Marina Foïs, grande actrice et juive assumée

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Ce matin j’ai trouvé dans le Monde un très bel article sur Marina Foïs. Je l’ai lu parce que j’aime l’actrice pour son talent, et j’ai eu la surprise de découvrir à la fin de ma lecture son judaïsme que j’ignorais. Voici un extrait de cet article.

Marina Foïs ne sait pas si elle est normale. Elle parle de ses racines, italiennes, juives, égyptiennes, allemandes… se reconnaissant surtout dans les premières : « Les Italiens croient au miracle, ils vivent, bouffent et rigolent bien, les juifs font pareil en attendant la catastrophe. » Elle a fait « un shabbat et demi » dans toute sa vie, mais se sent juive : « Quand on naît juif, on ne peut pas ne pas l’être. » Elle a « un rapport fort à l’histoire » venu de sa famille maternelle : « Quand je regarde un film sur la seconde guerre mondiale avec Lartigau [son mari, le réalisateur Eric Lartigau], je me dis toujours que lui serait d’un côté des barbelés et moi de l’autre. »

Père chercheur en physique thermonucléaire, mère psychanalyste, frère polytechnicien, une sœur médecin, l’autre journaliste… La barre était haute chez les Foïs. Elle, à 7 ans, savait qu’elle serait la première actrice de la famille. « J’ai voulu être tragédienne, ils m’ont laissée faire. C’était ça le luxe chez moi, on pouvait se tromper, faire dix ans d’études pour rien, les parents étaient derrière. Ils avaient un peu de pognon, c’est l’avantage sur les prolos. » Le seul désavantage : des lacunes en culture populaire. On travaillait, on lisait, on militait, on allait au théâtre, on voyageait, mais pas de télé et pas de Disney.

Quand elle a quitté sa banlieue de l’ouest de Paris pour une maison communautaire gay et lesbienne à Toulouse, avec son baby-sitter qui se trouvait être aussi son prof de théâtre au lycée, ses parents l’ont laissée partir en lui faisant promettre de passer son bac par correspondance. Ce qu’elle a fait, pas plus. « Le savoir didactique, ça m’emmerde, j’aime chercher par moi-même. Quand un sujet m’intéresse, je lis plus que de raison. »

Elle fait défiler sa vie sur son smartphone, zappant ses deux petits garçons, « ils n’ont rien à foutre dans les journaux », leur père, « Lartigau », sur lequel elle n’a nulle envie de s’étendre, et quelques « événements catastrophiques » récents. Elle esquisse une vie dramatique, jamais tranquille, avec la mort de son frère à 32 ans dans un crash d’avion de plaisance, une carrière foisonnante, des chagrins d’amour, sans rien détailler.

Une aversion pour la bourgeoisie et l’ennui

« J’ai traversé beaucoup de choses sans trop chouiner… Je me dis que je suis cap et que je ne souffrirai plus jamais pour des bêtises. » Elle montre des vestiges en Kodachrome, une villa d’enfance près de Naples avec des fenêtres carrées, des meubles sur mesure et une table de salle à manger de quatre mètres de long. C’est la maison de son grand-père italien, un architecte, « beau comme un acteur », qui peignait sur les rochers dans la forêt du Cilento. Il était marié à une Bovary allemande « détestable » qui lui a légué une aversion définitive pour les « vies cloisonnées, la bourgeoisie, l’ennui, l’immobilité dans le boulot et le couple »…

À ce grand-père, elle doit le tréma de Foïs et un intérêt jamais démenti pour le béton banché et les architectes Mies van der Rohe ou Niemeyer, Gae Aulenti et Carlo Scarpa. « Je me prends pour une archi, je me la pète… mais je crois que j’ai le sens de l’espace et des proportions. » Son obsession du contrôle, de la perfection se niche dans les détails. « Je suis capable d’hésiter entre cinquante nuances de blanc pour mon salon. »

Très connectée et soucieuse de le rester, elle navigue à l’infini sur les blogs de cuisine et de mobilier vintage, quand elle ne tweete ou n’instagramme pas sur tout, les Louboutin, les migrants, le réchauffement climatique, les fachos. Elle est marquée par sa famille, « très engagée, très à gauche ».

Le sens de la fête et des grandes tablées

Olivier Gourmet estime qu’il « y a chez elle une nécessité de transmettre de vraies convictions, d’incarner une réalité sociale ». Elle aurait, selon son amie la productrice Marie-Ange Luciani, « une vraie conscience de l’état du monde ». Et aussi, rapport à son ascendance italienne, le sens de la fête et des grandes tablées. « Il faut la voir sur un marché à Naples, raconte une amie, elle est chez elle. »

À Paris, elle cuisine pour ses amis, mélangés à sa sauce autour de sa grande table. Il y a la chanteuse Louane, jeune fille cabossée et talentueuse, qui remplit les Zénith, qu’elle a pris sous son aile depuis son rôle dans La Famille Bélier, film d’Eric Lartigau qui a comptabilisé plus de 7,5 millions d’entrées. Louane, qui est orpheline, l’appelle maman.

Autour de la table, souvent des célébrités parisiennes, Géraldine Nakache, Leïla Bekhti, Laurent Lafitte (Papa ou Maman 1 et 2) ou Alain Chabat. Marina Foïs et lui se sont récemment beaucoup amusés sur le plateau du jeu « Burger Quiz », vieille pépite déjantée de Canal passée sur TMC. Ils y convient leurs amis, improvisent, on dirait un dîner chez Marina Foïs, le vin en moins. « On peut partir très, très tard de chez elle, tous bourrés sauf elle, raconte Marie-Ange Luciani. Elle a l’art de prendre un verre et de le faire durer toute une soirée. »

Au petit matin, Marina Foïs sort dans un hoodie conduire ses deux garçons à l’école, puis lever des poids à la salle de gym, « pour ne pas vieillir en trop sale état ». Comme une scientifique sur son microscope, un peu effrayée, elle regarde les années s’imprimer sur son visage, résolue à ignorer la chirurgie esthétique. « Je ne serais jamais satisfaite et j’aurais trop peur de là où cela m’emmènerait. »

Les lumières glauques, les scènes de sexe ne lui font pas peur : « Dans Irréprochable (thriller de Sébastien Marnier sorti en 2016), la séquence au lit avec Benjamin Biolay était hard. Mais c’était la seule où il était possible de montrer que cette fille perdait son pouvoir. » Elle explique tourner volontiers « les scènes de cul » « Elles disent quelque chose des personnages. Imposer ma pudeur n’aurait pas de sens. »

Quand elle pose pour un magazine, c’est une autre chanson. « Je me fous d’être laide dans un plan bouleversant. Mais je ne supporte pas de voir un gramme de cellulite sur une photo de presse. » Un aperçu de la Marina Foïs parfois raide décrite en pointillé par ses amis ? Quiconque a osé une blague antisémite ou sexiste en sa présence en témoignera, elle peut vous clouer d’un regard d’acier. « Je revendique l’honnêteté », proteste-t-elle. Jamais tranquille, toujours sous contrôle.

Pascale Nivelle

Source lemonde