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Ils ont annoncé que vous n’alliez pas revenir vivants. “Ils”, ce sont les kidnappeurs de bébés, les ravisseurs de mamans, les voleurs de vies innocentes…
Et même si j’ai sans doute tort, je ne veux pas les croire. Pas encore. Je refuse d’écouter la voix de ces criminels, l’ignoble porte-parolat de preneurs d’otages.
Je veux, pour quelques heures encore, vous croire en vie. Croire encore un peu que vous allez revenir à la maison, quitte à imaginer cette mise en scène grotesque et morbide dont nous abreuvent vos kidnappeurs semaine après semaine: leur distribution de certificats débiles et, pourquoi pas, un beau doudou et un diplôme d’otage bien sage…
Je veux vous imaginer éclairer encore le monde des feux de vos cheveux roux, vous imaginer en vie…
Je sais: c’est sans doute bien naïf et absurde de ma part. Dans ce probable déni, je veux, durant quelques heures encore, continuer à vous parler; parce que je le sais, votre mort pourrait bien me laisser sans voix, sans mot et sans espoir.
Bientôt je pourrais bien ne plus trouver aucune parole pertinente, ni pour expliquer ni pour consoler. Alors pour l’heure, je chéris les mots comme des trésors. Je fais comme si notre conversation pouvait se poursuivre.
Bientôt je sais que certains hurleront, et je les comprends… mais je ne joindrai pas ma voix aux cris de “vengeance”, ou aux hurlements de rage. Seul le silence pourra dire l’étendue du désastre, s’il venait.
Et comme je me tairai, je refuserai d’entendre la voix ignoble de ceux qui trouveront des excuses à vos kidnappeurs, qui renverseront les chaînes de responsabilité, chercheront à établir de statistiques de morts d’enfants, voudront relativiser l’horreur d’un kidnapping meurtrier de bébés.
Et comme je me tairai, je refuserai d’entendre les ignobles condoléances de ceux qui ont osé arraché vos visages des murs de nos villes, ceux qui ont jugé que vos bouilles d’enfant les harcelaient ou constituaient une “propagande” ou un mensonge, ceux qui soudain vous souhaiteront de “reposer en paix”, de trouver le repos, et vous “pardonneront” votre crime d’être nés, ceux qui salueront votre innocence d’enfants-morts, celle-là même qu’ils vous ont nié de votre vivant.
Que la honte étouffe leur voix et que leur conscience ne connaisse aucun repos.
Pour quelques heures encore,
je veux continuer à vous parler, à vous bercer, à vous promettre…
Pour quelques heures encore,
je veux rêver que le monde ne s’est pas effondré et qu’il existe encore un espoir.
Une voix, une voie de paix qui, dans ce monde, promet de protéger tous les enfants.
Par Delphine Horvilleur
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