Comment la tech israélienne résiste à l’épreuve de la guerre

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Cette puissante « start-up nation » est confrontée depuis fin 2023 à la frilosité des investisseurs internationaux. Des opérations majeures ont lieu, mais elles profitent avant tout aux acteurs de la défense et de la cybersécurité.

Le 8 janvier 2024, Itamar Ben Hemo, cofondateur de Rivery, une start-up éditant des logiciels, frôle la mort après avoir été blessé à Gaza, où il servait comme réserviste. Pendant ses trois mois de convalescence, la vie suit son cours dans les bureaux de sa start-up située à Tel-Aviv, Londres et New York. En décembre dernier, l’entrepreneur a revendu sa société pour 100 millions de dollars à l’américain Boomi.

L’histoire de Rivery illustre la résilience de la tech israélienne après seize mois de guerre, la plus longue de l’histoire du pays. Avec 25 % de ses salariés ayant servi comme réservistes, ce secteur a été particulièrement impacté. Or, il représente l’un des poumons de l’économie locale, générant 20 % de la richesse du pays, 53 % de ses exportations, et employant 12 % de la population active, soit 400.000 personnes. Si la croissance du secteur est loin de son record post-Covid (+ 12 % en 2021), elle a néanmoins atteint 2,2 % l’an passé, selon l’organisme Startup Nation Central. Surtout, cette industrie israélienne du numérique a continué à démontrer son attractivité. Elle a levé 12,2 milliards de dollars l’an passé (+ 31 %), dont 15 « méga-opérations » totalisant 4 milliards.

«Scale-up nation»

« La “start-up nation”  a poursuivi sa transformation en “scale-up nation”, avec des tours de table plus importants et un nombre croissant de sociétés matures. Ces nouveaux champions israéliens ne sont plus des cibles, mais des acquéreurs potentiels », constate Avi Hasson, PDG de Startup Nation Central. Dans le jeu vidéo, Playtika a ainsi déboursé en septembre dernier 700 millions de dollars pour s’offrir son compatriote SuperPlay, qui édite des jeux pour mobile. La licorne Wiz, spécialisée en cybersécurité, aurait dépensé autour de 1 milliard de dollars pour racheter trois entreprises locales en un an.

Uveye, qui a conçu un système d’inspection automatisé des voitures par IA (une « IRM des véhicules »), devrait bientôt, elle, décrocher son titre de licorne. La société vient de lever 191 millions de dollars auprès de ses investisseurs israéliens et de nouveaux investisseurs internationaux parmi lesquels Woven Capital, le fonds de Toyota. Elle avait besoin de financer le déploiement d’un partenariat récemment noué avec Amazon : elle doit installer 850 systèmes d’inspection dans les stations de livraison du géant américain en Amérique du Nord, en Allemagne et au Royaume-Uni. « De nombreux champions locaux ont émergé en appliquant des technologies de l’armée au monde civil », commente Cynthia Phitoussi, à la tête du fonds SeedIL, investisseur historique d’Uveye.

Un tiers des financements pour la cybersécurité

2024 a été une année record en « sorties » (rachat, entrée en Bourse) et en acquisitions, dopée par l’appétit des géants mondiaux de la tech. Ces derniers ont consacré 10,7 milliards à des deals en Israël (+ 67 %). Salesforce a dépensé 1,9 milliard de dollars pour mettre la main sur la start-up Own ; SAP, 1,5 milliard pour WalkMe ; tandis que Nvidia a investi 800 millions de dollars pour s’offrir Run:ai.

Ce dynamisme s’est également retrouvé dans les filiales des 450 entreprises mondiales ayant des centres de recherche et développement (R&D) ou d’innovation en Israël. L’activité de Microsoft en Israël a ainsi crû de 10 % l’an passé. Nvidia a annoncé la création dans le nord du pays d’un laboratoire de R&D dédié à l’IA doté d’un data center, un investissement de 500 millions de dollars. Cela n’a pas empêché la licorne Wiz d’éconduire l’an passé une offre à 23 milliards de dollars de Google, préférant rester indépendante avec en ligne de mire une cotation sur le Nasdaq.

