Jean-Claude Grumberg : « Giraudoux, Anouilh, ils étaient tous antisémites… »

Abonnez-vous à la newsletter

Invité de France Inter, Jean-Claude Grumberg, écrivain et fils de déporté, a souligné l’antisémitisme des auteurs français au début du XXe jusque dans les années 50. Décryptages et éclairages sur les auteurs cités lors de son entretien avec Léa Salamé .

Ce que dit Jean-Claude Grumberg

« En France toute la littérature française, à quelques exceptions près, a produit… on n’imagine pas ce qu’était l’antisémitisme à la fin du XIXe siècle et jusque dans les années 40-50. Vous ouvriez un livre, n’importe quel auteur, Giraudoux, Anouilh, ils étaient tous antisémites ».

Ce « tous antisémites » a pu se faire retourner dans leurs tombes des auteurs comme Émile Zola, Albert Camus, Louise Michel ou Colette.

Un antisémitisme ordinaire

Ce que Jean-Claude Grumberg évoque en creux, c’est la fin du XIXe siècle, et l’affaire Dreyfus qui a révélé l’ impact profond de l’antisémitisme sur la société française. À droite comme à gauche, cet antisémitisme trouve alors des raisons d’exister et de se répandre notamment sous l’impulsion d’Édouard Drumont que Grumberg cite plus loin. Député d’Alger, nationaliste, antisémite et antidreyfusard, Drumond est mort en 1913. Il est le fondateur de la Ligue nationale antisémitique de France. Ses idées se sont très largement répandues dans le débat public de l’époque.

À l’occasion de l’affaire Dreyfus justement, des auteurs comme Charles Péguy, Emile Zola (avec son J’accuse), Octave Mirbeau, ont pris la défense de Dreyfus. Mais il est vrai que d’autres auteurs, comme Charles Maurras ou Paul Valéry, se sont placés du coté des anti-dreyfusards. Poète et fondateur de l’Action Française, Charles Maurras avait déroulé son « programme anti-juif » dès 1911.

La guerre comme révélateur

Bien sûr Céline est le cas le plus virulent et le plus connu. Grumberg cite aussi Anouilh dont certains ont dit que sa pièce Antigone était une apologie de la collaboration. Ce dernier a également travaillé pour La Gerbe et Je suis partout,hebdomadaires collaborationnistes. Anouilh n’a pas été poursuivi au moment de l’épuration contrairement à Robert Brasillach, rédacteur en chef de Je suis partout, fusillé en 1945. La réputation d’Anouilh tient notamment au fait qu’il a, avec d’autres écrivains et intellectuels, réclamé la grâce pour Brasillach (refusée par De Gaulle). Mais il faut reconnaître que Camus aussi a réclamé cette grâce et n’est pas soupçonnable d’antisémitisme.

Giraudoux, également cité par Grumberg, a publié un essai, Pleins Pouvoirs, jugé proche de l’antisémitisme de Hegel. Il aurait ainsi banalisé le racisme des années 30 contre les Juifs, « prodigieusement banal« , selon Pierre Vidal-Naquet.

Mais Grumberg, s’il concède des exceptions, aurait pu citer de nombreux auteurs pour les années 30-50, qui eux se sont servis de leur plume pour dénoncer ou bien ont pris le maquis. Car au moment où Giraudoux dissertait sur le concept de race, et au moment où Céline publiait ses pamphlets, Albert Camus , écrivait sa Lettre à un ami allemand, ami imaginaire d’un pays réel qui a voulu dominer l’Europe.

« Je continue de croire que ce monde n’a pas de sens supérieur, lui écrit-il. Mais je sais que quelque chose en lui a du sens, et c’est l’homme, parce qu’il est le seul être à exiger d’en avoir. » 

Grumberg le classe sûrement dans les exceptions, comme Emile Zola pour l’époque précédente. Mais la liste des « résistants » n’est pas terminée.

Des écrivains et éditeurs résistants

François Mauriac et  Louis Aragon ont mis leur plume au service de la Résistance. D’autres ont pris le maquis : Pascal Pia, René Char, Jean Prévost, André Malraux. 

Au contraire des éditeurs empêtrés dans les relations avec l’Occupant (Gallimard) ou franchement collaborationnistes (Fayard), d’autres ont choisi clairement d’agir dans l’ombre. À partir de l’automne 1942, les Éditions de Minuit éditent clandestinement toute une série de nouvelles et romans inédits. Le silence de la merde Vercors et le Cahier noir de François Mauriac, suivi plus tard de Dans la prison de Jean Guéhenno qui avait préféré rester silencieux pendant les années les plus noires de la guerre.

Le « tous antisémites » de Grumberg est largement exagéré, et l’on comprend bien qu’il exprime une tendance importante de la société française depuis le XIXe siècle auxquels les écrivains n’ont pas échappé, mais il oublie, dans ce lyrisme, tous ceux qui l’ont heureusement dépassée.

Source franceinter