Procès Nemmouche : la théorie fumeuse du complot du Mossad

Abonnez-vous à la newsletter

La défense de Nemmouche s’est lancée dans une reconstitution abracadabrantesque des faits, et a développé des thèses complotistes. Et le prévenu a exercé son droit au silence. On se serait crus dans un mauvais film américain.

Il l’a répété une bonne vingtaine de fois et sur tous les tons. « Medhi Nemmouche n’est PAS le tueur. » Comme si à force de le répéter, maître Laquay allait parvenir, lors de la lecture de l’acte de défense, à en convaincre les jurés. La semaine dernière, ces derniers ont lu et écouté l’acte d’accusation, très attentifs et studieux – certains l’annotant et le surlignant dans tous les sens, puisque le rapport épais de près de 200 pages leur avait été distribué – et c’était accablant pour le prévenu. Maître Laquay avait donc beaucoup à faire pour tenter d’induire le doute.

« Messieurs et mesdames les jurés, vous avez entendu une version tronquée des faits. Medhi Nemmouche n’est PAS le tueur. Toutes nos preuves le démontrent !!! », scandait-il avec conviction.

« Medhi Nemmouche n’est pas le tueur ! »

Ce mardi, au procès Nemmouche, on s’est sentis un peu comme dans un mauvais téléfilm américain, tandis que les avocats de Medhi Nemmouche déroulaient une reconstitution assez abracadabrantesque des faits, visant à démontrer que l’instruction avait failli dès le début et que leur client était « victime » du parquet fédéral, lequel avait « truqué » les preuves. « Le parquet a mis 48 heures à vous lire son acte d’accusation. Et nous, en cinq minutes, on vous le démonte. Car Medhi Nemmouche n’est PAS le tueur ! »

Le co-prévenu, Nacer Bendrer, qui a admis lors de l’instruction avoir trouvé les armes pour Medhi Nemmouche ? « On lui a mis la pression ! Il y a eu un accord avec le parquet ! Medhi Nemmouche n’est PAS le tueur ! » Les témoins qui disent l’avoir reconnu aux alentours du musée ? Des mythomanes ! Il y en a beaucoup dans ce dossier ! Medhi Nemmouche n’est PAS le tueur !

« Une affaire de cornecul »

Mais on est encore passé dans une autre dimension lorsque Sébastien Courtoy, l’autre avocat des Nemmouche, a demandé à ce que la Cour se déplace sur les lieux voir une mystérieuse maison qui aurait été louée, juste en face du musée juif, par des personnes qui avaient une « fausse identité », lesquelles « voulaient se faire passer pour des islamistes, mais n’en étaient pas », dixit le logeur (à Sébastien Courtoy, car cette histoire de maison ne semble pas dans la procédure).

Sebastien Courtoy a alors dégainé son as de pique : les Riva, ce couple de touristes israéliens, étaient des agents du Mossad, exécutés par un tueur professionnel. « On a fait porter le chapeau à notre client. » Et de promettre d’autres « preuves » pour expliquer comment les sept vidéos de revendication, où la voix de Nemmouche a été reconnue, avaient été montées pour lui tendre un piège, avec la présence de vêtements et d’objets lui appartenant. « Nous révélerons d’autres éléments au cours de l’audience et lors de notre plaidoirie finale. Mais nous vous convaincrons que cette histoire d’attentat de l’Etat islamique (EI), c’est une affaire de cornecul. »

Une affaire de cornecul ? La défense de Nemmouche est pourtant très embarrassée par le témoignage des journalistes, ex-otages en Syrie, dont Nemmouche a été le geôlier. Les avocats s’étaient d’ailleurs opposés à ce que le parquet les cite à comparaître. Dans l’acte de défense, ils ont réservé une attaque violente aux quatre journalistes, Didier François, Nicolas Hénin, Edouard Elias et Pierre Torres. Ce pourrait être lunaire si ce n’était pas aussi choquant.

