Le conflit a été marqué par sa violence, par le recours à la technologie mais aussi par la résilience de la société israélienne.
Les états-majors n’ont pas attendu le cessez-le-feu pour tirer les premières leçons de la guerre à Gaza. Depuis le 7 octobre 2023, les analystes, déjà accaparés par le conflit ukrainien, observent avec autant d’attention l’affrontement entre Israël et le Hamas. Cette guerre, qui a causé la mort de plus de 46.000 personnes dans l’enclave palestinienne, membres du groupe terroriste ou civils, ainsi que de 1200 Israéliens, diffère de celle qui oppose l’Ukraine à la Russie par la dissymétrie des acteurs et la topographie du champ de bataille. Le combat était inégal dès le départ.
« La puissance militaire israélienne est réelle et dominante », souligne une source militaire française. Non seulement Tsahal détient la suprématie aérienne avec ses 340 avions de combat, mais elle dispose aussi de capacités technologiques et militaires bien supérieures à celles de son adversaire, qu’il s’agisse de drones ou chars. « Mais cette puissance a montré sa limite », poursuit-on : « Pour atteindre ses objectifs, Israël a dû transformer Gaza en champ de ruines ! Israël a procédé comme la Russie en Ukraine », constate-t-on. La puissance de feu, constituée par l’aviation et l’artillerie, a été déterminante dans la guerre.
Les experts divergent sur leur analyse du conflit, qui apparaît par certains aspects comme une guerre de haute technologie et par d’autres comme une guerre d’attrition violente. Ils s’accordent cependant pour dire que depuis plusieurs mois l’armée israélienne était parvenue à une impasse. Le Hamas a été décapité. Mais le mouvement a régénéré ses forces. La solution ne peut plus venir de l’outil militaire.
La résilience israélienne à l’épreuve
En attendant que la diplomatie fasse son œuvre, les militaires reprennent le fil de l’histoire. Ils soulignent tout d’abord que la puissance israélienne a mis le genou à terre le 7 Octobre. « Le Hamas a fait preuve d’une forme d’audace : leur attaque a surpris l’armée israélienne », poursuit l’officier en soulignant la stratégie de « contournement » mise en œuvre par le mouvement terroriste. « Le tout-technologique israélien a montré ses faiblesses », dit-on.
Après l’attaque initiale, Tsahal a repris le dessus. « Le principal enseignement de la guerre, c’est la capacité d’Israël à mobiliser ses réservistes. La résilience du pays n’est pas un vain mot », poursuit le militaire. Les pays occidentaux travaillent beaucoup sur cette dimension, qui s’est aussi avérée déterminante dans la résistance ukrainienne. Sans soutien de la société, un conflit ne peut pas être remporté. Dans le cas israélien, des signes de doute commençaient cependant à apparaître, remettant en question la légitimité des opérations dans la bande de Gaza. Mais globalement, le système d’encadrement et d’entraînement des réservistes a montré son efficacité, constate-t-on côté occidental.
L’autre atout de la supériorité israélienne, encore plus déterminante au niveau militaire, tient à la puissance de feu. En l’absence de menaces venues du sol, les avions ont été en mesure de bombarder et d’atteindre les cibles qui leur étaient assignées. Tsahal a notamment eu recours à des logiciels d’intelligence artificielle comme Lavender ou Habsora pour définir des objectifs militaires et d’autres, comme Fire Factory, pour optimiser ses plans de vol. Depth of Wisdom a été utilisé pour cartographier les réseaux de tunnels. Durant les sept premiers mois de la guerre, plus de 30 000 objectifs ont été « traités » à partir des bases de données constituées par des années de renseignement. Tsahal a ainsi massifié ses attaques et accéléré leur tempo. Au bout de quinze mois, ce catalogue d’objectifs s’est probablement épuisé.
Le recours à l’IA n’est pas sans soulever des problèmes éthiques sur la définition des objectifs. L’algorithme du logiciel « Where is Daddy ? » est censé permettre de frapper des cibles lorsqu’elles se trouvent à leur domicile. En France, certains officiers remettent en cause le mythe technologique israélien : « Ils ont eu recours essentiellement à des bombes lisses non guidées, faute de stocks pour d’autres armements sans doute. Quoi qu’il en soit, il ne s’agissait pas de frappes de précision », pointe du doigt un officier.
La « guerre en milieu dévasté »
Les opérations tactiques israéliennes au sol ont aussi été analysées de près. « Gaza est une zone urbaine géante », souligne un autre analyste militaire. La guerre urbaine constitue la hantise des opérationnels. Ils s’y préparent aussi, en considérant que les conflits futurs se dérouleront majoritairement dans les villes. Pour progresser, Tsahal a séquencé ses opérations. Elle a aussi procédé au nettoyage méthodique de zone. Elle a dû coordonner ses mouvements au sol mais aussi en souterrain.
Tsahal « est descendue dans les tunnels », assure un officier. Les unités cynophiles ont été mises à contribution comme des moyens de destruction sophistiqués. Mais le bilan réel de ces neutralisations n’est pas connu. En surface, le recours aux drones de reconnaissance a été systématisé pour cartographier les zones d’opération. Les moyens de génie ont été sollicités pour progresser, à tel point que les experts militaires commencent à travailler sur le concept de « guerre en milieu dévasté ».
Cette guerre n’a pas été sans risques pour les soldats israéliens. Les combattants du Hamas ont adopté des tactiques de harcèlement des unités adverses, en profitant de leur connaissance du terrain et des réseaux souterrains. Pour les armées occidentales, ces manœuvres imposent de réfléchir « aux risques de tirs fratricides » et à la nécessité de renforcer les capacités de combat « aux plus bas échelons » pour maintenir un rapport de force favorable contre l’adversaire, si celui-ci n’a pas pu être neutralisé avant par des moyens aériens. L’utilisation de drones a été déterminante dans le rapport de force : Tsahal a eu recours à des drones quadricoptères armés pour contrôler des zones, neutraliser des cibles et au minimum installer une pression psychologique permanente.
Durant ces quinze mois, l’armée israélienne a opéré dans tous les champs : air, terre, mer mais aussi dans le domaine cyber ou l’influence, mettant en œuvre la doctrine « multi-milieux multi-champs » chère aux Occidentaux. Mais l’ampleur des destructions et des morts à Gaza va entacher durablement l’image de Tsahal. « Le niveau de pertes acceptable varie suivant chaque conflit », commente prudemment un officier. « La priorité a été donnée à la destruction des objectifs. Cela n’aurait pas été notre façon de faire », dit-il. « Ils ont préféré l’efficacité à la morale », dit un autre. Les militaires ont suivi les objectifs qui leur étaient assignés.
Par Nicolas Barotte
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