les plus importantes de tout office ou de toute cérémonie, raconte l’ethnopsychiatre français Tobie Nathan.

De son côté, Ghislaine Lydon rapporte que Mordekhaï Aby Serour n’a jamais connu de succès dans son travail de commerçant. Ses caravanes attaquées notamment par Oulad Bou Sbaâ au Sahara, il «ne se remettra jamais de ses pertes et rentre au Maroc en 1868 avec plusieurs membres de sa famille». Il tentera même de récupérer ses richesses de Tombouctou une dernière fois, en vain.

A un moment, les gens de Tombouctou apprennent aussi qu’il a de l’or caché. «Furieux, il revient à Essaouira raconter ce qu’il lui arrive au consul de France à Essaouira». «Ce dernier, pris de passion, fait écrire le récit de Mordekhaï Aby Serour en français», poursuit-on. Le récit est présenté à la société de géographie à Paris sous le titre «Premier établissement des Israélites à Tombouctou» qui le publie dans son Bulletin. Le juif marocain relance ainsi sa vie, en devenant scientifique, travaillant pour les sociétés savantes parisiennes en collectant renseignements ou échantillons botaniques et géologiques.

Un guide de Foucauld tombé aux oubliettes

Mais à la mort du consul de France à Essaouira, il tombe dans les oubliettes. Il part alors vers l’Algérie pour redevenir Rabbin à Oran. Bientôt, Mordekhaï Aby Serour relancera sa carrière en devenant guide.

«Il commence à faire circuler l’armée française à l’intérieur du Sahara et surtout il servira de guide à Charles de Foucauld. Je pense que c’est sous sa dictée que Charles de Foucauld écrit son premier bouquin « La reconnaissance du Maroc », celui à partir duquel la France va pouvoir conquérir le Maroc qui est à ce moment-là en révolte.» (Tobie Nathan)

C’est vers 1884 que Mordekhaï Aby Serour devient une star ayant été successivement rabbin, commerçant, trafiquant d’or, explorateur, géographe et «probablement espion», comme le rapporte Tobie Nathan.

Mais les choses tournent mal pour lui. Foucauld, revenant en France en tant que héros, son livre ne mentionne guerre l’apport de Mordekhaï Aby Serour. Pis, l’auteur de «Reconnaissance au Maroc» critique même les juifs qui l’auraient accueilli au Maroc, alors qu’il était déguisé pendant 11 mois en tant que rabbin juif.

Mordekhaï aby Serour tombe ainsi, une dernière fois, aux oubliettes. Il meurt à Alger le 6 avril 1886 à l’âge de 60 ans.

Source yabiladi