Extrême droite : l’envers de la dernière «agression antisémite» à Villeurbanne

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Le 11 avril, un homme de 26 ans a porté plainte après avoir été molesté et insulté par deux assaillants, en affirmant avoir été traité de «sale juif». «Libération» révèle que la victime est le compagnon de l’influenceuse d’extrême droite Mila Orriols et fréquente la mouvance radicale lyonnaise.

Derrière les gros titres et l’émoi légitime, l’histoire de l’«agression antisémite» survenue à Villeurbanne (Rhône) le 11 avril pourrait en raconter une toute autre. Ce jour-là, un habitant de cette commune de la métropole de Lyon a déposé plainte suite à l’attaque dont il a été victime. Celle-ci «fait l’objet de toute l’attention de la police nationale, qui a ouvert une enquête pour retrouver les auteurs de ces violences abjectes», a indiqué le 12 avril la préfecture du Rhône sur X. Le parquet de Lyon a confirmé à Libération avoir «ouvert une enquête du chef de violences aggravées par deux circonstances, en réunion et en raison de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie ou nation ou une religion déterminée». A ce jour, «les investigations confiées à la Direction interdépartementale de la police nationale se poursuivent activement pour déterminer les circonstances et les mobiles de ces faits et en identifier les auteurs».

C’est Valeurs actuelles qui a publié en premier un article sur l’agression et ses suites. Le média d’extrême droite retrace la version suivante : vendredi 11 avril, vers 13 heures, un homme de 26 ans promène sa chienne dans le quartier populaire du Tonkin à Villeurbanne. Alors qu’il se trouve au pied de son HLM, il est attaqué par une personne qui arrive dans son dos et le frappe à la tête et à l’épaule. Il ne porte pas de kippa mais une étoile de David autour du cou. Selon ses dires, deux insultes fusent, «sale faf» puis «sale juif» lorsque l’agresseur aperçoit le pendentif, tandis qu’une autre personne filme la scène. La victime tente de riposter, les assaillants masqués prennent la fuite en emportant sa casquette. C’est là qu’ils auraient revendiqué leur appartenance à la Jeune Garde antifasciste, ce groupe d’extrême gauche fondé à Lyon en 2018 et également implanté à Strasbourg, Paris, Lille et Montpellier.

«Pas particulièrement rattaché à la communauté juive»

A Villeurbanne, le voisin du jeune homme est sorti sur son balcon dès qu’il a entendu des cris et a assisté à la scène. «Il s’est fait plaquer contre une voiture et rouer de coups. Un à la mâchoire et deux au front, a-t-il décrit au micro d’Europe 1. J’ai entendu seulement «sale faf». En fait, ils m’ont remarqué quand j’étais au balcon, du coup ils sont partis en courant.»

La victime souffre de blessures légères, principalement d’ecchymoses, qui lui ont valu deux jours d’incapacité totale de travail (ITT), confirment plusieurs sources proches du dossier. Selon nos informations, elle se nomme Arthur B. et est bien impliquée dans la mouvance d’extrême droite lyonnaise. Il est en outre le compagnon de l’influenceuse d’extrême droite Mila Orriols. Celle qui s’était fait connaître en raison du cyberharcèlement suscité par ses diatribes en ligne contre les musulmans réclame de longue date la dissolution de la Jeune Garde, à l’unisson du collectif féminin identitaire Némésis, récemment adoubé par le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Contacté, Arthur B. a répondu n’avoir «aucunement envie de témoigner quoi que ce soit» à Libération.

Sur son profil X, le grand brun, pianiste amateur et adepte de musculation, affiche le slogan patriotique «Am Israël hai» («le peuple d’Israël vit»). Suite à son agression, il n’a pris contact ni avec le Conseil représentatif des institutions juives de France ni avec la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme. Il n’est «pas quelqu’un de particulièrement rattaché à la communauté juive» et il ne l’a d’ailleurs «pas alertée», que ce soit de l’attaque ou du dépôt de plainte, indique une source institutionnelle. Richard Zelmati, président du Crif d’Auvergne-Rhône-Alpes, «en appelle à la prudence» et reste «très réservé» au sujet de cette agression. Il assure toutefois que «ce n’est pas la remise en cause de ce que [la victime] a pu dire dans la plainte» et qu’«il y a toutes les raisons de permettre à l’enquête de prospérer».

