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Sur les pas d’un Français, juif séfarade, Pierre Assouline, qui, en 1973 et 2023, connaît la guerre et l’amour en Israël.
«Tu as écouté la radio?» C’est la question que pose à Raphaël l’un de ses amis lors des célébrations de Yom Kippour à Paris le 6 octobre 1973. Le jeune homme, étudiant en histoire et en Langues O’, issu d’une famille juive séfarade venue d’Algérie et du Maroc, apprend vite de quoi il s’agit. Une coalition militaire menée par l’Égypte et la Syrie vient d’attaquer Israël. Avec quelques-uns de ses copains appartenant au Comité de liaison des étudiants sionistes socialistes, il décide de s’envoler pour Tel-Aviv afin de se porter «volontaire civil». À défaut donc de prendre les armes, Raphaël va faire preuve de sa solidarité en travaillant dans un village coopératif où il a la responsabilité d’un élevage de milliers de dindons.
L’État hébreu n’a alors que vingt-cinq ans d’existence, les bras tatoués de numéros ne sont pas rares sur les plages. Après la guerre des Six-Jours, en 1967, un nouveau défi existentiel se pose au petit pays. À Jérusalem, un jour de relâche, le Français rencontre Esther, âgée de 20 ans elle aussi, qui sert dans l’armée en étant chargée d’annoncer aux familles la mort de l’un des leurs sous l’uniforme. Une brève mais inoubliable idylle naît entre eux jusqu’à ce que la paix ne ramène Raphaël dans l’Hexagone.
Répétitions et secousses inédites
«Tu as écouté la radio?» Cinquante ans plus tard, le 7 octobre 2023, les mêmes mots résonnent dans le téléphone de Raphaël, arrivé en Israël depuis quelques jours. Une autre attaque, le premier pogrom depuis 1945, est à l’œuvre. Les circonstances semblent se reproduire, à la façon d’un rêve ou d’un cauchemar. Dans l’avant-propos de L’Annonce, Pierre Assouline confesse avoir passé un demi-siècle à ne pas écrire ce roman dont il posa les premières notes juste avant la tragédie du 7 Octobre. L’auteur de Double vie et de Retour à Séfarad signe ici une œuvre à tiroirs, pleine d’échos et de réminiscences, peuplée d’ombres et de lumières, de liens secrets, de vivants et de morts.
De 1973 à nos jours, l’Histoire est évidemment présente, avec ses répétitions et ses secousses inédites. Hier comme aujourd’hui, Israël n’a-t-il pas été victime d’une «surestimation de soi» et d’un «excès de confiance» le détournant du véritable danger? En France, pouvait-on imaginer cet «antisémitisme vertueux» de la gauche radicale, cette haine fière d’elle-même submergeant les digues morales de la vérité historique et de la décence ordinaire? D’autres images, d’autres scènes (l’annonce de la mort d’un frère, la quête d’un insaisissable Leonard Cohen, des retrouvailles tenant du miracle…) vont droit au cœur. «Ma mémoire est comme un cimetière, pleine de gens et de livres. À ceci près qu’ils ne meurent jamais tout à fait, les uns tant qu’on parle d’eux, les autres tant qu’on les lit.», confie Raphaël. «On n’écrit pas pour évacuer mais pour rendre commun ce qui nous étreint», lit-on encore dans L’Annonce, beau roman qui réalise cette prouesse avec éclat.
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