Avigdor Liberman, le Brutus qui veut la peau de Benjamin Netanyahu

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L’ex-ministre de la Défense complique la tâche du Premier ministre qui va devoir mener une nouvelle campagne électorale, à hauts risques, pour les législatives du 17 septembre.

Trois jours après la dissolution de la Knesset, Benjamin Netanyahu a limogé dimanche la ministre israélienne de la Justice, Ayelet Shaked, et son collègue à l’Education, Naftali Bennett. Le Premier ministre sanctionne deux leaders politiques qui avaient présenté une liste concurrente de droite lors des législatives d’avril dernier. Et bat déjà campagne contre Avigdor Lieberman, le chef d’Israël Beytenu, tenu responsable de la crise pour n’avoir pas voulu intégrer la coalition après les législatives du 9 avril.

La crise post-électorale

La crise post-électorale prend des tournures de tragédie romaine. Benjamin Netanyahu accuse Avigdor Lieberman d’être un tueur en série des gouvernements de droite. Ayant échoué à former une coalition, le Premier ministre a aussi reproché au chef d’Israël Beytenu sa « folie des grandeurs » et sa débordante « ambition personnelle ». « Il est impossible de lui faire confiance », a-t-il ajouté. Le duel entre les deux ex-alliés pourrait aboutir à la mort politique, de l’un ou l’autre, à l’issue de nouvelles élections programmées le 17 septembre. Les éditorialistes voient en Liberman le Brutus de « Cesar » Netanyahu.

Juif russophone de Moldavie, ce faucon de droite a émigré en Israël en 1978. Caporal de Tsahal, il a enchaîné les petits boulots comme videur de boîte de nuit. Il a grandi au Likoud dans l’ombre de Netanyahu dont il a été chauffeur, repasseur de chemise et chef de cabinet de « Bibi », de 1996 à 1997. Il rompt ensuite avec son mentor, l’accusant notamment de ne pas être assez dur avec les Palestiniens. Il fonde son parti et devient député. Il prône une ligne radicale vis-à-vis des Arabes israéliens, du Hamas et de l’Iran. Partenaire d’appoint des coalitions depuis 2001, il truste différents portefeuilles (Infrastructures, Affaires stratégiques, Affaires étrangères, Défense).

De l’amitié à la rivalité politique

Son amitié avec Netanyahu s’est muée en rivalité politique. Il n’a pas hésité à traiter son ex-allié d’escroc et de menteur lors de la dernière campagne. Après la dissolution de la Knesset, « Bibi » l’a qualifié de gauchiste. L’intéressé en a ri. Il a rappelé qu’il vivait dans une colonie de Cisjordanie quand le Premier ministre possédait une maison dans la riche ville côtière de Césarée.

« Bibi n’a pas vu le coup venir, explique Emmanuel Navon, professeur en relations internationales à l’Université de Tel-Aviv. Pourtant, le soir même de sa victoire, Liberman n’a pas répondu à son appel alors qu’il contactait tous ses partenaires (partis de droite, ultraorthodoxes) pour s’assurer de leur loyauté. » Le chef d’Israël Beytenu était la dernière clé du trousseau pour avoir la majorité à la Knesset. L’éclatement de la vie partisane, malgré un seuil d’éligibilité porté à 3,25 %, renforce la capacité de chantage des partis de taille moyenne comme le sien.

Avigdor Lieberman s’est souvent comporté en maître chanteur pour obtenir un maximum de portefeuilles dans les coalitions au pouvoir depuis 2001. Il avait quitté son poste de ministre de la Défense en novembre dernier afin d’affaiblir Netanyahu en proie des enquêtes judiciaires pour corruption. Cette fois, il a fait monter les enchères afin de piéger « Bibi ».

Tactiquement, il n’avait pas intérêt à satisfaire son ex-allié qui siphonne les voix de droite dont celles de ses électeurs. Naftali Bennett et Ayelet Shaked, les fondateurs du parti de la Nouvelle Droite, n’ont pas atteint le seuil d’éligibilité lors du dernier scrutin. « Liberman compte traditionnellement sur l’électorat russophone mais le vote communautariste a tendance à se rétrécir chez les descendants des immigrés, poursuit Emmanuel Navon. Il n’a obtenu que cinq sièges (4 % des voix) lors du dernier scrutin. Il n’aurait eu qu’un ministère sans influence et son parti risquait d’être rayé de la carte à terme. Il cherche dorénavant à s’imposer comme le leader de la droite laïc. » Il s’est ainsi opposé à une exemption du service militaire obligatoire pour les jeunes théologiens, une requête des partis juifs ultraorthodoxes pour intégrer la coalition.

Tu quoque mi fili

« Pour la première fois, un leader a tenu tête aux ultraorthodoxes en refusant de leur accorder une nouvelle dérogation à la loi, confie le journaliste et chercheur Ben-Dror Yemini, auteur de L’industrie du mensonge (à paraître en français). C’est le nouveau héros qui a fait trébucher le génie politique Netanyahu. » Les premiers sondages publiés, depuis la dissolution de la Knesset, attribuent au parti de Liberman deux à trois sièges de plus lors du prochain scrutin.

Les cadres du Likoud, comme Gideon Sa’ar, Yuli‑Yoel Edelstein, Guilad Erdan sentent « Bibi » affaibli mais n’ont pas osé, jusqu’à présent, s’émanciper. Leur leader reste populaire. Et, cernés par les affaires, il sait que sa survie passe par la conservation de son trône. Adeptes des formules chocs, ignorant les codes de bonne conduite, Netanyahu et Liberman devraient s’écharper copieusement pour capter les voix de droite. « En Israël, l’électorat est très divisé et reflète un large spectre d’opinion, conclut Ben-Dror Yemini. Les partis cherchent les voix comme ils vont au supermarché. Et tissent de nouvelles alliances, à droite, au centre comme à gauche, au gré de leurs intérêts. »

Source lopinion