Israël et le Hamas ont annoncé ce mercredi 15 janvier avoir conclu un cessez-le-feu, qui devrait entrer en vigueur dimanche. Pour le docteur en géopolitique, cet accord montre combien le rapport de force est devenu favorable à l’Etat hébreu.
LE FIGARO – Quelle lecture faites-vous du cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, au lendemain de son annonce ?
Frédéric ENCEL – Ce cessez-le-feu prévoit un échange classique de prisonniers, mais avec un ratio beaucoup moins favorable à la partie palestinienne que ces dernières décennies. En 2011, contre le seul soldat Shalit, 1071 prisonniers palestiniens avaient été libérés, dont Sinwar (qui était en quelque sorte le chef de la police du Hamas et qui allait prendre la tête de ce mouvement terroriste quelques années plus tard). En novembre 2023, le ratio n’était plus que d’un pour une centaine. Là, c’est un otage israélien qui est échangé contre une dizaine de prisonniers palestiniens. Cela montre bien que le rapport de force est en faveur d’Israël. Autre point qui illustre la domination de l’Etat hébreu : Israël ne se retire pas intégralement ni définitivement de la bande de Gaza, en dépit de ce qu’avait revendiqué le Hamas. Mais depuis le cessez-le-feu avec le Hezbollah, et surtout depuis les rodomontades de Donald Trump, le Hamas revoyait ses exigences à la baisse.
Il est également révélateur de voir quels sont les Palestiniens qui ne sont pas inclus dans cet échange de prisonniers. Marwan Barghouti (homme politique palestinien qui fut un des meneurs de la première et de la seconde Intifada) n’en est pas, parce que le prix politique de ce prisonnier, au cas où on reviendrait ultérieurement à un processus de négociations, est extrêmement élevé. Les Israéliens ne relâchent pas non plus les prisonniers faits lors du massacre du 7 octobre, ce qui est très important symboliquement. Cela signifie que ce traumatisme profond est encore et vif, et qu’on ne veut pas donner le moindre avantage tactique au Hamas, du fait de son pogrom.
Se dirige-t-on vers la fin de la guerre ?
Un cessez-le-feu n’est qu’un accord de nature militaire et non pas politique. Comme dans celui ratifié avec le Hezbollah, il est inscrit dans ce cessez-le-feu qu’en cas de violation, Israël ne sera pas tenu d’en respecter la lettre.
L’accord de paix est ontologiquement impossible entre le Hamas et Israël. Au cours des négociations qui ont conduit aux accords d’Oslo en 1993, entre Yasser Arafat et un gouvernement israélien de gauche, le Hamas avait perpétré des attentats monstrueux contre des civils dans les rues d’Israël. Donc le Hamas ne fera pas la paix avec Israël et même la gauche israélienne refusera catégoriquement de pactiser avec le Hamas, qui est d’ailleurs voué à disparaître, au moins militairement.
Ce n’est donc pas tant une étape vers la paix mais une halte au conflit armé, parce qu’entre Israël et le Hamas le conflit idéologique et le souvenir des morts sont trop vifs pour aboutir à une paix ?
Exactement, si l’on parle du Hamas. Ce n’est pas vrai concernant l’Autorité nationale palestinienne, qui a vocation à administrer à nouveau la Palestine : même si Netanyahou est contre son retour, les pressions des alliés tenteront de l’imposer. Ce gouvernement a été chassé militairement de Palestine par le Hamas en 2007, dans le sang.
Le clivage n’est pas israélo-arabe mais compte d’une part la gauche et le centre de la société israélienne, l’Autorité palestinienne, les Etats arabes modérés, les Etats-Unis, l’UE, et d’autre part le Hamas, l’Iran et plus grand-chose, des pays de l’ex «front du refus» dans le monde arabe, parmi lesquels l’Algérie, mais qui est négligeable. Le conflit est idéologique et non pas ethno-religieux.
La chronologie de ce cessez-le-feu a-t-elle à voir avec la prochaine investiture de Donald Trump ?
Assurément. L’imprévisibilité, surtout à la tête d’une grande puissance, est inconfortable pour les alliés et dangereuse pour les adversaires : par rapport à des critères qui étaient proposés depuis des mois par Israël, le Hamas se dépêche aujourd’hui, quelques jours avant l’investiture de Trump. C’est même deux jours avant son investiture que se fait l’échange d’otages ! Ce n’est pas une coïncidence : on constate aussi depuis l’élection de Trump et ses propos sévères sur le nucléaire iranien, que les délégués iraniens se lancent à corps perdu dans des pourparlers.
Le Hamas a fait des concessions en raison d’un rapport de force qui lui est devenu trop défavorable, et les propos peu amènes de Trump à son égard ont entraîné leur accélération.
L’Etat hébreu n’était-il pas sur le point d’anéantir le Hamas ?
Oui, mais à quel prix ? Celui d’une centaine de personnes, otages depuis plus d’un an. On en revient au schéma classique des guerres asymétriques entre démocraties et régimes fanatisés où la vie n’a que peu de prix. Le gouvernement israélien a décidé dès le 7 octobre d’économiser le plus de vies possible. Israël ne peut pas payer le prix de ses otages mais affaiblit tellement son adversaire qu’ensuite le futur partenaire aux négociations, qui devrait être l’Autorité palestinienne, cherchera à se débarrasser de ce poids politique qu’est une situation juridique de guerre. Le Hamas étant considérablement affaibli militairement, c’est presque une victoire pour Israël, disons une victoire aux trois quarts.
Pourquoi y a-t-il eu des frappes israéliennes après l’annonce du cessez-le-feu ?
C’est une attitude classique dans le domaine tactique et militaire : au moment de l’annonce d’un cessez-le-feu, les belligérants cherchent soit un ultime avantage tactique, soit la démonstration vis-à-vis de leur propre opinion publique du fait qu’ils sont allés au bout de ce qui était possible militairement, et avec le plus de succès. Les heures qui précèdent le cessez-le-feu sont souvent meurtrières. C’est la même situation qu’au cours des derniers jours avant le 27 novembre et le cessez-le-feu avec le Hezbollah.
Frédéric Encel est docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences Po Paris et fondateur des Rencontres géopolitiques de Trouville, auteur des Voies de la puissance (Prix de l’Académie des sciences morales et politiques, Odile Jacob, 2023).
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