Reste que ces chiffres cachent une réalité plus contrastée. Le dynamisme de la tech israélienne a surtout été porté par le secteur de la cybersécurité. Ceux de la santé ou de la foodtech, considérés comme plus risqués, ont déchanté. À lui seul, ce segment – qui représente seulement 7 % des entreprises de la tech locale – a concentré plus d’un tiers des financements. L’ensemble de l’écosystème de la défense a été tiré par l’effort de guerre : si 160 sociétés étaient recensées en avril dernier, leur nombre a quasiment doublé depuis.

Sentrycs, qui conçoit un système de détection et d’interception de drones commerciaux, a ainsi vu son activité croître de 400 % depuis le début de la guerre. Son produit équipe désormais plusieurs unités spéciales de l’armée et de la police ou encore certaines prisons. Les commandes à l’international, venant de l’Otan, des États-Unis ou encore d’Amérique latine, se sont également multipliées. « Avant la guerre, nous mettions notre technologie à jour tous les trois mois, raconte Audelia Boker, vice-présidente marketing de Sentrycs. Avec la guerre, le rythme est passé à tous les quinze jours pour répondre aux attentes sur le terrain. »

Une vie des affaires plus compliquée

Il n’empêche. Excepté pour les secteurs de la cybersécurité et de l’IA, les investisseurs étrangers se sont montrés plus frileux. « Ceux qui étaient déjà présents en Israël ont poursuivi leurs investissements », constate Cynthia Phitoussi, dont le fonds compte 35 sociétés israéliennes en portefeuille. La medtech Pi-Cardia a pu compter sur le soutien de Sofinnova, la société européenne de capital-risque, parmi ses actionnaires historiques. Le fonds américain Sequoia, l’un des plus actifs de la Silicon Valley, a investi dans dix start-up israéliennes depuis le début de la guerre. « Mais il y a eu peu de nouveaux fonds, freinés par le niveau de risque lié à la guerre ou à l’image d’Israël, qui a été ternie à l’international, poursuit-elle. L’instabilité politique liée à la réforme judiciaire avait déjà entamé l’enthousiasme de certains investisseurs. »

Les difficultés de déplacement depuis Israël, avec la fermeture de nombreuses liaisons aériennes et le renchérissement des tarifs de la compagnie nationale El Al, ont compliqué le quotidien. « C’était plus difficile pour les investisseurs de venir sur place, et pour les dirigeants de start-up de partir à l’étranger négocier des contrats ou des levées de fonds », raconte Avi Hasson. Les start-up ont été les principales victimes de cette frilosité. « Beaucoup de jeunes sociétés peinent à lever des fonds, ce qui risque de les fragiliser. Nous sommes inquiets pour l’avenir », explique Lihi Zelnik, vice-président en charge de l’innovation au Technion, l’une des principales universités du pays, où naissent une dizaine de start-up chaque année.

Maintenir le rythme

Pour pallier ces difficultés de financement, certains acteurs ont mis en place des solutions d’urgence, à l’image du fond israélien de capital-risque NFX. « Nous avons lancé deux fonds dédiés uniquement aux start-up locales qui doivent pitcher en ligne leur dossier. Nous garantissons une réponse dans les neuf jours et de l’argent sur leur compte bancaire trois semaines plus tard », témoigne son fondateur, Gigi Levy-Weiss. Ce serial entrepreneur et figure de la tech locale a investi l’an passé près de 100 millions de dollars dans des start-up israéliennes.

De son côté, l’investisseur américain Sender Cohen, qui gère notamment les portefeuilles de George Soros, envisage, lui, de lever 800 millions de dollars en vue de créer en Israël un laboratoire de recherche et d’innovation dédié à l’IA, au quantique et à la biologie de synthèse.

L’enjeu est de parvenir à maintenir le rythme d’innovation dans le pays et de retenir les talents, nombreux à quitter le pays. Car pour la première fois depuis de nombreuses années, le nombre d’employés de la tech en Israël (hors R&D) a reculé l’an passé. Et si certains observateurs prévoient un « boom des start-up » en 2025, leur nombre s’est tari depuis la guerre. Il y a eu deux fois moins de jeunes pousses créées l’an passé. « Elles ont été moins nombreuses mais sont de meilleure qualité, relativise Gigi Levy-Weiss. Beaucoup sont revenus de leur période de réserve avec une vision précise de nos besoins et de meilleures idées. » La tech israélienne veut croire à des jours meilleurs.

Source lefigaro

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