Marc Levy : «Je ne crois pas au Dieu que les hommes nous racontent»

Abonnez-vous à la newsletter

Pudique, le romancier à succès se confie sur son rapport au spirituel forgé par l’humanisme et sur la foi de sa mère, convertie au catholicisme.

Les romans de Marc Levy sont des best-sellers, traduits en plusieurs langues (en français, chez Robert Laffont) et vendus dans de nombreux pays. Mais on sait assez peu de choses sur l’homme qui se cache souvent derrière ses personnages. De passage à Paris, Marc Levy, qui vit à New York, a accepté de répondre à nos questions spirituelles, de manière directe.

Le Point : Vous êtes assez exposé médiatiquement, et pourtant, vous parlez peu de vous. Pourquoi ?

Marc Levy : Je suis de nature pudique, c’est un choix. L’époque est très nombriliste, mais mon nombril ne m’intéresse pas. J’ai eu la chance d’avoir une éducation et une vie qui m’ont amené à penser que le bonheur, c’est les autres. J’aime observer, regarder, écouter les autres. La vie est bien plus riche, bien plus nourrie quand on se met dans ces dispositions. Faire état de soi-même est assez ennuyeux pour ceux qui vous entourent. Et d’ailleurs, à la fin, pour soi-même.

Vous êtes contemplatif ?

Non, parce que dans la détermination contemplative, il y a un côté assez passif. Alors que l’observateur, lui, est aux aguets en permanence. Il est à l’affût d’une idée, d’une opinion, de quelque chose qui le fera évoluer. On peut nourrir ses émotions de ses propres émois, de sa propre condition, même si la vie vous impose des réalités : la maladie, le vieillissement, des événements qui vous attirent et vous touchent. Mais il y a une nourriture terrestre – et non céleste – extraordinaire dans l’attention que l’on porte aux autres.

C’est mieux que le narcissisme exacerbé par les réseaux sociaux ?

Et comment ! Combien de fois ai-je vu sur les réseaux sociaux des gens qui se prennent en photo avec leur téléphone dans un miroir… en train de se prendre en photo. On arrive presque à une parodie. Mais je ne juge pas. Je suis bien trop pudique pour m’adonner à ce genre de choses. Autant la photo de quelqu’un qui se prend devant son miroir ne m’intéresse pas, autant découvrir les talents des uns et des autres, les engagements, les réflexions, les pensées, les coups de gueule me captive.

Entretenez-vous une relation avec le spirituel ?

Vous voulez dire croire en Dieu ?

Pas forcément…

Je ne crois pas en Dieu, soyons clairs. En tout cas, je ne crois pas en Dieu tel que les hommes nous en parlent. Je crois résolument que la religion est une secte inventée par les hommes pour exercer un pouvoir sur les hommes, et qu’elle n’est absolument pas tournée vers Dieu. Je ne pense pas qu’au milieu de l’univers, il y ait un Dieu qui se soucie de savoir si vous mangez ou pas du poisson le vendredi, ou si vous avez mangé ou pas du porc. Je crois que la religion est un formidable vecteur de guerres, de conflits, et surtout qu’elle est très souvent, dans beaucoup de pays, un outil formidable pour permettre aux dictatures d’imposer leur loi.

Vous parlez là de ce que les hommes ont fait de Dieu, c’est cela ?

Oui, c’est pour cela que je vous ai dit que je ne crois pas au Dieu que les hommes nous racontent. Je ne crois pas à la religion, et je ne crois pas à la validité des écritures dites divines, qui ont été faites par des hommes, traduites par des hommes, réinterprétées par des hommes, et réinterprétées à souhait par les hommes d’aujourd’hui pour servir leurs propres intérêts.

Mais vous entretenez tout de même un rapport avec le spirituel ?

Oui, je pense que le spirituel est bien plus important que Dieu. Le grand mystère qui entoure notre condition d’être humain, l’importance que nous nous accordons alors qu’on est tout petit dans l’univers, cette perception qu’on a d’être au centre de l’univers alors que rien ne le prouve, le mystère qui entoure la création, la mort, la vie après la mort… Ce sont des questionnements magnifiques. Je crois à cela.

Vous avez été élevé dans le judaïsme ?

Pas du tout. Mon père, après s’être évadé d’un train de déportation, après avoir connu les horreurs de la Seconde Guerre mondiale et participé à la Résistance, était résolument athée. Il ne voyait aucune possibilité à l’existence d’un Dieu bon et miséricordieux qui aurait trouvé une raison à la folie des hommes.

