Elisabeth Borne savoure son retour au gouvernement et se pose en anti-Attal

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La ministre de l’éducation revient au premier plan, un an après avoir été évincée de Matignon et après avoir dû renoncer à prendre la tête du parti présidentiel Renaissance.

Elle dit avoir réfléchi un instant avant d’accepter le poste. Mais pouvait-elle refuser ce nouvel élan ? Lorsqu’elle nous ouvre, mardi 21 janvier, les portes de son bureau du ministère de l’éducation nationale, Elisabeth Borne, ancienne locataire de Matignon que ses équipes appellent toujours « Mme la première ministre », apparaît rayonnante, presque transfigurée. Longue veste rose sur les épaules alors qu’un froid glacial saisit Paris, la sexagénaire, souriante, se réchauffe près du feu de cheminée qui crépite au rez-de-chaussée de l’hôtel de Rochechouart.

Hormis une corbeille de confiseries et une photo la montrant aux côtés de l’animateur Michel Drucker, peu d’effets personnels, si ce n’est aucun, n’apparaît autour du bureau de son illustre prédécesseur, Jean Zay. « J’ai manqué de temps pour emménager ! », s’excuse presque la ministre, nommée le 23 décembre 2024 à ce poste qu’elle décrit comme « le ministère de l’avenir ».

La voici donc de retour aux affaires, elle que le grand public avait surnommée « Mme 49.3 ». Remerciée après avoir fait adopter, dans la douleur, les deux réformes les plus contestées du second quinquennat, sur les retraites et sur l’immigration, elle savoure sa petite revanche. Evincée de Matignon il y a un an pour faire place au jeune Gabriel Attal, 34 ans, Elisabeth Borne, que le personnel de l’Elysée décrivait de façon peu amène comme « la dame qui ne dit pas bonjour », met fin à sa courte traversée du désert.

Regrets et frustrations

Numéro deux d’un gouvernement de « personnalités », au dire du premier ministre, François Bayrou, la voici à nouveau sur le devant de la scène, encensée par le chef du gouvernement, alors que son rival, Gabriel Attal, est condamné à se faire plus discret. Flattée par les égards dont elle fait l’objet, elle lit, le 14 janvier, face aux sénateurs, la déclaration de politique générale de François Bayrou, qui la décrit comme une « femme au parcours exemplaire ». « Ça fait très, très bizarre », en rit-elle, une semaine après.

Par deux fois, après son départ de la Rue de Varenne, Elisabeth Borne avait refusé de revenir au gouvernement. Les armées ? Non, merci, décline-t-elle poliment quand Emmanuel Macron, en personne, lui propose le poste. Même refus auprès de l’éphémère premier ministre de droite Michel Barnier, en septembre 2024. La censure du gouvernement en décembre et la nomination de François Bayrou, patron du MoDem, parti centriste qu’elle a failli rejoindre, changent son état d’esprit. « Quand on croit à la responsabilité en politique, à l’intérêt général et qu’on veut la réussite de son pays, on ne peut pas rester spectateur », assure-t-elle.

La roue tourne si vite. Se souvient-elle de ce temps où, redevenue simple députée du Calvados, après son départ de Matignon, les élus de son camp la trouvaient éteinte ? « On sentait qu’il y avait comme une blessure », raconte son ami Clément Beaune, ancien député de Paris. A l’époque, elle enrage de voir Gabriel Attal accaparer les médias quand elle s’est tuée à la tâche sans en tirer de gloire. « Je m’emmerde », s’épanche-t-elle auprès d’un proche.

Les élections lui donnent l’occasion de reprendre du service. Elle multiplie les meetings avant les européennes de juin 2024, en partie pour tuer l’ennui, et prend goût à ces bains de foule. « L’attachement militant lui est venu », veut croire Ambroise Méjean, président des Jeunes avec Macron, le mouvement des jeunes militants macronistes. Après la séquence électorale de l’été et la dissolution ratée, elle compile ses regrets et ses frustrations dans un livre au ton amer, Vingt mois à Matignon (Flammarion, 2024). L’idée est désormais celle d’un nouveau départ.

Lot de consolation

Poussée par ses soutiens, elle imagine, à l’été 2024, prendre la tête du parti Renaissance, et pourquoi pas viser plus loin. Mais elle renonce, à l’automne, au profit de Gabriel Attal. Encore lui ! La bataille est perdue d’avance, elle le sait, face à celui qui a mené la campagne des législatives après la dissolution et est bien plus populaire qu’elle. « On avait échangé. J’avais compris qu’il ne souhaitait pas prendre le parti, comme il avait pris la présidence du groupe des députés. J’ai dû mal comprendre », grogne-t-elle, vacharde.

Elle ravale son amertume et obtient un lot de consolation : à elle de choisir 25 % des membres du bureau exécutif du parti. Assez pour faire peser sa sensibilité de femme issue de la gauche et éviter de transformer Renaissance en une machine de guerre au service de Gabriel Attal et de son éventuelle candidature pour la présidentielle de 2027 ? « La politique politicienne, où l’on se préoccupe de soi-même avant de se préoccuper des autres, ça ne sera jamais mon truc », glisse-t-elle.

Ses premiers pas Rue de Grenelle sont émaillés de maladresses. A son arrivée au ministère, elle explique qu’elle n’est pas une « spécialiste » du sujet, déroutant une partie des professeurs. Puis, lors d’un déplacement à Mayotte, elle tourne les talons, alors qu’elle est interpellée par deux enseignants désespérés. Son image de femme austère et sans affect ressurgit. « Evidemment que c’est injuste », se défend-elle, agacée, mais sûre de pouvoir révéler une autre facette de sa personnalité, plus empathique.

« Ça me tient à cœur »

Celle qui fut pupille de la nation s’estime proche, philosophiquement, de François Bayrou, qui expliquait, le 14 janvier, que « les enfants ne sont pas comme les poireaux, ils ne poussent pas tous à la même vitesse ». Et prend, chaque jour, un peu plus de distance avec la ligne d’un Gabriel Attal martelant à l’adresse des mineurs : « Tu casses, tu répares. » Elle veut faire de la lutte contre l’inégalité des chances son grand combat. « Ça me tient à cœur », répète celle qui refuse de verser dans l’esbroufe et les annonces non suivies. « Les punchlines, ce n’est pas mon style », cingle-t-elle.

Le « choc des savoirs » comme les groupes de niveau, compliqués à mettre en œuvre mais si chers à Gabriel Attal, qui occupait le même poste de juillet 2023 à janvier 2024, sont réévalués. Le discours sur l’autorité est adouci. Mais Elisabeth Borne fait mine de s’étonner quand on parle de divergences. « Quand Gabriel Attal était ministre de l’éducation nationale, j’étais moi-même première ministre. Donc, forcément, le cap qu’il a porté, je l’ai validé », souligne-t-elle, en rappelant qui commandait à l’époque.

Pour relever le niveau, « ce qu’on cherche, c’est trouver le meilleur chemin. Permettre à la fois à ceux qui ont des difficultés de rattraper ces difficultés tout en stimulant les bons élèves », précise-t-elle, avant de conclure par une phrase qui semble s’adresser à son rival : « J’ai eu une vie avant et je me suis engagée en politique parce qu’il y a des choses que je veux faire bouger. On doit attendre des responsables politiques des résultats, que certains se regardent moins le nombril et s’occupent plus des préoccupations de nos concitoyens », avance-t-elle, oubliant que le gouvernement auquel elle appartient aujourd’hui est décrit comme condamné à l’immobilisme.

Source lemonde

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