M6 diffuse dès ce soir « Le Tatoueur d’Auschwitz », mini-série inspirée du best-seller d’Heather Morris, lui-même adapté d’une histoire vraie. L’autrice néo-zélandaise revient sur sa genèse.
En décembre 2003, Heather Morris travaille dans le service social d’un hôpital de Melbourne quand elle rencontre Lale Sokolov – Ludwig Eisenberg de son vrai nom –, un rescapé des camps nazis qui souhaite faire connaître son histoire au monde. Pendant trois ans, cette autrice débutante va recueillir les confidences de l’octogénaire, juif slovaque déporté à Auschwitz-Birkenau en 1942 et forcé par ses tortionnaires à tatouer des numéros d’identification sur ses coprisonniers.
Dans cet enfer concentrationnaire, il croise un jour le regard de Gita, dont il tombe fou amoureux. Le coup de foudre est réciproque, et leur donne la force de résister à l’indicible. De ce témoignage bouleversant, Heather Morris tire un récit qui paraît en 2017, onze ans après la mort de celui qui était devenu « un membre de sa famille ». Critiqué pour son approche romanesque et ses approximations historiques, Le Tatoueur d’Auschwitz n’en a pas moins été vendu à 14 millions d’exemplaires dans le monde.
Ce best-seller vient de faire l’objet d’une adaptation en mini-série, dont M6 diffuse ce mercredi 22 janvier les deux premiers épisodes (sur 6) à l’occasion des 80 ans de la libération des camps. Une fiction entre autres portée par Harvey Keitel et Jonas Hauer-King, qui oscille entre passé et présent, mêlant les souvenirs de Lale à Auschwitz à ses entretiens avec Heather Morris soixante ans plus tard. Incarnée à l’écran par Melanie Lynskey (Yellowjackets), l’autrice en a étroitement suivi la conception, en tant que consultante. Nous l’avons rencontrée à Paris, où elle continue de porter la mémoire de son ami.
Le Point : Dans quelles circonstances avez-vous rencontré Lale Sokolov ?
Heather Morris : Je me suis trouvée au bon endroit, au bon moment. Une amie que je n’avais pas vue depuis des mois m’a dit un jour que le père d’un de ses amis cherchait quelqu’un à qui raconter son histoire pour l’écrire. Avec la condition que cette personne ne devait pas être juive. Je travaillais alors dans un hôpital, je ne connaissais rien à l’écriture. Une semaine plus tard, j’ai frappé à la porte de Lale Sokolov. Il avait 87 ans, sa femme venait de décéder. Il ne pouvait même pas lever la tête pour me regarder, tant il était accablé de chagrin. Nous avons parlé pendant deux heures. Et je suis revenue chaque semaine pendant les trois années qui ont suivi.Pourquoi cherchait-il une personne non juive ?
Lale avait coutume de dire : « Il n’y a pas un seul Juif vivant qui n’ait pas été affecté par l’Holocauste. Comment peuvent-ils raconter mon histoire alors qu’ils ont la leur ? » Tous les membres de la communauté juive que j’ai rencontrés depuis estiment qu’il faisait preuve là d’une grande sagesse…
Comment votre relation a-t-elle évolué ?
Au fil des mois, Lale est devenu un membre de ma famille. Il venait dîner chez moi, plaisantait avec mes enfants et mon mari. Notre amitié était très intense. Après son accident vasculaire cérébral, en 2006, son fils m’a fait l’honneur de me laisser entrer dans sa chambre d’hôpital pour lui faire mes adieux. J’ai alors promis à Lale que je n’arrêterais jamais, jamais d’essayer de raconter son histoire…
Est-il exact qu’il rêvait de la voir adaptée à l’écran ?
Au départ, Lale souhaitait juste qu’elle soit écrite pour la transmettre à son fils Gary, à qui ni lui ni son épouse n’avaient jamais parlé de leur détention. Mais je me suis vite rendu compte que le monde devait connaître son histoire. Sauf qu’à l’époque, je ne savais pas comment écrire un livre. J’ai donc pris des cours en ligne pour rédiger un scénario. C’est à ce moment-là que Lale est devenu très enthousiaste, rêvant d’être incarné par Brad Pitt ou Ryan Gosling (Elle rit).
Comment se déroulaient vos rencontres ?