Et votre mère ?

Ma mère, à la disparition de sa sœur, qui est morte à 17 ans de la polio, s’est convertie au catholicisme. Sa sœur, Monique, sur son lit de mort, lui avait dit : « Écoute, tu sais, je vais mourir. Les bonnes sœurs qui m’ont soignée ont été formidables avec moi et je ne sais pas comment leur rendre tout l’amour qu’elles m’ont donné, vu que je ne serai plus là. Peut-être toi, trouveras-tu un moyen… » Je pense que dans sa solitude et son désespoir, ma mère s’est convertie au catholicisme pour ainsi remercier ces religieuses qui avaient pris soin de sa sœur.

Elle était pratiquante ?

Pas de manière rigide. Elle faisait des neuvaines, par exemple, quand l’un de nous était malade. Mais après la mort de mon père, elle a arrêté de croire en Dieu. Elle était en colère contre lui, comme une petite fille qui dit : « Je n’aime plus mes parents. ».

Son parcours vous a-t-il inspiré ?

Non, je suis très réfractaire. Je suis en colère quand je vois le retour de la dictature poussée par les fondamentalistes chrétiens aux États-Unis ou ce que les talibans font aux femmes. Mais j’ai beaucoup d’admiration pour les gens d’Église dont la foi est portée par l’amour, la miséricorde et l’envie d’aider.

Pourquoi alors mettez-vous d’abord en avant le mal produit par les religions, avant le bien ?

Parce que le bien est fait par des gens. Les gens qui font le mal se servent de l’interprétation des textes. Ceux qui pratiquent le bien n’ont pas besoin de textes. Je crois que la foi peut conduire quelqu’un à faire le bien, mais pas l’interprétation d’un texte.

En tant qu’écrivain, n’êtes-vous pas fasciné par la longévité des textes religieux ?

Il est fascinant de voir à quel point l’intelligence de l’homme nous précède. Mais ce qui me fascine aussi, c’est la bêtise des hommes, leur entêtement à ne pas adapter ces textes à la réalité de l’époque dans laquelle ils vivent.

Y a-t-il une figure spirituelle, même anonyme, pour laquelle vous avez de l’admiration ?

Je pense à des gens comme Nelson Mandela, Martin Luther King, ou encore la militante pakistanaise Malala Yousafzai. Ce sont des personnes qui ont eu le courage de se lever contre l’injustice, souvent au péril de leur vie. Et il y a aussi des anonymes, des gens du quotidien, qui font preuve d’un courage extraordinaire sans chercher la reconnaissance. Le courage, c’est ce qui permet de faire face à l’adversité, de défendre ses convictions, de protéger les autres. Mais le courage, ce n’est pas forcément spectaculaire. Parfois, c’est juste le fait de rester debout, de continuer à avancer malgré les obstacles. Dans un monde où la peur est souvent utilisée comme un outil de contrôle, le courage est une forme de résistance.

Comme l’a montré récemment cette évêque américaine (Mariann Budde, l’évêque épiscopalienne de Washington, NDLR) qui a remis Trump à sa place, lors de la cérémonie d’investiture. Elle a puisé son courage dans sa foi, c’est admirable. Elle a pris un risque énorme en s’opposant à Trump et à tout ce qu’il représente. Et elle l’a fait avec une humilité incroyable. Elle a utilisé sa foi comme un levier pour défendre des valeurs humaines, et c’est là que la religion peut être belle. Mais ce qui me dégoûte, c’est de voir que dans ces mêmes pays, des responsables religieux qui vont dans le sens des dictateurs.

Vous pensez que c’est une question de politique ou de foi dévoyée ?

C’est de la politique, bien sûr. Mais ce qui est terrible, c’est que ces responsables religieux utilisent leur foi pour justifier des choix politiques qui vont à la rencontre des valeurs qu’ils prétendent défendre. Ainsi, les responsables chrétiens qui soutiennent Trump le font parce qu’ils espèrent qu’il interdira l’avortement ou le mariage pour tous. Mais à quel prix ? Ils ferment les yeux sur tout le reste : l’installation d’une oligarchie, la persécution des plus pauvres, la haine, le racisme. Et Trump, lui, est à rebours de tous les canons chrétiens. On est face à un mensonge énorme, et c’est ce mensonge qui me fait perdre confiance en la religion.

