
A quasiment 500 jours de guerre depuis l’attaque du 7 octobre 2023, le comité des familles des otages israéliens a appelé la population à respecter 500 minutes de jeûne.
Dans un entrepôt d’artistes du port de Jaffa, une salle à l’ambiance feutrée accueille un auditoire majoritairement féminin, venu écouter l’une des mères courage les plus connues du 7 octobre 2023. Membre du kibboutz de Nir Oz, frontalier de la bande de Gaza, Hadas Jaoui-Kalderon, une Franco-Israélienne qui a survécu au massacre, tandis que ses enfants Sahar et Erez, ont passé 52 jours en captivité à Gaza, aurait très bien pu annuler cette rencontre, ce mardi 4 février.
Trois jours plus tôt, tout un pays assistait en direct à la libération de son ex-mari et père de ses enfants, Ofer Kalderon, otage pendant 484 jours, dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu entre l’État hébreu et le Hamas. Mais dans la foulée de ces retrouvailles, cette quinquagénaire à la crinière auburn, qui était en charge des personnes âgées de son kibboutz, a préféré maintenir la conférence-signature autour de son ouvrage « Regarder le ciel bleu », l’édition hébraïque de « 52 jours sans eux ». Le récit du calvaire enduré par sa famille, sorti en France en avril, vient d’être publié en Israël.
Assise entre une ancienne députée et une artiste, sur l’un des canapés disposés autour d’un grand tapis persan, Hadas Jaoui-Kalderon, qui a perdu dans le massacre sa mère et sa nièce, une adolescente autiste, rembobine les pires moments. Dans l’assistance, une voix s’élève : « Je me souviens surtout de toi, juste après l’enlèvement de tes enfants, en train de crier de toutes tes forces : Je ne veux pas de valium, pourquoi voulez-vous m’anesthésier, cela n’aidera pas ! Tu as hurlé le côté insensé de cet événement ! » « Oui je voulais ressentir la douleur jusqu’au bout, pour être capable de la mettre à distance », répond Hadas.
« Je ne suis pas prête à ce que monde oublie »
La réunion, empreinte de larmes et de regards admiratifs, s’achève deux heures et demie plus tard par une chanson collective, en guise de prière pour le retour de tous les kidnappés, suivie d’une séance de dédicaces. Originaire du kibboutz Reïm, une autre localité meurtrie par les attaques, Zilpa Yoos a fait le déplacement, mais ce soir-là, juste pour écouter. Cette grand-mère, militante au sein du mouvement les Femmes font la paix, a perdu plusieurs amies proches dans la catastrophe. Elle s’attache, comme tant d’autres, à raconter régulièrement cette histoire à des étudiants, des travailleurs sociaux et même des gardiens de prison.
« Je ne suis pas prête à ce que monde oublie. Et il n’y a pas mieux que les témoignages. Mon récit parle à tous, et comme je ne suis pas une victime directe du massacre, c’est plus audible pour les personnes sensibles », confie-t-elle, avant de rentrer chez elle, dans le quartier de Florentine, au sud de Tel-Aviv, où les membres de son kibboutz sont relogés depuis seize mois. Ils se retrouvent tout naturellement au Café Otef (en hébreu : l’« enveloppe » qui désigne la zone frontalière de Gaza, la plus touchée par les attaques du 7 Octobre).
L’établissement inauguré en juin, et dont les salariés sont originaires de localités touchées par les attaques, appartient à Reut Karp. Son ex-mari, Dvir, un chocolatier de Reïm, a été assassiné le 7 Octobre. Au sous-sol, une vaste salle sert à stocker les confiseries et à organiser des conférences, notamment pour les salariés de grandes entreprises. « Ma présentation retrace la vie d’avant le 7 Octobre, le détail de cette funeste journée et ma renaissance avec ce café. Je ne le fais pas dans une position de victime, glisse Reut. C’est important, car j’ai moi-même du mal à réaliser ce qui est arrivé. Je le fais pour la mémoire, et pour le présent : tous nos amis, otages à Gaza, ne sont pas revenus… »
Des dizaines d’ouvrages consacrés au 7 Octobre
Coauteur de « Au cœur du 7 octobre » (paru chez Delcourt), avec onze autres dessinateurs israéliens, Michel Kichka, d’origine belge et fils d’un survivant de la Shoah, participe à cette thérapie collective par les récits de témoins. Cet album retrace en bandes dessinées douze récits de civils israéliens ayant sauvé des vies lors du 7 Octobre. « On a assisté dès le début à une explosion de storytelling, dans l’urgence et dans un réflexe de survie. Des histoires de victimes comme des récits de bravoure, illustrant la mobilisation exceptionnelle de la société civile israélienne, lors des attaques terroristes et du fait la défaillance de notre État », nous confie le célèbre dessinateur de presse.
« La parole a un effet thérapeutique, même si c’est douloureux et que cela déclenche des larmes, c’est préférable au silence et surtout, cela se passe dans des circuits non officiels, poursuit Michel Kichka. Pour perpétuer le souvenir de la Shoah, les Israéliens ont inventé depuis une dizaine d’années des rencontres intitulées « Zikaron ba salon » (littéralement « mémoires dans les salons » ), des causeries organisées chez les survivants. On assiste à un phénomène similaire ».
Lors du dernier salon du livre israélien organisé en juin, rappelle-t-il, plus de 80 ouvrages ont été consacrés au 7 octobre. « Je m’attends à ce que ce chiffre soit multiplié par quatre d’ici à trois ans, car on ne peut dissocier cette date de la guerre de seize mois qui a suivi. Ce récit va ressurgir, à l’instar de ce qui s’est produit après la Guerre de Kippour », conclut le dessinateur, qui relève l’émergence de personnalités civiles hors norme au cours de ces 500 jours. Elles se transforment en orateurs influents sur le plan national.
Iris Haïm, dont le fils Yotam, pris en otage au kibboutz Kfar Azza, a été tué par erreur en décembre 2023 avec deux autres captifs, par l’armée israélienne à Gaza, appartient à cette catégorie. Mardi dernier, cette infirmière spécialisée en soins palliatifs avait fait le déplacement à Paris pour assister à l’avant-première de « Looking for Yotam ». Coréalisé par Georges Benayoun et Caroline Bongrand, ce film est « dédié aux otages du 7 Octobre, à tous ceux qui ont perdu la vie pour les libérer, et aux victimes innocentes de ce conflit ».
Poster un Commentaire