Une exposition présentée au Musée Juif de Vienne à l’occasion de l’acquisition par l’institution culturelle autrichienne de dessins réalisés par Simon Wiesenthal présente une part «méconnue» des autobiographes du célèbre «chasseur de nazis», à savoir son activité d’architecte.
Rescapé du camp de concentration de Mauthausen dont il fut libéré en 1945, Simon Wiesenthal a consacré sa vie à la traque des criminels de guerre nazis jusqu’à sa disparition en 2005. L’homme est particulièrement connu pour avoir activement participé à l’arrestation en Argentine d’Adolf Eichmann. Le responsable de la logistique de la «solution finale» a été exécuté en 1961 après son procès à Jérusalem.
«Simon Wiesenthal est aujourd’hui connu comme l’homme qui a consacré sa vie à la justice pour les victimes de la Shoah. Cependant, sa carrière d’architecte, qu’il a poursuivie jusqu’à sa persécution par le régime nazi, est tombée dans l’oubli», explique Michaela Vocelka, commissaire de l’exposition «Café As. La survie de Simon Wiesenthal» présentée au Musée Juif de Vienne jusqu’au 12 janvier 2020.
Intéressé par l’art, doué pour le dessin, Simon Wiesenthal voulait entreprendre des études d’architecture. Né en 1908 à Boutchatch, sur les marges orientales de l’Empire Austro-hongrois, il souhaitait logiquement rejoindre la métropole la plus proche, Lviv. Toutefois l’école polytechnique de la ville avait atteint son quota d’élèves juifs. Simon Wiesenthal s’en est allé à Prague où il fut accepté à l’université technique du nouvel état tchécoslovaque.
Avant de revenir dans sa Galicie natale, il a suivi, à Odessa, un stage en génie civil pendant un an. En 1936, il épouse Cyla Müller. La période du retour en URSS est toutefois trouble et les sources se contredisent. Les uns affirment que Simon Wiesenthal auraient ouvert un cabinet d’architecte. Les autres, curriculum vitae à l’appui, évoque les «petits boulots» d’un jeune homme : contremaître dans une usine jusqu’en 1939 puis mécanicien jusqu’à l’invasion allemande.
A la fin de l’automne 1941, Simon Wiesenthal et son épouse sont envoyés au camp de travail de Janowska, dans les environs de Lviv. Séparé de Cyla, il rejoint un camp dirigé, entre autres, par Adolf Kohlrautz qui identifie chez Simon Wiesenthal ses talents de dessinateur et d’architecte ; il lui aurait fait réaliser quelques plans mais le haut gradé allemand se les serait ensuite appropriés.
Un jour que Simon Wiesenthal devait être fusillé avec 53 autres Juifs pour célébrer le 54e anniversaire du führer, Adolf Kohlrautz est intervenu en sa faveur prétextant que le condamné était le plus à même de peindre le portrait d’Adolf Hitler… Les années suivantes, malgré une évasion réussie, sont restées celles de la détention : Przemyśl, puis Płaszów, Grosse-Rosen, Buchenwald et enfin Mauthausen.
«Lors de ce dernier emprisonnement en 1945, Simon Wiesenthal a rencontré le prisonnier polonais Edmund Staniszewski, qui lui a passé à plusieurs reprises de la nourriture et, de fait, lui a sauvé la vie. La fin de la guerre était alors déjà prévisible. Edmund Staniszewski espérait ouvrir un café à Poznan et a demandé à Wiesenthal quelques idées. Au sein même du camp, Simon Wiesenthal a réussi à réaliser les premiers croquis du projet. Dans les semaines qui ont suivi la libération, il les a perfectionnés et transformés en dessins», explique Michaela Vocelka.
Ces esquisses sont à plus d’un titre un témoigne d’espoir dans la lutte de Simon Wiesenthal pour sa survie dans le système meurtrier du national socialisme. Ces documents sont aussi un témoignage nouveau quant à sa profession d’architecte. Ils sont d’autant plus précieux que le Café As n’a jamais été construit ; Edmund Staniszewski ayant été, peu après sa libération, exproprié par les communistes.
Jean-Philippe Hugron