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En mai 2024, le premier ministre israélien avait présenté, dans un document de neuf pages, un projet de reconstruction de la bande de Gaza, comme une zone de libre-échange qui bénéficierait à plusieurs pays de la région.
Les déclarations fracassantes de Donald Trump ont fait réagir le monde entier, pourtant, elles ont un air de déjà-vu. Le président américain a déclaré mardi 4 février vouloir que les États-Unis prennent «le contrôle de la bande de Gaza» dans le but d’en faire «la Riviera du Moyen-Orient». L’ancien promoteur new-yorkais a notamment vanté «le potentiel incroyable» de sa localisation géographique. Un tel projet avait déjà été évoqué par Benyamin Netanyahou en mai 2024. Le premier ministre israélien avait dévoilé, en ligne, des documents présentant un plan de «transformation» de la bande côtière intitulé «Gaza 2035».
Dans ce PowerPoint de neuf pages, le gouvernement israélien dévoilait des images, générées par une intelligence artificielle, censées représenter la bande de Gaza de demain. Ce territoire, aujourd’hui recouvert de décombres et de poussière, ressemblerait en 2035 à une ville telle que Dubaï, avec des gratte-ciel entourés de verdure, de champs agricoles et de panneaux solaires, traversée par des voies ferrées et dotée de zones portuaires.
Avec ce projet, Benyamin Netanyahou voulait faire de Gaza une zone de libre-échange qui revitaliserait l’économie du territoire palestinien. Mais qui bénéficierait surtout à Israël et plusieurs pays de la région comme l’Arabie saoudite, l’Égypte et la Jordanie en leur offrant un accès à la Méditerranée pour le commerce maritime. Il faut dire que la bande de Gaza possède un emplacement stratégique pour les exportations et le tourisme, positionné sur une ancienne route caravanière reliant Jérusalem au nord du Sinaï.
Quatre étapes
Pour ce faire, le gouvernement israélien avait imaginé un plan de transition en quatre étapes qui permettrait de faire passer Gaza «de la crise à la prospérité». La première étape verrait le démantèlement du Hamas. Au cours de l’étape 2, appelée «Aide humanitaire», Israël aurait 12 mois pour créer «des zones de sécurité exemptes du Hamas», en commençant par le nord du territoire et en s’étendant progressivement vers le Sud. L’État hébreu serait accompagné par une coalition de pays arabes tels que l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte, le Bahreïn, la Jordanie ou le Maroc, afin de «superviser l’aide humanitaire dans les zones sûres». Ces zones seraient ensuite gérées par les Palestiniens.
Entre cinq à dix ans après le lancement du projet «Gaza 2035», débuterait la 3e phase intitulée «Organisme multilatéral». La coalition des pays arabes constituerait cet organisme et sa fonction première serait de superviser, guider et financer «l’Autorité de réhabilitation de Gaza». Cette dernière serait dirigée par des Palestiniens et chargée de gérer la reconstruction de la bande de Gaza, rendue possible grâce à un Plan Marshall et une «déradicalisation» de la zone.
Sur le long terme, Gaza passerait dans la phase d’«auto-gouvernance». La coalition des pays arabes devrait transférer le pouvoir à un gouvernement «gazaoui ou palestinien unifié», «à condition qu’il prouve sa capacité à procéder à la déradicalisation et démilitarisation» des individus sur son territoire. Israël conserverait malgré tout le droit d’agir contre toute «menace à la sécurité».
«Gagnant-gagnant»
Netanyahou présente ce plan comme un projet «gagnant-gagnant» pour tous les acteurs concernés. Il estime d’une part que ce projet permettrait de libérer les Palestiniens du «régime oppressif du Hamas», leur offrirait l’occasion de vivre dans un territoire plus développé grâce à «des opportunités d’emploi massives» et ouvrirait une «voie vers la réunification de Gaza et la Cisjordanie».
Le premier ministre israélien ne cache pas les avantages que son pays aurait à gagner, comme la «sécurité à long terme dans le Sud», une meilleure «intégration d’Israël dans la région», des «opportunités économiques dans le Sud» et une «normalisation» de ses relations avec l’Arabie saoudite.
Car les pays arabes auraient, selon lui, ont tout à gagner en prenant part au projet. L’Arabie saoudite, les Émirats et le Bahreïn auraient un accès à la Méditerranée avec des «chemins de fer» ou des «pipelines».
Un «os à ronger pour Tsahal»
Bien que ce plan soit présenté par le gouvernement de Netanyahou comme une solution pour rétablir la paix dans la région, il n’a jamais eu vocation à voir le jour, tempère Frédérique Schillo, historienne spécialiste d’Israël, co-auteur du livre Sous tes pierres, Jerusalem (Plon), qui sera publié le 20 février. «Gaza 2035 n’a jamais été un plan réaliste. Il n’était qu’une distraction et un os à ronger pour Tsahal qui réclamait, et réclame toujours, une vision de sortie de la guerre. Il ne répond pas aux attentes des Israéliens», explique l’experte.
D’autant que cette volonté de reconstruire Gaza pour en faire un Singapour du Moyen-Orient n’est pas nouvelle. «C’est une vieille lubie des hommes politiques israéliens», rappelle Frédérique Schillo. Vers la fin des années 1990, le premier ministre Shimon Pérès se disait convaincu que cette enclave pauvre et surpeuplée avait tous les atouts pour devenir un jour «le Singapour du Moyen-Orient». Avec l’aide internationale, Gaza aurait pu s’épanouir grâce au commerce, au tourisme, à la technologie et à une amélioration des conditions de vie des Palestiniens. Car ce projet, Shimon Pérès l’avait imaginé comme étant une pierre angulaire de ses efforts de paix avec les Palestiniens, qu’il ne voulait pas chasser de la bande de Gaza.
Or, le projet de Netanyahou visait d’abord à servir les intérêts des Israéliens. Cependant, Donald Trump, lors de son discours, a «refusé que les juifs israéliens s’implantent dans Gaza», souligne Frédérique Schillo. Le président américain est resté toutefois «assez confus sur les destinataires» de cette proposition, note l’experte. En attendant une éventuelle concrétisation du projet de Donald Trump, le gouvernement israélien a déjà annoncé jeudi préparer un plan pour le départ volontaire de Palestiniens de Gaza.
Par Clara Hidalgo