Les cinq premiers mois, je le voyais toujours chez lui, où, soit dit en passant, il préparait le pire des cafés. Je l’ai ensuite convaincu de sortir parfois de son appartement, d’aller dans des bars ou des restaurants pour parler. Mon éducation ne m’avait rien appris sur l’Holocauste. J’étais gênée de constater à quel point je ne savais rien. Quand je rentrais chez moi, je faisais des recherches sur ce que Lale m’avait confié et découvrais qu’il minimisait ce qu’il avait enduré. Au fur et à mesure que nous apprenions à nous connaître, il a commencé à me confier vraiment les horreurs qu’il avait vécues.
A-t-il lu ce que vous écriviez au fur et à mesure ?
Non, il ne le voulait pas ! Mais je lui ai offert une première ébauche de scénario pour son anniversaire. Je peux encore voir son visage lorsqu’il l’a feuilleté. Il effleurait du doigt le nom de Gita sur les pages. Seulement le sien ! À l’époque, une cinéaste de Melbourne avait posé une option sur le script, mais le projet n’a pas abouti. J’ai proposé le scénario à d’autres producteurs, sans succès. Jusqu’à ce que ma belle-sœur m’encourage à raconter cette histoire dans un livre. C’est ce que j’ai fait des années plus tard. Lale n’a donc jamais lu le roman, mais celui-ci est adapté de mon scénario qu’il a lu plusieurs fois…
Finalement, votre roman a fait l’objet d’une adaptation sur le petit écran. De quelle façon avez-vous été impliquée dans cette mini-série ?
J’ai demandé une clause me donnant le droit d’être la consultante sur le scénario, et d’en approuver toutes les versions.
Vous avez choisi de vous concentrer sur l’histoire d’amour de Lale et de Gita, plutôt que d’évoquer l’Holocauste de façon plus large. Qu’est-ce qui a motivé cette décision ?
Quand j’ai commencé mes recherches, il m’est apparu que, sur l’Holocauste, il existait surtout des ouvrages académiques. Mais je ne parvenais pas à me représenter le tableau d’ensemble. Un million et demi de personnes mourant à Auschwitz ? Impossible de me l’imaginer. Six millions de Juifs tués ? Je n’arrivais pas à le concevoir. Un seul homme dans l’enfer d’un camp ? Ça, je pouvais me le figurer. C’est pourquoi j’ai décidé de raconter l’histoire de Lale de cette façon.
Il ne s’agissait pas d’écrire une biographie mais de capturer son histoire d’amour. Je disposais d’une cassette dans laquelle Gita relatait sa propre version des événements. Puis, j’ai rencontré d’autres survivantes, qui étaient dans le camp avec elle. J’ai fusionné tous leurs récits pour en obtenir un seul. À tort ou à raison.
Que voulez-vous dire ?
On m’a beaucoup reproché d’avoir adopté ce point de vue. John Boyne, l’auteur du Garçon au pyjama rayé, m’avait prévenue qu’il en serait ainsi. Lui-même avait reçu beaucoup de critiques à ce sujet. D’autres concernaient sa non-judéité. C’était pareil pour moi. Mais c’est Lale qui a voulu me raconter son expérience, pour que je la raconte à mon tour. Je n’ai rien inventé, je ne me suis rien approprié !
Des historiens ont également pointé des inexactitudes dans votre roman quant à la réalité des camps, du système de tatouage…
Quand le livre est sorti, des universitaires ont recensé des erreurs. J’en ai reconnu quelques-unes, qui concernaient les faits, et les ai corrigées dans les éditions suivantes. Mais j’ai refusé de toucher aux souvenirs de Lale. Qu’ils soient totalement fidèles à la réalité ou non, ils lui appartiennent…
Après Le Tatoueur d’Auschwitz, vous avez écrit Le Voyage de Cilka, consacré à la maîtresse du commandant du camp…
Lale m’avait fait promettre de le faire, estimant que Cilka était la personne la plus courageuse qu’il avait jamais connue. Son rôle dans l’histoire de Lale et Gita est minimisé dans la mini-série. Mais toute la violence, le mal et la brutalité que cette jeune femme alors âgée de 16 ans a endurés, non seulement à Auschwitz, mais aussi au goulag où elle a été déportée pendant dix ans, montrent son incroyable courage. Gita est d’ailleurs restée en contact avec elle toute sa vie…
Quelle est la suite pour vous ?
Mon roman Rising Sun devrait bientôt paraître en France. C’est une fiction historique, sur un groupe d’infirmières australiennes, de femmes anglaises et de religieuses hollandaises retenues prisonnières par les Japonais pendant la guerre dans la jungle de Sumatra…
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