L’odyssée drôle et bouleversante de deux cousins en voyage organisé en Pologne

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Avec cette tragi-comédie, Jesse Eisenberg aborde cette question de la mémoire avec une grande intelligence sur un ton inédit.

Le second long-métrage du comédien et réalisateur américain Jesse Eisenberg est porté par la performance de Kieran Culkin, en lice pour l’Oscar du meilleur second rôle, déjà lauréat aux Bafta et aux Golden Globes dans cette catégorie. Le film est également en compétition aux Oscars pour le meilleur scénario original. A Real Pain sort dans les salles le mercredi 26 février.

David (Jesse Eisenberg) et Benji (Kieran Culkin), deux cousins américains, se retrouvent pour un voyage en Pologne, terre d’origine de leur famille juive. Ils viennent de perdre leur grand-mère, rescapée du camp de Majdanek, près de Lublin. Benji, qui était très proche de sa grand-mère, a traversé à la suite de sa disparition une grave dépression.

Pour faire ce pèlerinage, le duo a fait appel à une entreprise qui propose des circuits dans les différents lieux de mémoire de l’Holocauste en Pologne. Avec un petit groupe hétéroclite, un couple de retraités américains, une femme fraîchement divorcée et un Rwandais converti au judaïsme, David et Benji entament ce voyage sous la houlette de James (Will Sharpe), un universitaire spécialiste de la Shoah, guide plein de bonne volonté qui abreuve son auditoire de sa science.

Personnages antagonistes

Avec ce film de forme hybride, Jesse Eisenberg s’intéresse à la Shoah du point de vue des descendants. Comment cette histoire leur a-t-elle été transmise, comment traverse-t-elle les nouvelles générations, enfants, petits-enfants des victimes et des rescapés, quels stigmates en gardent-ils, quelle place cette tragédie vécue par leurs aînés occupe-t-elle dans leurs vies aujourd’hui ?

Le film est principalement construit sur la base de l’antagonisme entre les deux personnages principaux (même si la galerie de personnages qui les entourent nourrit le propos). D’un côté, David, bien élevé, sur la réserve, névrosé, mais en apparence solidement installé dans la vie, avec un travail, une femme et un enfant. De l’autre, Benji, un personnage plein de contradictions, dépressif, manifestement oisif, extraverti, plein de charme, d’une sincérité dérangeante et totalement incontrôlable dans certaines situations.

Les deux cousins ont été très proches dans l’enfance, puis la vie les a éloignés. Leurs retrouvailles dans de telles circonstances font remonter les vieilles querelles, les malentendus, les non-dits de l’histoire familiale, et ce voyage sert aussi de catharsis, permettant de redistribuer les cartes et les rôles de chacun.

Un « Buddy Movie » sur les terres de l’Holocauste

En choisissant la forme du « Buddy Movie », genre cinématographique mettant en scène deux protagonistes aux antipodes et se déployant dans un registre plutôt comique, le réalisateur propose une approche inédite de ce chapitre sombre de l’histoire.

Derrière les apparences de légèreté, le film interroge toutes les questions liées à la mémoire de la Shoah et les conséquences sur les générations d’après, dans un contexte où presque tous les témoins directs ont aujourd’hui disparu. Le film s’intéresse aussi à la manière dont sont exploités les lieux de mémoire, notamment en Pologne.

« Légitime souffrance »

Comme l’indique le titre, c’est aussi la souffrance, héritée du passé, qui est interrogée à travers ce road-movie. Qu’elle s’exprime de manière exubérante du côté de Benji ou plus masquée chez David, la douleur est bien là, ravivée par ce voyage retour dans le pays des origines, devenu celui du martyre pour des millions de familles juives polonaises.

« David s’interroge sur la nature d’une véritable et légitime souffrance. David peut-il se permettre de ressentir la moindre peine liée à ses troubles obsessionnels compulsifs alors qu’il visite des sites où des actes de génocide ont été commis ? Son anxiété est-elle légitime face à la souffrance bien plus profonde de celle de son cousin ? Voilà les questions que soulève le film », explique le réalisateur.

Sans poser de jugement, le film indique néanmoins une piste de réflexion autour de la singularité dans sa façon d’appréhender le passé. Il n’y a pas de méthode, pas de recette pour honorer la mémoire des disparus ou pour apprendre à vivre avec cette « vraie douleur », suggère cette histoire.

Le film a été tourné en Pologne, dans les décors réels. Le réalisateur a même décroché l’autorisation de filmer une séquence dans le site de l’ancien camp de Majdanek, proche de Lublin. « Ils m’ont dit n’avoir jamais lu pareil projet. Il se déroule à Majdanek et aucun film sur l’Holocauste n’y avait été tourné jusque-là, car personne ne connaît l’existence de ce camp. Mais le mien s’y déroule parce que ma famille est originaire de cette région. Le film se déroulant à l’époque actuelle, il montre les lieux tels qu’ils sont de nos jours », précise Jesse Eisenberg.

D’une grande fluidité, avec de beaux mouvements de caméra et des plans fixes comme des tableaux parfaitement composés, la réalisation est rythmée par le répertoire quasi complet des compositions de Chopin pour le piano. Jesse Eisenberg signe un second film à la fois drôle, émouvant et profond, offrant un regard décalé sur une question désormais entre les mains des générations qui n’ont pas traversé directement la Shoah, mais pour qui pèse le poids d’une histoire impossible à digérer.

Laurence Houot

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