Vous avez eu cette confiance à un moment donné ?

Bien sûr. Enfant, ma mère était croyante, et j’avais une confiance naturelle dans ce qu’elle croyait. Mais en grandissant, en observant le monde, j’ai perdu cette confiance. Je ne crois pas en Dieu, et je ne crois pas dans la parole des hommes de Dieu. Je respecte profondément ceux qui croient, mais moi, je n’y arrive pas.

Vous vous sentez un peu jaloux de ceux qui croient ?

Oui, parce que je pense que la foi peut apaiser des peurs. Aller vers la mort en croyant qu’il y a quelque chose après, qu’on vous attend quelque part, c’est sûrement plus facile. Moi, je vais vers la mort en pensant qu’il n’y a rien après. Et c’est une pensée difficile à porter. Peut-être que si je croyais, la vie serait plus simple.

La mort est-elle un sujet qui inspire votre écriture ?

La mort, la vie après la mort, ce sont des thèmes qui reviennent souvent dans mes romans. Ce sont des questionnements universels, qui touchent tout le monde. Mais je les aborde toujours avec une certaine distance, parce que je ne veux pas imposer ma vision des choses. Je préfère poser des questions, laisser le lecteur réfléchir.

Vous cultivez une vision humaniste ?

Oui, je crois profondément en l’humanité. Je crois en la capacité des hommes à faire le bien, à s’entraider, à se dépasser. Mais je crois aussi qu’il faut être vigilant, parce que l’histoire nous montre que les hommes ont une tendance à se laisser séduire par le pouvoir, par l’obscurantisme, par la peur. La peur est une arme redoutable. Elle pousse les gens à chercher des réponses simples à des problèmes complexes. Les extrémismes, qu’ils soient religieux ou politiques, exploitent cette peur pour diviser, pour manipuler. C’est pour ça que je crois tellement en l’éducation, en la culture. Ce sont les meilleurs antidotes contre la peur et l’obscurantisme.

Et c’est pour cela aussi que je défends la laïcité. Parce que la laïcité, c’est la liberté, la possibilité pour chacun de croire ou de ne pas croire, sans que cela ne soit imposé à la société civile. Un laïque ne vous obligera jamais à avorter ou à prendre une pilule contraceptive, un laïque ne vous obligera jamais à décider de mourir dans la dignité et pas dans la souffrance, un laïque ne vous dira jamais que c’est bien ou mal d’être hétérosexuel ou homosexuel. Une société laïque protège tout le monde, parce qu’elle empêche une religion de s’imposer comme la norme. Regardez ce qui se passe dans les pays où la religion dicte les lois : ce sont des dictatures, des régimes oppressifs. La laïcité, c’est un garde-fou.

Mais certains disent que la laïcité peut aussi devenir une forme de religion, avec ses propres dogmes…

C’est vrai. Mais dans ma vision de la laïcité, il ne s’agit pas d’interdire les religions. Il s’agit simplement de dire : « Vous êtes libres de pratiquer votre religion, mais vous ne vous approchez pas du pouvoir. » La laïcité, c’est le respect de toutes les croyances, mais aussi la séparation stricte entre la religion et l’État. Mes romans parlent souvent de ces thèmes : la liberté, l’humanité, la tolérance. Mais je ne veux pas être moralisateur. Je veux raconter des histoires, toucher les gens, les faire réfléchir. Si mes livres peuvent ouvrir des discussions, alors j’ai réussi mon travail d’écrivain. La littérature, c’est un espace de liberté, un endroit où l’on peut poser des questions, explorer des idées, sans être limité par les contraintes du réel. Un roman est une conversation entre l’auteur et le lecteur.

Et dans cette conversation, on peut aborder des sujets complexes, sensibles, qui touchent à l’intime ou au collectif. Je ne dis pas que la littérature doit être militante, mais elle peut être un miroir, un révélateur. Il ne faut jamais sous-estimer la force des petits gestes, des petites actions. Chaque livre, chaque conversation, chaque acte de solidarité compte. Et puis, il y a toujours des raisons d’espérer. Il suffit de regarder autour de soi pour voir des gens qui se battent, qui créent, qui construisent. Je crois que, malgré toutes ses contradictions, l’être humain est capable du meilleur. Et c’est ce que j’essaie de montrer dans mes romans : cette capacité à aimer, à pardonner, à se réinventer.

Par Jérôme Cordelier

Source lepoint

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*