
L’animateur de France Culture, Guillaume Erner, sociologue de formation et libéral de conviction, s’interroge sur sa judaïté bousculée et meurtrie.
Chaque matin, Guillaume Erner se lève à 3h30. Peu hypocondriaque, il prétend n’avoir «aucune difficulté à tenir le rythme». Mieux, il se dit «le plus heureux des hommes» tant il a le sentiment d’exercer «le plus beau métier du monde». De 6h30 à 9 heures, il anime la matinale de France Culture. Il y met de la pédagogie et de l’humour. «Ce n’est pas la messe» se réjouit-il. Très présent à l’antenne, il ne se contente pas d’agir en majordome ou en amphitryon. Il mène les débats, assure la revue de presse, commet des billets. Il justifie cet activisme par les moyens réduits dont disposerait la petite sœur de France Inter. Depuis dix ans, il reçoit des intellos et des artistes. Il a plaidé pour faire l’impasse sur les politiques et leurs éléments de langage. Si sa matinale est passé de 450 000 à 900 000 auditeurs au long de son double quinquennat, il minimise cette embellie par le triomphe de France Inter qui générerait mécaniquement son lot de déçus et leur report sur la cadette. Un de ses copains le raconte ainsi : «Il est éclectique et curieux. Il aurait voulu être reporter mais il est plus à l’aise avec les idées qu’avec le terrain.» Une opposante ne le loupe pas : «Il est ambitieux et réseauteur. Et en plus, il se prend pour un sociologue.» Discipline qu’il a enseignée tout en gagnant sa vie dans la confection tant ses parents refusaient de lui payer des études d’une telle évanescence.
Cet admirateur de Durkheim a publié une thèse intitulée les Modèles explicatifs de l’antisémitisme. Ses travaux étaient dirigés par Raymond Boudon, moins révéré par les anticapitalistes que, disons, Pierre Bourdieu. Sans détour, Erner revendique son libéralisme politique, économique et sociétal. Il apprécie Montesquieu, Tocqueville et même Raymond Aron. Mais ce fils d’un des seuls communistes du Sentier et petit-fils d’un membre du Bund polonais précise que cela ne se traduit pas forcément dans l’isoloir. Il a beaucoup détesté Sarkozy à qui sa femme, Marie de Gandt, normalienne de gauche, servait de «plume». Et comme il adore exagérer les controverses qui n’empêchent pas la complicité, cet amateur de second degré fait valoir que son épouse universitaire se penche actuellement sur les questions de genre quand lui s’affirme «bien moins woke qu’elle». Il précise : «J’adore recevoir des gens avec qui je ne suis pas d’accord. Je ne suis pas un militant. J’aime autant accueillir Laurent Joly qui traite de la mémoire de Vichy que Geoffroy de Lagasnerie qui évoque l’inutilité des prisons».
Vers 10 heures, chaque jour, Erner abat ses 10-12 kilomètres de footing le long des quais de Seine. Il était un de ces gamins dodus qui esquivait les cours de gym. Désormais, il vaut 3h40 au marathon et grimpe le mont Ventoux à vélo même s’il possède aussi des voitures de collection, une DS Chapron et une Volkswagen Karmann Ghia. A bonnes foulées, il regagne le quartier où il a presque toujours vécu, qu’il connaît par cœur et qui le définit énormément. En lieu et place de la cuisine ouverte de son bel appartement du Marais, se tenait la table de coupe de son père qui y exerçait comme tailleur. A l’étage supérieur, loge son frère cadet. A l’étage inférieur, résident sa mère et sa tante qui ont échappé aux nazis, main dans la main, à travers bois. Depuis, Erner aime «les arbres et les forêts, les chênes et les pins, l’odeur de l’humus» comme s’il distinguait encore les silhouettes pourchassées à travers la brume qui s’effiloche dans les futaies de la Drôme où il possède une maison.
Chaque après-midi, Erner s’autorise une sieste réparatrice. Ensuite, il fait ses devoirs de matinalier. Il parcourt les livres de ses invités du lendemain et scanne l’actualité. Et cette effervescence neuronale le ravit. Jusqu’à 33 ans, il enseignait de temps à autre la socio, mais il bossait surtout dans le Sentier. Il était le directeur du développement de La City, «la marque qui habille les femmes nues». Il gagnait bien plus qu’aujourd’hui où il émarge pourtant à 6 000 euros net par mois. La faillite de son entreprise a été la chance de cet excellent vendeur, et sa connaissance du milieu de la mode sa voie d’accès vers la délivrance. Gamin, il hantait les boutiques des beaux quartiers avec sa mère, ancien mannequin. La directrice de création du magasin familial y piochait des idées. Erner a additionné ses compétences pour livrer un essai intitulé Victimes de la mode ?Celui qui porte le jour de notre rencontre un vaste pantalon ceinturé et apprécie le minimalisme des Japonais de Comme des garçons y démontrait comment le besoin de distinction mène parfois à la servitude volontaire. Cet ouvrage a procuré à l’adolescent qui avait fondé une radio libre un ticket d’entrée à France Inter. Il a commencé par traiter de consommation et de tendances. Puis il a bifurqué vers France Culture quand il a réalisé que l’envergure de Nicolas Demorand et de Patrick Cohen lui obstruaient l’horizon de la présentation du prime time de la radio publique.
Le soir, il se couche vers 22 heures, réservant le week-end à ses trois enfants (Côme, Tadzio, Alma), à ses amitiés et à ses activités annexes. Cet hyperactif qui multiplie les podcasts devrait bientôt réaliser un abécédaire à la Deleuze avec Bernard-Henri Lévy. Voici quelques temps, il s’est intéressé à Kim Kardashian et à la célébrité qui naît du seul fait d’être soi. A 57 ans, il ne stresse pas du temps qui passe ni de la faveur qui pourrait lui être retirée. Début 2015, il devait faire ses débuts de pigiste à Charlie Hebdo. Le 7 janvier, Charb a oublié de le convier à la conférence de rédaction. Depuis, Erner ne craint plus grand-chose. Le seul châtiment qu’il redoute serait de devoir retourner commercer dans le Sentier. Sinon le samedi, il se lève tard. Vers 7 heures du matin.
8 février 1968 Naissance à Paris.
2007 Premières chroniques sur France Inter.
Depuis 2015 Présentateur des Matins de France Culture.
Février 2025 Judéobsessions (Flammarion).
(courriel adressé par mes soins à ‘Libération’)
Bien que n’achetant plus votre journal je le regarde parfois en médiathèque et c’est ainsi que dans le numéro de ce 7/2 je découvre une page entière (p. 28) consacrée à l’auteur d’un livre intitulé ‘Judéobsessions’ ; tout à la joie de caresser la petite-bourgeoisie dans le sens du poil l’auteur de l’article écrit sans se démonter :
« Il y évoque ses angoisses personnelles comme les résurgences des névroses françaises sur la question, et leur émergence au sein de la gauche radicale ».
Le journaleux qui écrit ça a droit a ses opinions politiques mais pour autant que je dispose d’un avis autorisé je m’étonne d’avoir à rappeler que c’est précisément quand elle… cesse d’être radicale, que la gauche ou soi-disant telle bascule dans l’antisémitisme.
Et bastaközy avec votre journal.