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Gérard Araud analyse la proposition choc de Donald Trump concernant Gaza et revient sur les questions essentielles qu’elle soulève pour l’avenir de la région.
À la sortie d’un entretien avec le Premier ministre israélien, Donald Trump a créé la stupéfaction en proposant que les États-Unis prennent en charge la bande de Gaza pour la reconstruire et en faire une zone de paix et de prospérité. Ce n’est pas la première fois qu’il décrit le territoire comme une potentielle Floride en bon promoteur immobilier. Benyamin Netanyahou semblait le premier surpris. Aussitôt, cette déclaration a suscité une vague de critiques et de sarcasmes.
Il est, en effet, aisé de souligner les multiples obstacles qui s’opposent à une telle entreprise, la principale étant le sort des Palestiniens qui ne pourraient rester sur place pendant la reconstruction. Où iraient-ils alors que ni les Égyptiens ni les Jordaniens ne veulent les accueillir autant par crainte du Hamas parmi eux que par certitude que les Israéliens n’accepteraient pas leur retour ?
Chacun sait qu’à Jérusalem la droite qui est au pouvoir ne cesse depuis le 7 Octobre de se faire l’avocate d’un nettoyage ethnique de grande ampleur dans le territoire et du retour des colonies qu’avait évacuées Ariel Sharon en 2005. Ce serait un aller simple pour les Palestiniens qui quitteraient Gaza. Par ailleurs, il n’est pas besoin de faire preuve d’un grand sens de l’humour que de sourire au parallèle implicite entre Gaza et Miami. Qu’iraient faire les Américains dans cette galère ?
Trump dit ce qui lui passe par la tête…
Dépassons un instant ces objections à l’évidence fondées pour s’attarder, à cette occasion, sur la « méthode Trump » que j’ai pu observer de près lorsque j’étais en poste à Washington. En premier lieu, je suis convaincu que cette proposition n’a fait l’objet ni de concertation avec les Israéliens et encore moins avec les pays arabes ni de préparation au sein de l’administration américaine.
Trump dit ce qui lui passe par la tête et il revient ensuite à ses collaborateurs de tenter d’en faire un tout cohérent et faisable quitte à en tordre les termes. Lorsqu’il a annoncé la sortie des États-Unis de l’accord nucléaire iranien en 2018, le Trésor pris de court a mis plusieurs semaines à être capable de m’en indiquer les conséquences pour les entreprises étrangères. Attendons donc de voir dans ce cas ce qui sort de la moulinette administrative.
Mais ce que je trouve le plus intéressant en l’occurrence, c’est ce coup dans la fourmilière qu’a envoyé Trump d’une manière qui lui est particulièrement caractéristique. Par ignorance des complexités et de l’histoire d’un dossier autant que par nature, il est capable de balayer d’un revers de la main toutes les idées reçues qui ne sont parfois que du conformisme. Il est un peu l’enfant du conte d’Andersen Les Habits neufs de l’empereur qui crie dans la foule : « L’empereur est nu » et il était nu. En anglais, on dirait qu’il pense « en dehors de la boîte ». Oublions donc la solution que propose Trump mais étudions le problème qu’il soulève.
Trump pose une question légitime
Gaza n’est plus qu’un champ de ruines. L’envoyé spécial américain qui a pu s’y rendre – contrairement aux journalistes – en est ressorti en affirmant que les destructions étaient pires qu’on ne l’imaginait. Tout – hôpitaux, écoles, infrastructures, habitations – absolument tout a été rasé. Or, sous les décombres, se trouvent des centaines de tonnes d’explosifs qu’il faut désamorcer et des milliers de cadavres en décomposition.
Comment peut-on imaginer que 2 millions de civils qui sont à la rue et qui n’ont plus rien pourront survivre dans ces conditions ? Trump, reconnaissons-le, pose une question légitime dont le reste de la communauté internationale détourne lâchement les yeux même si on peut juger qu’il ne fournit pas la bonne réponse. Si on refuse celle qu’il propose, encore faut-il en donner une autre…
Le risque est qu’on ne se préoccupe pas d’en avoir et qu’après avoir raillé et condamné le président américain, on laisse les Palestiniens dans leur situation abjecte en leur fournissant une aide au goutte-à-goutte. J’ajoute que, par la même occasion, il ne fait même pas mine d’évoquer la perspective d’un État palestinien à laquelle il n’avait pas entièrement renoncé au cours de son premier mandat.
Biden n’a pas fait mieux que fera Trump
Là aussi, c’est l’enfant d’Andersen : les diplomaties du monde entier répètent l’antienne de la « solution à deux États » mais chacun sait, y compris chez les Palestiniens de Cisjordanie, qu’elle est bel et bien morte. Plus que jamais après le 7 Octobre, Israël n’en veut pas et dispose des moyens de s’y opposer alors qu’il est exclu que les États-Unis ne lui tordent le bras pour le faire céder. Biden n’a pas fait mieux que fera Trump.
Une question pour rendre un peu d’espoir : définitivement impossible la proposition de Trump ? Oui, sans doute, sauf si les monarchies du Golfe s’y ralliaient, ouvraient large leur portefeuille et faisaient connaître leur volonté à l’Égypte et à la Jordanie qui n’ont rien à leur refuser.
Enfin, n’oublions pas que Gaza, rasée ou pas, représente un problème qu’il faudrait tôt ou tard résoudre. Une population de plus de 2 millions d’habitants confinée sur une surface de 365 kilomètres carrés sans la moindre ressource et aux frontières closes et qui double tous les trente ans, ce n’est pas tenable… Écoutons Trump.
Gérard Araud
Gaza…entre autres colonisation de territoires depuis 1e traité de 1948, indiscutables événements à charge contre Israël.