Pascal Elbé raconte au théâtre la montée du nazisme avant la Seconde Guerre mondiale

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Lundi 3 février 2025 : l’acteur, scénariste et réalisateur Pascal Elbé joue dans la pièce « Inconnu à cette adresse », aux côtés de Stéphane Guillon, au Théâtre Antoine, à Paris, jusqu’au 25 février.

Pascal Elbé est l’un de ces acteurs, réalisateur et scénariste qui est né sur les planches. Il a joué dans les films Fallait pas !… de Gérard Jugnot, Père et Fils de Michel Boujenah, ou encore Mauvaise foi de Roschdy Zem. Il a aussi réalisé le film La bonne étoile, entre la comédie et le drame, qui souligne le stéréotype sur les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, dont la sortie est prévue pour 2025.

Jusqu’au 16 février 2025, il joue dans la pièce Inconnue à cette adresse avec Stéphane Guillon au Théâtre Antoine à Paris, dans une mise en scène de Jérémie Lippmann. L’intrigue suit la correspondance de deux amis de longue date. L’un part en Allemagne avant l’arrivée du pouvoir des nazis, alors que son ami, de confession juive, reste aux États-Unis. Les deux amis vont alors échanger dans 19 lettres.

franceinfo : Il va y avoir un choix à faire, entre aider cet ami, ou épouser finalement ce qui a été mis en place la doctrine prônée par le nouveau régime. C’est extrêmement poignant et on a l’impression que c’est loin, mais pas si loin que ça.

Pascal Elbé : Non seulement ce n’est pas loin, mais quand on le lit aujourd’hui et quand on l’entend, il y a une résonance immédiate. Depuis le 7 octobre 2023, où moi, j’appelais juste à convoquer l’empathie et non pas un discours politique, mais l’empathie pour les uns et pour les autres, je sais qu’il y a un avant et un après. Il y a des gens avec qui je n’ose plus parler parce que j’ai l’impression qu’on m’essentialise, qu’on me voit que, en tant que. Comme si je ne pouvais pas avoir mon opinion à moi. Et il y a un avis peut-être un peu distancié sur les choses et c’est terrible. On disait toujours avant, « heureux comme un juif en France ».

Il y a un sondage qui a été complètement édifiant, où on a posé la question de savoir si on avait besoin des juifs en France. Déjà, l’énoncé du sondage est fou et on est en 2025 maintenant, c’est complètement dingue. Et là, je joue une pièce qui raconte ça plus d’un demi-siècle en amont et on revit la même chose. L’histoire se répète.

Cette pièce raconte la mise en place, au début des années 30, de la montée du nazisme en Allemagne. C’est important justement de bien mettre la loupe sur comment est né ce fascisme et cette barbarie ?

Ah oui ! Vous savez, il y avait un film allemand qui s’appelait La Vague, avec un prof qui disait à ses élèves : « Vous savez que ça peut se reproduire aujourd’hui. » Et là, il y a tous les élèves en Allemagne qui ont fait leur devoir de mémoire, qui disent : « Non, on a travaillé pour ça, ce n’est pas possible. » Le prof mène alors une expérience, en reprenant le mécanisme de pensée d’un régime autocratique, et tout doucement, ces élèves-là commencent à basculer. Un mois après ou deux mois après ou un trimestre après, ils se retrouvent vraiment dans une forme de fascisme et ça devient presque, la nouvelle jeunesse hitlérienne, alors qu’ils étaient sûrs d’avoir fait leur travail de mémoire. La bête, elle est toujours comme ça, tapie, et elle peut revenir très vite. On n’apprend pas grand-chose en fait dans notre histoire, mais oui, c’est le cas.

On vous sent extrêmement affecté.

Oui, depuis un an, je le suis beaucoup et au fond de moi-même, il y a quand même une certaine forme de colère, mêlée de sentiment d’injustice.

Cette œuvre s’inscrit justement dans le cadre des programmes scolaires. C’est aussi une loupe sur la puissance et le besoin d’une démocratie, sur la nécessité de respecter l’opinion publique ?

Oui, comme le dit mon personnage, on est 15 années après la Première Guerre et l’Allemagne est exsangue. Tout d’un coup, ils ont l’espoir d’un pays où il y a une liberté politique qui est en train de s’instaurer. On se dit, ça y est, ils vont aller vers la lumière, ils vont comprendre. Et non, quelques petites années après, le démon revient et il bascule de nouveau dans ce mouvement populaire. Il y a une folie qui est puissante, mais finalement, c’est comme un seul homme et ils ont tous basculé. Mais pas tous, encore une fois, il y a eu beaucoup d’Allemands qui se sont opposés et qui n’ont pas eu le choix. Ils ne sont pas tous devenus du jour au lendemain des nazillons et beaucoup ont essayé de résister.

Jouer, ça permet de raconter des histoires, de justement parler d’héritage lourd ?

Ah oui, mais un héritage, s’il est bien vécu et bien transmis, il n’est jamais lourd. Ça dépend de ce qu’on en fait. Boris Cyrulnik parle de résilience, qu’on emploie beaucoup. Si on en fait quelque chose, on va vers l’avant et rien n’est lourd. Au contraire, c’est ce qui nous construit et nous nourrit. Parfois, il est vrai qu’on a peut-être tendance à vouloir s’extraire de tout ça et notre seule façon de se faire entendre, c’est au travers de notre travail. Pour autant, j’estime qu’on est des conteurs d’histoire. Moi, ce que j’aime, c’est raconter une belle histoire avant tout.

Une histoire qui nous promène, qui nous prend par la main. On est des conteurs d’histoires, parfois avec une caméra, parfois avec un public. Si c’est une histoire, qui parle de tout ça, tant mieux, mais il ne faut pas oublier qu’on fait un métier de divertissement. Je me méfie toujours quand on nous met, « Un film fort et nécessaire ». Tout ce qui est nécessaire, je m’en méfie. L’art, il faut que ce soit le plaisir guidé par la seule forme de plaisir. Donc si tout d’un coup, un film ou une pièce de théâtre résonne avec quelque chose d’un peu plus profond, tant mieux, mais d’abord, s’il vous plaît, divertissons-nous.

Elodie Suigo