Cinq agressions à caractère antisémite dans le Rhône en 2025

Richard Zelmati témoigne par ailleurs d’une «émotion bien compréhensible» et d’une «inquiétude marquée dans la communauté juive» en cette semaine de Pessah, la Pâque prescrite par la Bible hébraïque. Les écoles juives ainsi que les synagogues, dont la fréquentation est importante durant cette période de fête, bénéficient d’une protection renforcée de l’Etat. Cette crainte est alimentée par de récents faits répétés à Villeurbanne : le 8 mars, un homme a subi des insultes antisémites et des coups occasionnant une ITT de 45 jours. Cette agression a donné lieu à une interpellation et le procès du mis en cause est prévu le 12 mai. Le 17 mars, une femme juive a déposé plainte en affirmant avoir été menacée par une autre personne en raison de son appartenance religieuse. Depuis le début de l’année, cinq agressions à caractère antisémite ont été recensées dans le Rhône, tandis qu’elles ont explosé en France depuis deux ans.

A notre connaissance, aucune vidéo ne circule sur les réseaux sociaux en lien avec l’agression d’Arthur B. Yann Crombecque, adjoint à la sécurité du maire socialiste de Villeurbanne, a indiqué à Libération que la ville n’a pas installé de caméras de vidéosurveillance à l’endroit précis des faits, et n’a donc pas reçu de réquisition judiciaire pour fournir aux enquêteurs des images de la scène. Contactée, la Jeune Garde nous a fait parvenir un long communiqué qui dénonce «une nouvelle fake news de l’extrême droite» à son encontre. Le groupe antifasciste dénonce des «accusations calomnieuses […] qui se multiplient depuis que Bruno Retailleau a annoncé «envisager une dissolution de la Jeune Garde»», une «manipulation grossière» qui «rappelle que l’extrême droite ne recule devant aucun mensonge quand il s’agit de s’attaquer à l’antifascisme».

Enfin, le communiqué réaffirme la détermination de la Jeune Garde «à lutter contre l’antisémitisme et toutes les formes de racisme» : «L’extrême droite, par essence antisémite, n’hésite plus à instrumentaliser cette question pour s’attaquer systématiquement à la gauche. Elle contribue de ce fait à la diffusion de ce cliché antisémite selon lequel ces agressions antisémites ne sont pas réelles, et met en danger nos compatriotes juives et juifs. Elle cherche à fracturer la cohésion sociale et les liens entre communautés, activant sa volonté de guerre civile.» La préfecture précise quant à elle qu’à ce stade, rien ne permet de relier cette affaire ni à l’extrême gauche ni à l’extrême droite.

Référence à Le Pen, groupe néofasciste et signe néonazi

Arthur B. est pourtant bien un habitué de la mouvance radicale lyonnaise. En février, Mila Orriols a posté sur X une vidéo du couple qui interpelle dans la rue, de nuit, plusieurs personnes semblant s’éloigner en les provoquant. Après les avoir traités d’«antifas», Arthur B. filme son visage et lâche : «Je vais te faire courir, moi, rouquin», référence transparente aux propos de Jean-Marie Le Pen lorsqu’il a agressé la maire socialiste Annette Peulvast-Bergeal en 1997 à Mantes-la-Jolie – le même Jean-Marie Le Pen condamné à plusieurs reprises pour antisémitisme. On retrouve Arthur B. dans une autre séquence le 22 mars, à Lyon. Environ 6 000 personnes ont manifesté contre l’extrême droite et tous les racismes dans une ambiance globalement bon enfant. Un petit nombre de militants de Lyon populaire, un groupuscule néofasciste, s’est tout de même invité à la fête. A la dispersion du cortège, ils décident d’attaquer des militants de la Jeune Garde.

Parmi les assaillants, Arthur B., que Libération a pu identifier sur des images tournées par un riverain et diffusées sur les réseaux sociaux. Vêtu de noir et accompagné de sa chienne, un berger malinois, il tente de porter plusieurs coups avant de prendre la fuite. Un peu plus tard, il pose avec d’autres militants néofascistes devant des bandanas siglés des trois flèches de la Jeune Garde, qui ont été dérobés pendant l’attaque. Un cliché est diffusé sur Instagram par un membre de Lyon populaire, Calixte Guy. Cette photo a été partagée sur le canal Telegram nazifiant Ouest Casual, où sont régulièrement revendiquées les attaques de la mouvance.

Ce n’est pas tout : suite à l’esclandre qui a clos la manifestation, Mila Orriols diffuse une photo sur Instagram où elle pose avec un foulard similaire, aux côtés d’un jeune homme impliqué dans l’attaque, en train de faire un signe de reconnaissance néonazi. Entre eux se trouve une troisième personne au visage flouté. Il s’agit bien d’Arthur B., reconnaissable à ses vêtements. «Merci pour le matos, on leur souhaite de se remettre de cette humiliation», écrit l’égérie identitaire en légende, en s’adressant notamment au député La France insoumise du Vaucluse Raphaël Arnault, figure de la Jeune Garde. Le tout accompagné d’un émoji symbolisant une goutte de sang.

par Maïté Darnault