« Ce Nicolas Hénin prétend avoir été battu »

Car Maître Laquay ne s’est pas contenté de rappeler qu’il y avait un procès prévu en France, sur ces faits de séquestration et de violence, et qu’il fallait le dissocier du procès de la tuerie du Musée Juif – ce qui à la limite, était défendable, même si les témoignages de Hénin ou François, racontant l’antisémitisme de Nemmouche, semblent tout de même intéressants pour nourrir le débat et expliquer les motivations du tueur du Musée Juif de Bruxelles. Il eût été suffisant de rappeler qu’un autre procès allait avoir lieu, en France… Mais Maître Laquay a poussé le bouchon un peu plus loin dans la provoc et mis en doute les témoignages des ex-otages. Notamment les deux qui se sont exprimés. Didier François. Et surtout Nicolas Hénin.

« Ce Nicolas Hénin prétend avoir été battu mais il nous calomnie sur les réseaux sociaux ce qui permet de mettre en doute son objectivité. »

Avant le début du procès, Nicolas Hénin a en effet retweeté la photo montrant Sébastien Courtoy et Henri Laquay, ces anciens avocats de Dieudonné, faisant une quenelle. Tweet qui lui a été d’ailleurs reproché, des avocats estimant qu’il n’était pas judicieux de discréditer la défense avec ce cliché. Nicolas Hénin nous a expliqué le pourquoi de son tweet : « Sur des procès verbaux d’audition, ses avocats ne se sont pas gênés pour me calomnier, eux ! En expliquant que j’étais un pseudo journaliste à la solde de services secrets envoyés en Syrie… »

« Les otages de l’EI, eux, sont toujours vivants »

Oui, il y a beaucoup de complots et de services secrets pour le duo Laquay et Courtoy. Voilà pourquoi cela ne les gêne pas trop d’expliquer que les quatre otages retenus près d’un an en Syrie ne sont pas crédibles.

Leurs récits sont de plus en plus sensationnels, certains en font des livres, le vendent dans des émissions de divertissement. Et puis les otages de l’EI ont été décapités. Eux, ils sont toujours vivants.

Gloups.

On aimerait, à ce moment-là, être dans la tête des jurés. Que pensent-ils de cette argumentation qu’on avait, il faut l’avouer, jamais entendue dans une cour de justice, en matière de terrorisme ? Les avocats des parties civiles font connaître leur « stupéfaction« . Christophe Marchand, de l’UNIA (Centre interfédéral pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme et les discriminations), ironise quand son micro grésille : « Ah, on veut me faire taire, je crois que c’est le Mossad. » L’avocat de Nacer Bendrer ne goûte pas non plus l’acte de défense de Nemmouche : « Je tiens à dire qu’il n’y a jamais eu d’accord avec le parquet et que ces allégations sont totalement surprenantes. ».

Dans le box, Medhi Nemmouche, visage calme, a écouté avec attention. Quand la présidente du tribunal lui demande : « Reconnaissez-vous avoir tiré sur quatre personnes le 4 mai 2018 ? », il dit très fort et très clairement « non ». Quand elle lui demande s’il a été en possession des armes, il tente d’argumenter, se fait retoquer par la présidente qui lui demande de répondre seulement par oui et non, et concède un « oui ».

Lors de vos auditions, vous avez de façon continuelle exercé votre droit au silence. Vos avocats avaient expliqué que vous étiez prêts à vous exprimer dans cette Cour d’assises, allez-vous le faire ? -Mes conseils et moi avions demandé à auditionner 150 témoins, dont une bonne partie a été refusée par vous, madame la présidente, avec tout le respect que je vous dois. J’estime que je ne peux pas être défendu convenablement je préfère donc continuer à exercer mon droit au silence et laisser mes conseils s’exprimer.– Mais je souhaite vous poser des questions à vous et non à vos conseils. Vous voulez dire que vous ne vous exprimerez pas ?– Non, je ne m’exprimerai pas. »

Ce sont les propos les plus longs qu’on ait entendus dans la bouche de Nemmouche depuis le début du procès. L’homme parle avec aisance.  Son élocution est très précise. Son verbe, recherché. Bref, on est loin, très loin, du détenu « bientôt aveugle » et « incapable de comparaître » qu’avaient présenté ses avocats à l’automne 2017.

Qu’importe la vérité des faits, Sébastien Courtoy est en boucle. L’audience se termine, il lance aux jurés : « Ne vous faites pas infantiliser ! Le parquet est très gêné par cette question du Mossad ! »

Source nouvelobs